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Protection fonctionnelle : les critères permettant de caractériser la faute personnelle détachable des fonctions précisés par le Conseil d’Etat

Conseil d’Etat, 30 décembre 2015, N° 391798 & N° 391800

Une collectivité peut-elle refuser la protection fonctionnelle à un élu (ou à un agent) poursuivi pénalement au motif que les faits qui lui sont imputés sont intentionnels ?

Non, ni la qualification retenue par le juge pénal, ni le caractère intentionnel des faits retenus contre l’intéressé ne suffisent, par eux-mêmes, à regarder une faute comme étant détachable des fonctions et justifiant l’exclusion du droit à la protection fonctionnelle. Selon le Conseil d’Etat, présentent le caractère d’une faute personnelle détachable des fonctions des faits qui : 

 révèlent des préoccupations d’ordre privé ; 

 procèdent d’un comportement incompatible avec l’exercice de fonctions publiques ; 

 ou revêtent une particulière gravité, eu égard à leur nature ou aux conditions dans lesquelles ils ont été commis. 

Si, en l’état de l’instruction, les éléments dont dispose la collectivité pour fonder son appréciation vont dans le sens de l’un de ces critères, la protection doit être refusée à l’élu (ou à l’agent) poursuivi. Et ce même s’il est encore présumé innocent. En l’espèce le Conseil d’Etat estime qu’une commune ne peut accorder sa protection à un élu poursuivi des chefs d’incitation à la haine raciale et de détournements de fonds publics. En effet : 

 les propos à caractère raciste "eu égard à leur nature et à leur gravité, procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques" ; 

 les détournements "révèlent des préoccupations d’ordre privé".

 

Poursuivi au pénal dans deux affaires distinctes, le maire d’une ville de 11 000 habitants est condamné à deux reprises par le tribunal correctionnel :

 une fois pour incitation à la haine raciale, pour des propos tenus lors d’une réunion de quartier ;

 une autre pour détournement de biens publics pour l’acquisition, sur les deniers de la commune, de deux voitures de sport, sans rapport avec les besoins de l’administration communale, et pour l’utilisation abusive de la carte de carburant mise à sa disposition.

 

A l’appui de l’appel formé contre ces deux jugements, le maire demande à bénéficier de la protection fonctionnelle à la commune. En effet aux termes de l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales :

 
(...) La commune est tenue d’accorder sa protection au maire (...) lorsque celui-ci fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions."
 

Cela implique notamment que la commune paye l’avocat qui assure la défense de l’élu poursuivi.

Le conseil municipal fait droit à cette demande. Mais le préfet demande en référé la suspension de ces délibérations estimant que les faits reprochés à l’élu sont constitutifs d’une faute personnelle excluant le bénéfice de la protection fonctionnelle.

 

Le juge des référés donne raison au préfet, ce que confirme le juge des référés de la cour administrative d’appel : les faits pour lesquels l’élu est poursuivi sont intentionnels et ne peuvent donc justifier l’octroi de la protection fonctionnelle.

Une faute personnelle détachable n’est pas nécessairement intentionnelle (?)

Le pourvoi du maire offre l’occasion au Conseil d’Etat de mieux délimiter les contours de la faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions excluant le bénéfice de la protection fonctionnelle :

 
"présentent le caractère d’une faute personnelle détachable des fonctions de maire des faits qui révèlent des préoccupations d’ordre privé, qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité"

Trois critères alternatifs (et non cumulatifs) peuvent donc être retenus pour exclure le bénéfice de la protection fonctionnelle :

 la poursuite par l’intéressé d’un mobile d’ordre privé ;

 un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques ;

 des faits, qui par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils ont été commis, sont d’une particulière gravité.

 

Le Conseil d’Etat ne semble, en revanche, pas faire du caractère intentionnel de la faute, un critère déterminant. Ce qui peut laisser supposer, par une interprétation a contrario, qu’un élu ou un agent responsable d’une mort accidentelle pourrait se voir refuser l’octroi de la protection fonctionnelle si une faute d’une particulière gravité à l’origine de l’accident lui était imputée. Par la même occasion, les juridictions judiciaires seraient donc compétentes pour le condamner personnellement à indemniser les victimes. Si telle est bien la lecture qu’il faut donner à ces deux arrêts du Conseil d’Etat, il y aurait là une divergence d’appréciation avec la Cour de cassation qui considère qu’une faute non intentionnelle, même d’une particulière gravité, ne saurait engager la responsabilité civile personnelle de l’élu ou de l’agent devant les juridictions judiciaires [1]

Toute faute intentionnelle n’est pas une faute détachable

En revanche, poursuit le Conseil d’Etat,

 
ni la qualification retenue par le juge pénal ni le caractère intentionnel des faits retenus contre l’intéressé ne suffisent par eux-mêmes à regarder une faute comme étant détachable des fonctions, et justifiant dès lors que le bénéfice du droit à la protection fonctionnelle soit refusé au maire qui en fait la demande".

