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Prise illégale d’intérêts : du nouveau pour les élus locaux ?

Dernière mise à jour le 7 décembre 2022

Sur recommandations de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) l’article 432-12 du code pénal réprimant la prise illégale d’intérêts a été modifié dans l’espoir de mieux circonscrire le champ de l’infraction. Les élus locaux peuvent-ils en attendre un exercice plus serein de leur mandat ?

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Qu’est-ce que la prise illégale d’intérêts ?

Le délit de prise illégale d’intérêts, connue aussi sous le nom de délit d’ingérence, est réprimé par l’article 432-12 du code pénal.
Il ne faut pas pouvoir laisser suspecter qu’une décision publique, quelle qu’elle soit, ait été parasitée par un intérêt personnel, direct ou indirect (par personne interposée), d’un élu local ou d’un agent public au sens large. Cet intérêt peut-être matériel ou moral.

L’objectif est légitime et s’inscrit dans la nécessaire lutte contre les conflits d’intérêts. La mise en œuvre pratique du texte peut néanmoins conduire à des excès car il n’est pas toujours facile de déterminer en amont ce qui est répréhensible ou non. En effet le texte de l’article 432-12 du code pénal est rédigé en des termes très larges.

 

Charte de l’élu local


La loi n°2015-366 du 31 mars 2015 a introduit, à l’article L.1111-1-1 du Code général des collectivités territoriales, la Charte de l’élu local. Les dispositions de cette charte constituent le code de bonne conduite auquel les élus doivent se conformer pendant la durée de leur mandat.
Aux termes de la loi du 31 mars 2015, lecture de la charte de l’élu local est faite lors de la séance d’installation, par le chef de l’exécutif local lors de tout nouveau conseil (municipal, départemental, régional ou communautaire). Les articles 2 à 5 de cette charte rejoignent la problématique des conflits d’intérêts. La loi 3DS a ajouté la possibilité pour les élus de saisir un référent déontologue. Un décret d’application doit en préciser les modalités.
 
L’Observatoire SMACL a publié un guide pratique pour mettre en oeuvre cette charte tout au long du mandat avec notamment un chapitre consacré à la prévention des conflits d’intérêts. Il est librement téléchargeable.

Quelle est la définition du conflit d’intérêts ?

Aux termes de l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, « constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».

 

Cette définition est à rapprocher de l’article 432-12 du code pénal qui définit la prise illégale d’intérêts comme étant « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».

 

Il est indispensable de combiner ces textes pour pouvoir cerner au mieux ce qui constitue un conflit d’intérêts et ce qui est permis ou non, le tout à la lumière des précisions apportées par la jurisprudence.

Annulation possible de la délibération


En parallèle à d’éventuelles recherches en responsabilité, la participation d’un conseiller intéressé peut en outre conduire à l’annulation de la délibération litigieuse.

En effet aux termes de l’article L2131-11 du code général des collectivités territoriales :

« Sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l’affaire qui en fait l’objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires ».

Pour apprécier si la participation d’un élu au vote et/ou aux débats est de nature à vicier la délibération et conduire à l’annulation de l’acte (un marché public par exemple), le juge administratif vérifie in concreto :

 d’une part, que l’intérêt personnel de l’élu est distinct de celui de la « généralité des habitants »,

 d’autre part que l’élu a bien eu une influence effective sur la délibération.
Ainsi la seule participation au vote d’une délibération d’un conseiller intéressé ne suffit pas nécessairement à vicier la délibération.

C’est ainsi que le Conseil d’Etat (Conseil d’État, 26 octobre 2012, N° 351801) a jugé que la qualité de viticulteur d’un maire et d’une conseillère ne suffisait pas à les considérer comme personnellement intéressés à une délibération favorisant la vente de vins du terroir dès lors que le secteur viticole représentait l’activité économique prépondérante de la commune (qui compte notamment quarante-sept producteurs) et une part dominante des emplois de ses habitants. Il n’est pas du tout acquis que saisis de tels faits le juge pénal n’aurait pas tranché au détriment des deux élus.

