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L’octroi de la protection fonctionnelle peut caractériser un détournement de fonds publics !

Dernière mise à jour le 6 avril 2023

Dans un arrêt rendu le 8 mars 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation souligne que l’octroi indu de la protection fonctionnelle à un élu ou à un agent public peut constituer le délit de détournement de fonds publics. Même si l’élu n’a pas participé à la délibération. La décision d’octroi de la protection ne doit donc pas être prise à la légère. Petit focus sur les règles applicables.

En principe lorsqu’un agent public ou un élu local fait l’objet d’une plainte ou de poursuites dans l’exercice de ses fonctions ce n’est pas à lui qu’il revient personnellement de payer son avocat pour se défendre. C’est à la collectivité de le faire au titre de la "protection fonctionnelle".

Depuis la loi engagement et proximité du 27 décembre 2019, les communes sont mêmes tenues de souscrire une assurance protégeant les élus.

Pour autant l’octroi de la protection fonctionnelle n’est pas automatique. Encore faut-il en effet que l’élu ou le fonctionnaire poursuivi n’ait pas commis de faute personnelle détachable.

Dans deux arrêts rendus le 31 décembre 2015, le Conseil d’Etat a défini les critères qui permettent de caractériser ce qui constitue une telle faute excluant le bénéfice de la protection.

Dans cette affaire un maire était poursuivi à la fois pour des faits de détournement de fonds publics et des propos d’incitation à la haine raciale. Le conseil municipal lui avait accordé la bénéfice de la protection fonctionnelle et pris en charge ses frais de défense. Le préfet avait attaqué cette décision estimant que les conditions n’étaient pas réunies pour l’octroi de la protection à l’élu et avait demandé au juge des référés la suspension de cette délibération. Le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, 30 décembre 2015, N° 391798 & N° 391800) avait donné raison au préfet en soulignant que présentent le caractère d’une faute personnelle détachable des fonctions des faits qui :

 révèlent des préoccupations d’ordre privé ;

 procèdent d’un comportement incompatible avec l’exercice de fonctions publiques ;

 ou revêtent une particulière gravité, eu égard à leur nature ou aux conditions dans lesquelles ils ont été commis.

Ainsi chaque fois qu’un élu (ou un fonctionnaire) a recherché un intérêt personnel, la protection fonctionnelle ne peut lui être accordée. C’est à lui de se défendre sur ses deniers personnels et ce même s’il est encore présumé innocent. La collectivité n’est en effet pas liée par le principe de présomption d’innocence au moment où elle se prononce sur l’octroi de la protection fonctionnelle et n’est pas tenue de procéder à une enquête contradictoire avant de prendre sa décision, laquelle d’ailleurs ne constitue pas, dans l’hypothèse où la demande est présentée par un agent, une sanction disciplinaire [1].

Il en est de même lorsqu’un élu commet une "faute d’une particulière gravité". Cette notion fera l’objet d’une appréciation au cas par cas par le juge. C’est par exemple l’hypothèse d’une "grosse boulette" dans une procédure de marché public ou dans un dossier d’urbanisme. Avec à la clé de possibles recherches en responsabilité personnelle contre l’élu ou l’agent fautif. En effet non seulement la reconnaissance d’une faute personnelle détachable exclut le bénéfice de la protection fonctionnelle pour l’élu ou l’agent mais elle rend aussi ce dernier civilement responsable sur ses deniers personnels devant les juridictions judiciaires.

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Ainsi la chambre civile de la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre civile 1, 25 janvier 2017, N° 15-10852) a annulé un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui avait exclu la responsabilité civile personnelle d’un maire recherchée par un propriétaire mécontent d’un refus d’allotir. L’administré avait obtenu gain de cause devant les juridictions administratives mais demandait au maire de l’indemniser personnellement de son préjudice résultant du retard pris dans les travaux. Les juges du fond avaient écarté la responsabilité civile personnelle du maire en soulignant l’absence de tout intérêt personnel. La Cour de cassation censure cette position reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir examiné la gravité de la faute imputée au maire et ce même en l’absence d’intérêt personnel poursuivi par celui-ci : « en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si, quel qu’en ait été le mobile, les agissements de M. Y... ne revêtaient pas, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils avaient été commis, une gravité telle qu’ils étaient détachables de l’exercice de ses fonctions de maire, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Si la commune refuse la protection fonctionnelle, l’élu ou l’agent pourra contester cette décision devant le juge administratif. Mais si la commune accorde la protection fonctionnelle trop largement, outre un recours devant les juridictions administratives, des poursuites pénales peuvent être engagées contre l’autorité territoriale. C’est ce qu’a jugé la chambre criminelle dans la Cour de cassation dans un arrêt du 8 mars 2023.

Détournement de fonds publics !

