Noyade dans un lieu de baignade non aménagé : le maire doit-il signaler aux touristes la dangerosité du site ?
Toutefois, la grave imprudence commise par la victime qui ne savait pas nager et qui n’a pas tenu compte des conditions climatiques prévues le jour de l’accident (fortes rafales de vent et vagues de deux à trois mètres) exonère la commune à hauteur de 80 % de sa responsabilité.
En août 2017 une jeune femme âgée de 25 ans se noie dans un bassin naturel non défini comme une zone de baignade et d’activités nautiques. Le lieu de la noyade se situe dans une zone côtière dangereuse (accidentée et rocheuse), le site se présente comme une « piscine naturelle d’eau de mer » dans laquelle s’engouffrent les vagues. Il est accessible par un sentier connu des randonneurs.
La mère de la victime recherche la responsabilité de la commune et réclame une somme de 1 000 000 d’euros en réparation des préjudices subis du fait du décès par noyade de sa fille.
Le tribunal administratif admet la responsabilité de la commune sur le fondement de l’article L.2213-23 : à la date de l’accident aucune signalisation appropriée concernant la dangerosité du site n’avait été apposée à proximité de celui-ci ou à l’entrée de ses voies d’accès par le littoral (défaut d’information constitutif d’une faute). Mais, le juge retient une faute de la victime à hauteur de 60 % .
En appel, la cour administrative confirme la responsabilité de la commune et porte à 80 % l’exonération de la commune en raison de la grave imprudence de la victime.
Absence d’information concernant la dangerosité du site : carence fautive du maire
Pour assurer la sécurité des baignades, le maire dispose d’un pouvoir de police spéciale en vertu de l’article L.2213-23 du CGCT.
Ce pouvoir de police concerne les « baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés. Cette police s’exerce en mer jusqu’à une limite fixée à 300 mètres à compter de la limite des eaux ».
Au titre de ce pouvoir, le maire :
– réglemente l’utilisation des aménagements réalisés pour la pratique de ces activités,
– pourvoit d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours ;
– délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante pour la sécurité des baignades et des activités nautiques,
– détermine des périodes de surveillance ;
– informe le public par une publicité appropriée, en mairie et sur les lieux où elles se pratiquent, des conditions dans lesquelles les baignades et les activités nautiques sont réglementées.
« Hors des zones et des périodes ainsi définies, les baignades et activités nautiques sont pratiquées aux risques et périls des intéressés » stipule l’article L.2213-23 du CGCT.
Cependant, la cour administrative d’appel de Bordeaux rappelle qu’il incombe également au maire de signaler les dangers qui excèdent ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement se prémunir y compris dans les zones de baignades non surveillées.
En l’espèce, le juge relève que le site est connu comme destination de randonnées. De nombreux sites internet et réseaux sociaux mentionnent cet endroit au caractère pittoresque devenu une curiosité touristique et un lieu de baignade fréquenté par de nombreux baigneurs (de nombreuses personnes étaient présentes le jour de l’accident).
De plus, le site se situe en contrebas d’une falaise rocailleuse, et le bassin naturel est régulièrement submergé par des vagues qui en se retirant entraînent les baigneurs vers le large.
Le caractère dangereux du site est connu des habitants mais pas des touristes. Or, aucune signalisation ne les avertit des risques encourus et ces risques « excèdent ceux contre lesquels les baigneurs doivent normalement se prémunir ».
Le juge en conclut que le maire aurait dû prendre les mesures nécessaires afin d’informer les randonneurs de la dangerosité du site. La responsabilité de la commune est engagée pour carence fautive du maire dans l’exercice de son pouvoir de police.
Contrairement à ce que soutenait la commune le fait que la signalisation du danger sur le chemin d’accès relevait de la responsabilité de l’Office national des forêts ne dispensait pas le maire d’user de son pouvoir.
D’autres exemples où la responsabilité de la collectivité a été retenue :
♦ Il incombe au maire de la commune d’assurer la sécurité des baigneurs sur les plages et notamment de signaler les dangers qui excèdent ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement se prémunir : une commune est tenue responsable d’un accident survenu à la suite d’un plongeon réalisé à marée basse depuis une plate-forme flottante dès lors qu’elle n’a pas averti les usagers du danger que peut présenter l’utilisation de cette plate-forme, ni réglementé l’accès et l’usage ou mis en place une surveillance particulière de l’ouvrage destiné au divertissement des baigneurs et habituellement utilisé par des adolescents et des enfants pour effectuer des plongeons (CE, 19 novembre 2013 : n°352955).