Le juge pénal n’est en effet pas sur la même logique car il applique l’article 432-12 du code pénal. Pour le juge pénal, il est ainsi indifférent que l’intérêt de l’élu soit convergent avec celui de la collectivité.

Quelles peines encourues ?

 cinq ans d’emprisonnement ;

 une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction.

 

L’article 131-26-2 du Code pénal, inséré depuis la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, prévoit le prononcé obligatoire, pour tous les crimes et pour une série de délits mentionnés à cet article (dont la prise illégale d’intérêts), de la peine complémentaire d’inéligibilité.
Il appartient au juge de prononcer explicitement cette peine et d’en fixer la durée. Toutefois, il peut écarter expressément le prononcé de cette peine, par une décision spécialement motivée, en considération des circonstances de l’infraction ou de la personnalité de son auteur.

Un élu condamné à une peine d’inéligibilité en cours de sa mandature ne peut rester en fonction. En effet, sur le fondement d’une condamnation définitive à une peine d’inéligibilité (ou d’une condamnation non définitive dont le juge pénal a décidé l’exécution provisoire), le préfet est tenu de déclarer l’élu démissionnaire d’office. Le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, 20 juin 2012, N° 356865) l’a rappelé s’agissant d’un maire et conseiller communautaire condamné en 1ère instance des chefs de favoritisme et de détournement de biens publics (pour avoir favorisé une entreprise dans l’attribution d’un marché public en lui confiant la rédaction du cahier des charges et pour avoir confié à des fonctionnaires municipaux la réalisation de travaux à son domicile) :
« dès lors qu’un conseiller municipal ou un membre de l’organe délibérant d’un établissement public de coopération intercommunale se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d’une condamnation devenue définitive ou d’une condamnation dont le juge pénal a décidé l’exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer démissionnaire d’office ».

Quels sont les principaux points de vigilance ?