Attention aux conflits d’intérêts

Il a déjà été jugé qu’un élu qui participe aux débats et/ou à une délibération concernant l’octroi de la protection fonctionnelle dans une affaire qui le concerne se rend coupable de prise illégale d’intérêts. La cour administrative d’appel de Douai (Cour administrative d’appel de Douai, 24 mai 2017, N° 15DA00805) a ainsi jugé que c’est à juste titre qu’un conseil municipal (commune de 650 habitants) refuse d’accorder la protection fonctionnelle à son maire, poursuivi pour prise illégale d’intérêts, après avoir avoir participé à la délibération... lui octroyant le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre d’une première plainte dirigée contre lui pour diffamation. En effet, l’intéressé "ne pouvait ignorer que cette participation active à un débat qui le concernait directement et qui relevait d’un intérêt personnel distinct de celui de la commune, quand bien même la somme en jeu était peu élevée, était constitutif d’un manquement à l’obligation de désintéressement qui s’impose aux personnes exerçant une fonction publique".

De même lorsque la demande de protection émane d’un fonctionnaire en litige avec le maire, ce dernier ne peut pas se prononcer sur la demande. Il lui appartient de se déporter et de s’abstenir de toute instruction. C’est ce qu’a rappelé la cour administrative d’appel de Douai à un maire qui faisait l’objet d’une procédure pour harcèlement moral sur plainte d’un fonctionnaire (Cour administrative d’appel de Douai, 3 février 2022, N° 20DA02055).

Même si l’élu n’a pas participé à la délibération

L’espèce jugée par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 8 mars 2023 est plus singulière car l’élu poursuivi n’avait pas pris part à la délibération se prononçant sur l’octroi de la protection fonctionnelle. Un maire (commune de plus de 10 000 habitants) avait été poursuivi et condamné pour prise illégale d’intérêts. Il lui était reproché d’avoir mis gratuitement à la disposition d’une association exploitant une radio, des locaux, des matériels et des agents de la commune, et d’avoir participé à l’attribution par cette commune de subventions (pour un montant total sur plusieurs années de 1,25 million d’euros) à cette association dont il avait été président honoraire et qui faisait la promotion de la ligne politique de son parti.

L’élu avait sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle pour cette procédure. Il avait pris soin de ne pas prendre part au vote. Le procureur de la République a cependant déclenché à son encontre des poursuites pour détournement de fonds publics estimant que la protection fonctionnelle ne pouvait lui être accordée en présence d’une faute faute personnelle détachable.

La chambre de l’instruction n’avait pas jugé abusif l’octroi de la protection fonctionnelle. Les juges soulignent en effet :
 que le jugement condamnant l’élu « pour prise illégale d’intérêts n’est pas définitif en raison de l’appel interjeté par le prévenu,
 que de surcroît aucun texte légal n’édicte que le délit de prise illégale d’intérêts constitue, de droit, une faute détachable de l’exercice des fonctions publiques qui prive l’élu condamné du droit de demander la protection fonctionnelle,
 et qu’enfin aucune des deux délibérations ayant accordé [au maire] ladite protection n’a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. »

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt dès lors que « les infractions de prise illégale d’intérêts sont détachables des mandats et fonctions publics exercés par leur auteur ».
Peu importe dans ces conditions que l’élu n’ait pas participé à la délibération : « la circonstance que [le maire], qui a sollicité l’octroi de la protection

fonctionnelle et a bénéficié des fonds versés par la commune au titre de celle-ci, n’a pas pris part aux délibérations du conseil municipal l’ayant octroyée, n’était pas en soi de nature à exclure l’existence d’indices de la commission par l’intéressé des délits de détournement de fonds public et de recel de cette infraction ».

De fait le Conseil d’Etat avait déjà écarté le bénéfice de la protection fonctionnelle pour le cas d’un militaire poursuivi pour prise illégale d’intérêts et favoritisme (Conseil d’État, 23 décembre 2009, N° 308160). L’arrêt de la chambre criminelle du 8 mars permet de souligner que l’attribution trop large de la protection fonctionnelle à un élu ou à un fonctionnaire peut constituer un détournement de fonds publics car cela conduit à mobiliser des fonds publics pour la défense d’un élu ou d’un agent qui a commis une faute personnelle détachable.