♦ Commet une faute de nature à engager la responsabilité de la commune le maire qui se contente de faire placer un seul panneau d’interdiction de la baignade, qui plus est à 80 mètres de l’entrée principale de la plage (CAA Bordeaux 23 février 2007, N° 03BX00837). ♦ Le défaut d’information suffisante concernant les réels dangers qu’encourent les estivants à fréquenter un endroit non aménagé d’une plage, alors que plusieurs accidents s’étaient produits, ainsi que l’absence de tout moyen permettant d’alerter rapidement un centre de secours constituent une faute dans l’exercice des pouvoirs de police du maire. En l’espèce un seul panneau était apposé sur le chemin d’accès la plage signalant des baignades dangereuses et des courants violents (CAA Nantes, 21 mars 1990 : n°89NT00523). ♦ La responsabilité d’une commune est retenue suite à la noyade d’un couple de retraités sur une plage interdite à la baignade en raison de forts courants et de baïnes mais fréquentée par de nombreux touristes. La dangerosité de la baignade et son interdiction n’étaient signalées que par un seul panneau situé à l’écart de l’entrée de la plage et dirigé vers la mer. Le maire n’a assuré ni une signalisation suffisante du danger résultant de la baignade sur la plage ni une publicité suffisante de son arrêté portant interdiction de la baignade sur cette plage (TA Poitiers, 7 février 2019 : n°1702831). ♦ Au titre de son pouvoir de police, le maire doit « assurer la sécurité des baigneurs sur les plages qui font l’objet d’une fréquentation régulière et importante ». Il lui incombe à cet égard de signaler les dangers qui excèdent ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement se prémunir y compris dans les zones de baignades non surveillées. En s’abstenant de signaler le danger résultant de la présence de forts rouleaux sur le bord de l’eau, la commune commet une faute de nature à engager sa responsabilité (Conseil d’État 25 juin 2008 N° 295849). ♦ Engage sa responsabilité pénale la maire qui ne signale pas la présence d’un danger (muret) dans un plan d’eau : "en se bornant à commander une ligne d’eau dont la livraison n’interviendra que plusieurs jours plus tard et toujours attendue au moment de la survenance du second accident, la prévenue, sans causer directement le dommage, n’a pas pris les mesures permettant d’éviter la réalisation de celui-ci et a commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer" (Cour d’appel de Douai, 16 janvier 2007, N° 06/00806). ♦ Engage sa responsabilité pénale en cas de noyade, la maire qui, alerté sur la non-conformité d’un plan d’eau, ne prend d’arrêté interdisant la baignade (Cour d’appel d’Agen, 14 février 2005). |
Grave imprudence de la victime exonérant largement la commune de sa responsabilité
La victime ne savait pas nager. Pour la commune cet élément est de nature à l’exonérer totalement. Quant à La mère de la victime elle soutient que c’est uniquement l’absence d’information sur le danger des vagues qui lui a coûté la vie.
Deux jours avant l’accident une tempête tropicale avait touché l’île et une vigilance jaune avait été déclenchée par Météo France pour mer dangereuse. Les conditions climatiques le jour de l’accident étaient mauvaises (rafales de vent de 40 à 50 km/heures et vagues pouvant atteindre deux à trois mètres).
Pour le juge bordelais, la victime a commis une grave imprudence de nature à exonérer la commune de sa responsabilité à hauteur de 80 %.
Le préjudice moral est évalué à 15000 euros mais, compte tenu du partage de responsabilité, l’indemnité est ramenée à un peu plus de 3000 euros.
La faute de la victime comme cause (totale ou partielle) d’exonération de la commune :
♦ Est de nature à exonérer totalement la commune d’une noyade survenue dans une zone non surveillée la circonstance que la mère et le camarade de la victime, qui connaissaient les lieux, ont admis lors de leur audition qu’ils savaient qu’ils se baignaient dans la partie non surveillée du plan d’eau (CAA Nancy, 17 juin 2003, 98NC00258.
♦ Est exclusivement imputable à la victime, l’accident dont elle a été victime en plongeant depuis un équipement non spécialement prévu à cet effet sans s’assurer de la profondeur de l’eau. En l’espèce un baigneur s’est grièvement blessé en sautant de l’extrémité d’une ponton dans une zone d’un lac ouvert à la baignade située entre le début du petit bain et la pataugeoire. La profondeur de l’eau était de 50 cm à cet endroit. Les juges estiment qu’un usager normalement attentif ne pouvait se méprendre sur la fonction de cette avancée et la confondre avec celle d’un plongeoir (Cour administrative d’appel de Lyon, 10 juin 2021, N° 19LY02487). ♦ La circonstance qu’une baignade soit surveillée « ne dispense pas les adultes de veiller sur les enfants placés sous leur responsabilité, compte tenu notamment de leur âge et de leur comportement ». Ainsi le manquement de la tante de la victime à son devoir de surveillance est de nature à exonérer la commune de la moitié des conséquences dommageables de l’accident (Cour administrative d’appel de Lyon, 6 mai 2010, N° 08LY00264. ♦ Dès lors qu’il utilisait comme plongeoir un équipement non spécialement prévu à cet effet, de s’assurer au préalable de la possibilité de plonger sans danger, eu égard notamment à la faible profondeur de l’eau dans un site aménagé pour la baignade des personnes handicapées". En l’absence de toute précaution de cette nature, l’imprudence commise par la victime doit être regardée comme la cause exclusive de l’accident. Peu importe dans ces conditions que le danger n’ait pas été signalé Conseil d’État, 26 février 2010, N° 3060316. ♦ Un groupe d’adolescents se lance le défi de plonger habillé depuis une passerelle surplombant un barrage malgré les panneaux interdisant la baignade. Une jeune fille perd la vie, happée par le tuyau servant de passage pour les poissons. L’accident a pour cause exclusive la faute de la victime dès lors « qu’il résulte de l’instruction, et notamment du procès-verbal établi par la gendarmerie (...), que des panneaux interdisant de manière explicite la baignade étaient installés aux deux accès de la passerelle surplombant le barrage » (Cour administrative d’appel de Lyon 28 octobre 2008 n° 05LY01873). |