  • La prévention des conflits d’intérêts ne se limite pas à l’attribution de marchés publics. Elle concerne tous les secteurs d’activités ou de compétences de la collectivité territoriale (autorisations d’urbanisme, recrutements, subventions aux associations, ventes ou achats de biens…).
  • Un conflit d’intérêts n’oppose pas nécessairement un intérêt public à un intérêt privé. Il peut y avoir conflit entre deux intérêts publics. Cette question fait débat et suscite des interrogations. A la frontière du conflit d’intérêt public-public, ont été condamnés des élus pour avoir voté des subventions à des associations dont ils étaient membres de droit en qualité de représentants de leur collectivité et ce même s’ils ne défendaient aucun intérêt personnel au sein de l’association : "l’intérêt, matériel ou moral, direct ou indirect, pris par des élus municipaux en participant au vote des subventions bénéficiant aux associations qu’ils président entre dans les prévisions de l’article 432-12 du code pénal". Peu importe "que ces élus n’en aient retiré un quelconque profit et que l’intérêt pris ou conservé ne soit pas en contradiction avec l’intérêt communal" (Cour de cassation, chambre criminelle, 22 octobre 2008, N° 08-82068).
  • Le conflit d’intérêts n’est pas nécessairement effectif mais peut relever de l’apparence. Pour reprendre la formule d’un avocat, la décision publique « doit être chimiquement pure » : on ne doit pas pouvoir suspecter qu’un intérêt public a été pollué par un intérêt privé. Il convient d’apprécier in concreto l’apparence d’un conflit d’intérêts en utilisant un faisceau d’indices.
  • L’intérêt répréhensible n’est pas nécessairement matériel : il peut s’agir d’un intérêt moral, familial, amical. 
  • Il n’est pas nécessaire que l’intérêt de l’élu porte atteinte à l’intérêt de la collectivité : la prise illégale d’intérêts peut être caractérisée même si les intérêts de l’élu et de la collectivité sont convergents. Il n’est pas plus nécessaire de démontrer que l’élu ait retiré un avantage de la décision litigieuse. 
  • L’intérêt pris par l’élu peut être direct mais aussi indirect, par personnes interposées. Pour savoir si l’élu a un intérêt dans une décision, il faut aussi se demander si cette décision publique ne bénéficie pas à l’un de ses proches (cercle familial ou amical). Où s’arrête-t-on dans le cercle de relation de l’élu ? Le texte ne le dit pas. Le code pénal ne définit pas un degré de parenté au-delà duquel la décision ne serait plus soupçonnable. L’appréciation se fait au cas par cas (in concreto). Dans une étude publiée dans le rapport annuel de la Cour de cassation (1999) Xavier Samuel soulignait ainsi que "la situation délictueuse s’arrête là où le soupçon n’a plus cours". Il appartient au juge, ajoutait-il, "de faire le partage, dans cette dernière hypothèse, entre les cas où la décision publique ne peut être soupçonnée de partialité et ceux où elle peut l’être". Cela peut conduire les élus à se déporter au moindre doute, même si le lien est très tenu, s’ils ne veulent pas prendre le risque de s’exposer à des poursuites pénales.
Sur ce point il est intéressant de constater que le Conseil constitutionnel (décision du 9 octobre 2013), se prononçant sur le champ de la déclaration d’intérêts que doivent remplir certains élus locaux (notamment les maires des communes de plus de 20 000 habitants et les présidents des EPCI de plus de 20 000 habitants), a censuré les dispositions de la loi qui visaient à déclarer les activités professionnelles des parents et enfants des élus concernés. Une telle disposition a été jugé excessive. Pourtant pour le juge pénal c’est bien le cercle familial au sens large et même amical qui sera pris en compte pour déceler un éventuel conflit d’intérêt.
 
  •  Les élus doivent être vigilants lorsqu’ils représentent la collectivité dans les organismes extérieurs (Syndicat, SPL, SEM, Universités, Établissements hospitaliers, Associations avec missions d’intérêt général, Associations du personnel...). Non seulement bien sûr, et c’est normal, lorsqu’une délibération porte sur l’octroi d’une subvention ou sur l’attribution d’un marché public mais aussi, et c’est plus critiquable, lorsqu’ils doivent rendre compte de leur activité au sein de leur assemblée ! Sur ce point Me Levent-Saban estime que la doctrine de la HATVP sur cette question, qui semble minimiser le risque pénal en permettant aux élus de rendre compte de leur activité au sein de leur assemblée, est "insécurisante" : « une telle nuance, même si on en comprend parfaitement l’utilité politique pour l’élu, ne saurait malheureusement ni prévaloir sur le texte du code pénal qui est d’interprétation stricte et qui n’autorise pas l’élu à une telle participation en pratique, ni valoir fait justificatif en matière de droit pénal général pour justifier par exemple l’acte de l’élu s’il était poursuivi… En d’autres termes, l’élu qui siégerait, même comme simple administrateur, au conseil d’administration d’une association en qualité de représentant de sa commune, doit s’interdire, non seulement de participer à tout débat et vote et à toute réunion d’une commission au sein de sa collectivité qui aurait pour objet l’activité de ladite association, mais aussi de rendre compte de l’activité de cet organisme au sein de sa collectivité ». Cette prudence, poursuit-il, évitera tout débat de nature pénale sur l’existence ou non d’un intérêt pour l’élu au sens de l’article 432-12 du Code pénal pour cet acte de participation à une réunion d’assemblée pour rendre compte de son activité au sein de l’organisme extérieur dans lequel il a été désigné.
  • Le chef de l’exécutif (maire ou président) doit non seulement veiller à sa propre situation mais également à celles des conseillers. A défaut, il peut, si des actes positifs peuvent lui être imputés, engager sa propre responsabilité pour complicité.
Dans un arrêt rendu en 2016 la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre criminelle, 15 juin 2016, N° 15-81124) a confirmé la condamnation d’un maire (commune de 5000 habitants) pour complicité de prise illégale d’intérêts commise par un adjoint. En l’espèce il était notamment reproché à l’adjoint à la voirie d’une commune de 5000 habitants d’avoir participé à la délibération du conseil municipal relative à la révision du plan local d’urbanisme (PLU) prévoyant, notamment, le reclassement partiel d’une parcelle appartenant à son épouse située initialement en zone agricole, dans une zone constructible. Le maire était pour sa part poursuivi pour complicité. Il n’avait aucun intérêt personnel dans le dossier mais il lui est notamment reproché d’avoir, nécessairement en relation avec son adjoint, inclut dans le PLU le reclassement d’une parcelle qui n’avait pas été envisagé initialement. Pour sa défense, le maire faisait notamment valoir que lui n’avait pris dans l’opération aucun intérêt personnel. Peu importe lui répond la Cour de cassation « dès lors que le délit de complicité de prise illégale d’intérêts n’exige pas la caractérisation d’un tel intérêt pour le complice. »