Pour le coup, aucun doute n’est permis : toute faute intentionnelle commise par un élu ou un fonctionnaire n’est pas nécessairement constitutive d’une faute personnelle. De même la qualification retenue devant le juge pénal ne saurait suffire à écarter, par principe, la protection.

 

Une collectivité ne peut donc refuser d’accorder la protection fonctionnelle à un élu poursuivi pénalement au seul motif que la qualification retenue relèverait de délits intentionnels. voire d’un crime (comme le faux en écriture publique commis par un agent public). On songe notamment aux délits de favoritisme et de prise illégale d’intérêts qui peuvent être caractérisés sans que le prévenu ait recherché un mobile personnel, ait eu un comportement incompatible avec ses fonctions publiques, ou ait commis une faute caractérisée [2]

 

A cet égard, le Conseil d’Etat censure l’ordonnance du juge des référés de la cour administrative d’appel, lui reprochant d’avoir rejeté l’appel du conseil municipal "au seul motif que les faits au titre desquels la protection fonctionnelle avait été accordée au maire revêtaient un caractère intentionnel".

 

Le Conseil d’Etat confirme néanmoins, qu’il existe un doute sérieux, "en l’état de l’instruction", sur la légalité des délibérations du conseil municipal, justifiant ainsi leur suspension :

 les propos à caractère raciste "eu égard à leur nature et à leur gravité, procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques" ;

 les détournements imputés à l’élu "révèlent des préoccupations d’ordre privé".

Et la présomption d’innocence ?

Dans les deux cas, le Conseil d’Etat, prend le soin de préciser que c’est "en l’état de l’instruction" que la légalité de la délibération présente un doute sérieux, laissant ainsi sous-entendre que cette appréciation pourrait évoluer au fil de l’avancement du dossier si la collectivité disposait d’éléments nouveaux.

 

L’occasion de rappeler, que les collectivités ne sont pas liées par le principe de présomption d’innocence au moment où elles se prononcent sur l’octroi de la protection fonctionnelle et ne sont pas plus tenues de procéder à une enquête contradictoire avant de prendre leur décision, laquelle d’ailleurs ne constitue pas une sanction disciplinaire [3] : elles peuvent rejeter la demande de protection en se fondant sur les faits dont elles disposent au moment où elles se prononcent sur la demande.

 

Toujours est-il que ces deux arrêts du Conseil d’Etat confirment que l’octroi de la protection fonctionnelle est loin d’être automatique pour les élus et les agents poursuivis. Ce d’autant que la délibération octroyant la protection fonctionnelle peut faire l’objet d’un recours devant le juge des référés.

 

D’où l’intérêt pour les élus et les fonctionnaires de souscrire une assurance personnelle qui les couvre dans l’exercice de leurs fonctions : la prime étant payée sur les deniers personnels de l’intéressé, elle n’induit pas la mise à contribution de deniers publics et permet une défense autonome sans saisine du conseil municipal.

Avec une réserve importante toutefois : la faute intentionnelle constitue une cause d’exclusion de garantie.

 

Mais pour le coup, l’assureur, du moins c’est le cas dans les contrats proposés par SMACL Assurances, respecte le principe de présomption d’innocence : l’élu ou l’agent poursuivi est défendu y compris si les faits qui lui sont imputés sont intentionnels. Ce n’est qu’en cas de condamnation définitive [4], établissant une faute intentionnelle [5], que SMACL Assurances demandera le remboursement des sommes versées.

 

[1Cass crim 13 février 2007 N° 06-82264. Pour un commentaire de cet arrêt suivre le lien proposé en fin d’article).

[2Le délit de favoritisme peut par exemple résulter d’une mauvaise application du code des marchés publics ; la prise illégale d’intérêts peut être caractérisée, par exemple, par la participation de l’élu au vote d’une subvention à une association dont il est membre.

[3Conseil d’Etat, 28 décembre 2001, N° 213931

[4Décision qui n’est plus susceptible de voie de recours.

[5En droit des assurances, la faute intentionnelle suppose la volonté de causer le dommage. Outre qu’une telle exclusion est morale, elle repose sur un aspect technique fondamental : l’intention supprime l’aléa sur lequel repose le contrat d’assurance.