
Cour administrative d’appel de Bordeaux, 02 février 2023 : n°20BX00726
Noyade dans un lieu de baignade non aménagé : le maire doit-il signaler aux touristes la dangerosité du site ?
Oui rappelle la Cour administrative d’appel de Bordeaux dès lors qu’il s’agit d’un lieu de baignade fréquenté le maire doit user de son pouvoir de police spéciale (article L.2213-23 du Code général des collectivités territoriales) pour « prendre les mesures de publicité appropriées pour signaler la réglementation applicable et les dangers qui excèderaient ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement se prémunir ».
Au cas présent, le maire a commis une faute en ne prenant aucune mesure pour informer les touristes de la dangerosité du site (bassin naturel sur une côte rocheuse dans lequel s’engouffrent des vagues qui en se retirant peuvent entraîner les baigneurs vers le large).
Toutefois, la grave imprudence commise par la victime qui ne savait pas nager et qui n’a pas tenu compte des conditions climatiques prévues le jour de l’accident (fortes rafales de vent et vagues de deux à trois mètres) exonère la commune à hauteur de 80 % de sa responsabilité.
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En août 2017 une jeune femme âgée de 25 ans se noie dans un bassin naturel non défini comme une zone de baignade et d’activités nautiques. Le lieu de la noyade se situe dans une zone côtière dangereuse (accidentée et rocheuse), le site se présente comme une « piscine naturelle d’eau de mer » dans laquelle s’engouffrent les vagues. Il est accessible par un sentier connu des randonneurs.
La mère de la victime recherche la responsabilité de la commune et réclame une somme de 1 000 000 d’euros en réparation des préjudices subis du fait du décès par noyade de sa fille.
Le tribunal administratif admet la responsabilité de la commune sur le fondement de l’article L.2213-23 : à la date de l’accident aucune signalisation appropriée concernant la dangerosité du site n’avait été apposée à proximité de celui-ci ou à l’entrée de ses voies d’accès par le littoral (défaut d’information constitutif d’une faute). Mais, le juge retient une faute de la victime à hauteur de 60 % .
En appel, la cour administrative confirme la responsabilité de la commune et porte à 80 % l’exonération de la commune en raison de la grave imprudence de la victime.
Absence d’information concernant la dangerosité du site : carence fautive du maire
Pour assurer la sécurité des baignades, le maire dispose d’un pouvoir de police spéciale en vertu de l’article L.2213-23 du CGCT.
Ce pouvoir de police concerne les « baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés. Cette police s’exerce en mer jusqu’à une limite fixée à 300 mètres à compter de la limite des eaux ».
Au titre de ce pouvoir, le maire :
– réglemente l’utilisation des aménagements réalisés pour la pratique de ces activités,
– pourvoit d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours ;
– délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante pour la sécurité des baignades et des activités nautiques,
– détermine des périodes de surveillance ;
– informe le public par une publicité appropriée, en mairie et sur les lieux où elles se pratiquent, des conditions dans lesquelles les baignades et les activités nautiques sont réglementées.
« Hors des zones et des périodes ainsi définies, les baignades et activités nautiques sont pratiquées aux risques et périls des intéressés » stipule l’article L.2213-23 du CGCT.
Cependant, la cour administrative d’appel de Bordeaux rappelle qu’il incombe également au maire de signaler les dangers qui excèdent ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement se prémunir y compris dans les zones de baignades non surveillées.
« Il incombe au maire d’une commune sur le territoire de laquelle sont situés des lieux de baignade qui, en dehors des zones surveillées délimitées à cet effet, sont fréquentées des baigneurs et des pratiquants de sports nautiques, de prendre les mesures de publicité appropriées pour signaler la réglementation applicable et les dangers qui excèderaient ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement se prémunir ».
En l’espèce, le juge relève que le site est connu comme destination de randonnées. De nombreux sites internet et réseaux sociaux mentionnent cet endroit au caractère pittoresque devenu une curiosité touristique et un lieu de baignade fréquenté par de nombreux baigneurs (de nombreuses personnes étaient présentes le jour de l’accident).
De plus, le site se situe en contrebas d’une falaise rocailleuse, et le bassin naturel est régulièrement submergé par des vagues qui en se retirant entraînent les baigneurs vers le large.
Le caractère dangereux du site est connu des habitants mais pas des touristes. Or, aucune signalisation ne les avertit des risques encourus et ces risques « excèdent ceux contre lesquels les baigneurs doivent normalement se prémunir ».
Le juge en conclut que le maire aurait dû prendre les mesures nécessaires afin d’informer les randonneurs de la dangerosité du site. La responsabilité de la commune est engagée pour carence fautive du maire dans l’exercice de son pouvoir de police.
Contrairement à ce que soutenait la commune le fait que la signalisation du danger sur le chemin d’accès relevait de la responsabilité de l’Office national des forêts ne dispensait pas le maire d’user de son pouvoir.
![]() D’autres exemples où la responsabilité de la collectivité a été retenue : |
Grave imprudence de la victime exonérant largement la commune de sa responsabilité
La victime ne savait pas nager. Pour la commune cet élément est de nature à l’exonérer totalement. Quant à La mère de la victime elle soutient que c’est uniquement l’absence d’information sur le danger des vagues qui lui a coûté la vie.
Deux jours avant l’accident une tempête tropicale avait touché l’île et une vigilance jaune avait été déclenchée par Météo France pour mer dangereuse. Les conditions climatiques le jour de l’accident étaient mauvaises (rafales de vent de 40 à 50 km/heures et vagues pouvant atteindre deux à trois mètres).
Pour le juge bordelais, la victime a commis une grave imprudence de nature à exonérer la commune de sa responsabilité à hauteur de 80 %.
Le préjudice moral est évalué à 15000 euros mais, compte tenu du partage de responsabilité, l’indemnité est ramenée à un peu plus de 3000 euros.
![]() La faute de la victime comme cause (totale ou partielle) d’exonération de la commune : |
Cour administrative d’appel de Bordeaux, 02 février 2023 : n°20BX00726
[1] Photo : Jong Marshes sur Unsplash