Plus récemment le tribunal correctionnel de Cahors (Tribunal correctionnel de Cahors, 8 octobre 2020) avait condamné le président d’une communauté de communes pour complicité de prise illégale d’intérêts imputée à une conseiller communautaire. En cause l’attribution d’un marché public à une entreprise pour des travaux de voirie. La procédure de mise en concurrence et d’attribution a été scrupuleusement respectée et la délibération adoptée à l’unanimité des conseillers communautaires. Mais précisément l’un des conseillers communautaires était l’ancien fondateur et gérant de cette société désormais détenue par son fils. Or il a participé, comme les autres conseillers, aux débats et au vote. Le président de l’EPCI avait été condamné pour complicité à 4000 euros, dont 2000 euros avec sursis, pour complicité. Il lui était reproché de ne pas avoir interdit au conseiller communautaire intéressé de participer au vote alors qu’il connaissait le lien de parenté. La cour d’appel d’Agen (arrêt du 23 juin 2022) relaxe finalement le président du Conseil communautaire en soulignant que la seule circonstance de la connaissance du lien de parenté entre l’élu et dirigeant de la société retenue ne suffisait pas à établir les actes positifs de complicité.

Quelles dérogations pour les communes de moins de 3501 habitants ?

L’article 432-12 du code pénal réprimant la prise illégale d’intérêts prévoit un régime dérogatoire pour les communes de moins de 3501 habitants. Ainsi dans ces communes (et uniquement dans ces communes), les maires, adjoints ou conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent chacun traiter au nom de la commune et avec la commune dont ils sont élus pour :

 

  • le transfert de biens mobiliers ou immobiliers (ex : achats par la collectivité de biens appartenant à l’élu) ou la fourniture de services (ex : travaux réalisés par un maire artisan au profit de la collectivité) dans la limite d’un montant annuel fixé à 16 000 euros ;
  • acquérir une parcelle d’un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle ou conclure des baux d’habitation avec la commune pour leur propre logement (mais ces actes doivent être autorisés, après estimation des biens concernés par le service des domaines, par une délibération motivée du conseil municipal) ;
  • acquérir un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle. Le prix ne peut être inférieur à l’évaluation du service des domaines. L’acte doit être autorisé, quelle que soit la valeur des biens concernés, par une délibération motivée du conseil municipal.

Dans ces cas, la commune doit être représentée dans les conditions prévues par l’article L. 2122-26 du code général des collectivités territoriales et le maire, l’adjoint ou le conseiller municipal intéressé doit s’abstenir de participer à la délibération du conseil municipal relative à la conclusion ou à l’approbation du contrat.


En outre, par dérogation au deuxième alinéa de l’article L. 2121-18 du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal ne peut décider de se réunir à huis clos.