Deux points d’attention

Deux points méritent une attention particulière :

 d’une part il faut rappeler que la collectivité lorsqu’elle se prononce n’a pas nécessairement connaissance de l’issue de la procédure. Les juges de la chambre de l’instruction avaient d’ailleurs souligné que le jugement condamnant l’élu n’était pas définitif. Peu importe : il appartient à la collectivité de se prononcer au regard des éléments dont elle dispose sans être liée par le principe de la présomption d’innocence. Rappelons à ce titre que selon nos chiffres, plus de six élus ou fonctionnaires sur dix bénéficient au final d’une décision qui leur est favorable ;

 d’autre part, le délit de prise illégale d’intérêts, comme le délit de favoritisme, peuvent être caractérisés sans que l’élu ou le fonctionnaire n’ait retiré un avantage

personnel, ni porté atteinte aux intérêts de la collectivité (voir notamment Prise illégale d’intérêts : du nouveau pour les élus locaux ? et Vote des subventions aux associations : attention danger !). L’affirmation de principe selon laquelle la prise illégale d’intérêts (comme le délit de favoritisme) est nécessairement une faute détachable des fonctions, mériterait dans ces conditions d’être nuancée en fonction des circonstances de chaque espèce. L’arrêt de la chambre criminelle n’ouvre cependant pas de portes en ce sens.

Un précédent

La chambre criminelle [2] s’était déjà prononcée dans un sens similaire. En l’espèce le président d’une collectivité territoriale avait été condamné pour avoir accordé la protection fonctionnelle à l’ancien président (et opposant politique !) poursuivi pour délit de favoritisme dans l’exercice de ses fonctions. Peu importe que la délibération octroyant la protection avait été votée à l’unanimité : « les infractions de favoritisme sont détachables des mandats et fonctions publics exercés par leurs auteurs, obligés d’en supporter personnellement les conséquences ».

Il pèse ainsi sur la collectivité une obligation d’instruction lors d’une demande de protection d’un élu (comme d’un agent) pour vérifier que l’intéressé n’a pas commis

de faute personnelle. Tout particulièrement lorsque l’élu ou le fonctionnaire est poursuivi pour des infractions relevant des manquements au devoir de probité. Si la protection fonctionnelle est accordée trop facilement (alors que l’élu ou l’agent a poursuivi un mobile d’ordre privé ou a commis une faute d’une particulière gravité), non seulement la décision de la collectivité risque d’être annulée par le juge administratif mais d’éventuelles poursuites pénales peuvent être engagées pour détournement de fonds publics. En cas de doute sur la nature de la faute, les collectivités seront sans doute plus réticentes à accorder la protection, le risque juridique d’un refus (recours devant le tribunal administratif) étant moindre que celui d’une éventuelle procédure pénale ouverte en cas d’acceptation de la demande.

L’intérêt de l’assurance personnelle

D’où l’intérêt renforcé pour les élus et les fonctionnaires de souscrire une assurance personnelle qui les couvre dans l’exercice de leurs fonctions pour éviter ce type de désagréments. La cotisation étant payée sur leurs deniers personnels, le déclenchement de la garantie ne supposera pas une délibération du conseil municipal (pour les élus) ou une décision de l’autorité territoriale (pour les fonctionnaires). C’est l’objet des contrats "Sécurité élus" et "Sécurité fonctionnaires territoriaux" que propose SMACL Assurances. Dans le respect du principe de la présomption d’innocence, SMACL Assurances prend alors en charge, dans la limite du plafond de garantie, les frais de défense de l’élu ou du fonctionnaire lequel, dans plus de 60 % des cas, bénéficiera au final d’une décision qui lui est favorable. Ce n’est que si l’élu est condamné définitivement pour des faits intentionnels, que SMACL Assurances demandera à l’élu ou au fonctionnaire le remboursement des sommes exposées, la faute intentionnelle constituant une exclusion de garantie.

Les points clés à retenir

👉 Un élu ou un fonctionnaire poursuivi dans l’exercice de ses fonctions ne peut obtenir la protection de la collectivité que s’il n’a pas commis de faute personnelle détachable.

👉 Lorsqu’elle se prononce la collectivité n’est pas liée par le principe de la présomption d’innocence.

👉 Si la collectivité accorde trop largement la protection, non seulement la décision pourra être annulée devant le juge administratif, mais des poursuites pénales peuvent être engagées pour détournement de fonds publics.

👉 En l’espèce la Cour de cassation estime que le délit de prise illégale d’intérêts exclut le bénéfice de la protection fonctionnelle s’agissant d’une faute personnelle détachable. Elle en avait déjà jugé de même s’agissant du délit de favoritisme.

👉 Les élus et les fonctionnaires ont tout intérêt à souscrire une assurance personnelle qui les couvre dans l’exercice de leurs fonctions.

Cour de cassation, Chambre criminelle, 8 mars 2023,N° 22-82.229

[1Conseil d’Etat, 28 décembre 2001, N° 213931

[2Cour de cassation, chambre criminelle, 22 février 2012, N° 11-81476 ; pour un commentaire de cet arrêt voir "Lorsque l’octroi illicite de la protection fonctionnelle vire au détournement de fonds publics" par Me Bertrand Nuret, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 47, 26 Novembre 2012, 2382