 
Ces dérogations sont soumises à de strictes conditions de forme et de fond. Dans une étude publiée dans le rapport annuel de la Cour de cassation (édition 1999) Xavier Samuel, magistrat, faisait notamment observer que les dérogations sont d’interprétation stricte et ne peuvent concerner l’entourage du maire :par exemple si un élu peut acquérir sous certaines conditions une parcelle d’un lotissement communal pour y construire sa maison d’habitation, cette même faculté n’est pas ouverte à ses enfants. Il est en de même pour les facilités relatives à l’installation d’un fonds de commerce. En matière de marchés publics ces dérogations ne doivent pas non plus être interprétées comme la possibilité de déroger aux principes généraux de la commande publique. Le juge pénal est vigilant. Ainsi pour apprécier si le seuil de 16 000 euros est atteint ou non il faut prendre en compte le montant global du marché et ne pas s’attacher au seul montant du lot confié ou sous-traité à l’entreprise du maire.
Dans un arrêt rendu le 6 juin 2019, la cour administrative d’appel de Bordeaux a eu à connaitre de la situation d’un maire d’une commune de 100 habitants reconnu coupable de prise illégale d’intérêt pour avoir réalisé, en sa qualité d’artisan, les travaux de réfection de l’église et d’avoir artificiellement scindé son offre afin de présenter deux devis d’un montant proche de 16 000 euros (pour pouvoir invoquer le bénéfice des dérogations applicables aux communes rurales). Dans le prolongement de la condamnation pénale du maire à 1500 euros d’amende, la collectivité lui demandait le remboursement des sommes versées en exécution du marché litigieux. Le juge administratif donne raison à la commune en estimant que les irrégularités commises constituent des fautes graves de nature à vicier le consentement de la collectivité. Et ce même si la commune n’a subi aucun préjudice. L’élu est ainsi condamné à rembourser à la commune le montant des factures acquittées pour un montant de plus de 40 000 euros.

Quelles sont les préconisations de la HATVP ?

La HATVP a suggéré au législateur d’intervenir sur deux points :

 préciser, à l’article 432-12 du Code pénal, qu’est sanctionnée, non plus la prise d’un « intérêt quelconque », mais la prise d’un intérêt « de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité » de la personne. Cette modification a été opérée par la loi 2021 -1729 du 22 décembre 2021 ;

 prévoir, par l’ajout d’un alinéa, une dérogation aux dispositions de l’article 432-12 du code pénal, pour que l’élu siégeant, en tant que représentant de sa collectivité, aux organes dirigeants d’un établissement public à caractère industriel et commercial, d’une société d’économie mixte ou d’une société publique locale, puisse participer aux décisions de sa collectivité portant sur cet organisme, à l’exception des décisions lui procurant un avantage personnel, direct ou indirect, des décisions visant l’attribution de subventions et des décisions relatives aux marchés publics et aux délégations de service public, en cohérence avec l’article L. 1524-5 du code général des collectivités territoriales.

 

Cette deuxième préconisation a fait l’objet d’un amendement sénatorial intégré dans la loi 3DS (loi n° 2022-217 du 21 février 2022) qui rétablit l’article L. 1111‑6 du CGCT en ces termes :

« Art. L. 1111‑6. – I. – Les représentants d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales désignés pour participer aux organes décisionnels d’une autre personne morale de droit public ou d’une personne morale de droit privé en application de la loi ne sont pas considérés, du seul fait de cette désignation, comme ayant un intérêt, au sens de l’article L. 2131‑11 du présent code, de l’article 432‑12 du code pénal ou du I de l’article 2 de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur une affaire intéressant la personne morale concernée.

« II. – Toutefois, à l’exception des délibérations portant sur une dépense obligatoire au sens de l’article L. 1612‑15 du présent code et sur le vote du budget, les représentants mentionnés au I du présent article ne participent pas aux décisions de la collectivité territoriale ou du groupement attribuant à la personne morale concernée un contrat de la commande publique, une garantie d’emprunt ou une aide revêtant l’une des formes prévues au deuxième alinéa du I de l’article L. 1511‑2 et au deuxième alinéa de l’article L. 1511‑3, ni aux commissions d’appel d’offres ou à la commission prévue à l’article L. 1411‑5 lorsque la personne morale concernée est candidate, ni aux délibérations portant sur leur désignation ou leur rémunération au sein de la personne morale concernée.

« III (nouveau). – Le II du présent article n’est pas applicable :

« 1° Aux représentants des collectivités territoriales ou de leurs groupements qui siègent au sein des organes décisionnels d’un autre groupement de collectivités territoriales ;

« 2° Aux représentants des collectivités territoriales ou de leurs groupements qui siègent au sein des organes décisionnels des établissements mentionnés aux articles L. 123‑4 et L. 123‑4‑1 du code de l’action sociale et des familles et à l’article L. 212‑10 du code de l’éducation. »

Le texte modifie dans le même sens l’article L. 1524‑5 du CGCT relatif aux SEML :

Nonobstant l’article L. 1111-6 du présent code, les élus locaux agissant en tant que mandataires des collectivités territoriales ou de leurs groupements au sein du conseil d’administration ou de surveillance des sociétés d’économie mixte locales et exerçant les fonctions de membre ou de président du conseil d’administration, de président-directeur général ou de membre ou de président du conseil de surveillance, ne sont pas considérés, de ce seul fait, comme étant intéressés à l’affaire, au sens de l’article L. 2131-11 du présent code, de l’article 432-12 du code pénal ou du I de l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur ses relations avec la société d’économie mixte locale. Cette seule qualité emporte les mêmes conséquences lorsque l’élu local participe aux délibérations du conseil d’administration ou de surveillance de la société portant sur ses relations avec la collectivité ou le groupement qu’il représente. Elle n’entraîne pas davantage l’application des articles L. 225-40 et L. 225-88 du code de commerce.
Toutefois, lorsque la société d’économie mixte locale est candidate à l’attribution d’un contrat de la commande publique, ils ne peuvent participer aux commissions d’appel d’offres, ni aux commissions mentionnées à l’article L. 1411-5, ni à la délibération attribuant le contrat. De la même façon, ils ne peuvent participer aux délibérations accordant à cette société une aide régie par le titre Ier du présent livre ou une garantie d’emprunt prévue aux articles L. 2252-1, L. 3231-4 ou L. 4253-1, ni aux délibérations mentionnées aux premier, troisième et dixième alinéas du présent article.

Ces nouvelles dispositions sont de nature à apporter en partie une réponse à la problématique posée par la représentation des élus au sein des organismes extérieurs (voir à ce sujet le point de vigilance n°7). Tout n’est pas réglé pour autant ce d’autant que l’expression "en application de la loi" suscite des interrogations.

La suppression de la notion d’intérêt "quelconque" sera-t-elle de nature à modifier la pression pénale exercée sur les élus locaux ?

Nous avons posé la question dans notre rapport annuel 2021 à quatre avocats (Me Bluteau, Me Goutal, Me Landot, et Me Saban). Nous vous invitons vraiment à prendre le temps de lire cette interview croisée qui est très riche. Ils sont tous unanimes pour conclure que la nouvelle formulation ( intérêt de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité de l’élu) ne change pas fondamentalement la donne et ne devrait pas conduire à une dépénalisation en la matière. Me Yvon Goutal se demande néanmoins si la création par la loi du 22 décembre d’une infraction symétrique pour les magistrats (nouvel article article 432-12-1 du code pénal) ne peut pas, de manière indirecte, à conduire les juges à être plus sensible à la nouvelle formulation. Il sera intéressant de suivre la jurisprudence ce d’autant que le nouveau texte étant moins sévère est d’application immédiate aux affaires en cours non définitivement jugées.

Quels conseils de prévention ?

 La première étape est d’identifier en toute transparence les conflits d’intérêts qui peuvent se présenter au cours du mandat pour pouvoir anticiper. Une bonne pratique peut être en ouverture de séance, comme le prévoit le règlement intérieur de la HATVP pour ses propres séances, de demander aux élus si l’ordre du jour est susceptible de leur poser des questions de conflits d’intérêts. Si un élu se manifeste, il faudra penser à lui demander de sortir de la salle au moment où le sujet est abordé (y compris lors des débats précédant le vote).

 Le deuxième réflexe à avoir est de s’abstenir de prendre part à tout le processus décisionnel concernant le sujet où l’élu se trouve en situation de conflit d’intérêts ou peut être suspecté de l’être. La non-participation au vote ne suffit pas, l’élu local doit aussi sortir de la salle au moment du vote (la seule présence même sans vote peut être perçue comme une forme d’influence). Il devra aussi s’abstenir de toute intervention dans l’instruction, la préparation et le vote du dossier en séance du conseil municipal. Enfin, il doit s’abstenir de donner des instructions pour orienter le sens de la décision. L’élu doit vraiment s’abstenir de toute interférence dans le dossier qui le concerne directement ou indirectement.

 Lorsqu’un maire (il en est de même pour tous les chefs d’exécutifs locaux qu’ils soient présidents d’EPCI, d’un conseil départemental, régional…) estime se trouver dans une situation de conflit d’intérêts, il doit être suppléé par un adjoint auquel il s’abstient de donner des instructions. Le maire doit prendre un arrêté de déport mentionnant la teneur des questions pour lesquelles il estime ne pas pouvoir exercer ses compétences (propres ou déléguées par le conseil municipal) et désignant, dans les conditions prévues par la loi, la personne chargée de le suppléer.


Cette possibilité de déport, introduite par la loi 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et précisée par le décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014, offre aux élus locaux un moyen pratique (l’arrêté de déport) leur permettant de prévenir les conflits d’intérêts. Mais attention : le déport ne doit pas être de pure façade. Il doit se traduire dans les faits par l’absence de toute immixtion de l’élu dans la gestion du dossier qui le concerne.

 
 

 Un mécanisme similaire existe pour les adjoints titulaires de délégation : lorsqu’ils estiment se trouver dans une situation de conflit d’intérêts, les conseillers titulaires d’une délégation en informent le délégant (maire ou président) par écrit, précisant la teneur des questions pour lesquelles ils estiment ne pas devoir exercer leurs compétences. Le maire (ou le président) doit alors prendre un arrêté déterminant en conséquence les questions pour lesquelles la personne intéressée doit s’abstenir d’exercer ses compétences. Le mieux est d’anticiper et de ne pas attendre que le conflit d’intérêts surgisse pour le traiter. D’où l’importance en début de mandat de lister les domaines où les élus peuvent se trouver en situation de conflits d’intérêts au regard notamment de leurs activités professionnelles (ou celles de leurs proches). Les arrêtés de déport pourront être pris par anticipation.

 
 

 Les élus soumis aux obligations de déclaration d’intérêts et de patrimoine peuvent interroger la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) sur de possibles situations de conflit d’intérêts. Lorsqu’elle répond à une demande d’avis émanant d’un déclarant, la Haute Autorité vérifie que la situation de l’intéressé ne lui fait pas courir un risque de nature pénale. Par exemple, lorsqu’un responsable public interroge la Haute Autorité sur une activité exercée en plus de son mandat ou de ses fonctions, elle vérifie que cette activité n’est pas de nature à le placer en situation de prise illégale d’intérêts.

[1Photo : Benjamin Child sur Unsplash

[2Décret n° 2022-1520 du 6 décembre 2022 relatif au référent déontologue de l’élu local