Un maire peut-il se prononcer sur la demande de protection fonctionnelle d’un agent qui a engagé une procédure contre l’élu pour harcèlement moral ?
Non : le principe d’impartialité l’interdit. Le supérieur hiérarchique mis en cause à raison de tels actes ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l’autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné. Il appartenait au maire de se déporter et de désigner un adjoint pour se prononcer sur l’octroi de la protection fonctionnelle de l’agent.
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Un technicien principal territorial sollicite la protection fonctionnelle de sa commune à raison de faits de harcèlement moral dont il estime être victime, notamment de la part du maire lui-même, dans le cadre de ses fonctions.
Sans réponse de sa collectivité l’agent attaque le rejet implicite de sa demande. Le tribunal administratif rejette sa requête. Mais la cour administrative d’appel enjoint à la commune de réexaminer à nouveau la demande de l’agent.
Les faits insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique peuvent justifier une demande de protection fonctionnelle
Les juges d’appel confirment en premier lieu que la protection fonctionnelle peut bien être sollicitée dans une procédure où un agent invoque des faits de harcèlement moral :
Si la protection résultant des dispositions (...) [de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983] n’est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l’un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.
Il s’agit là d’une confirmation d’une jurisprudence solide (pour un autre exemple se prononçant dans le même sens : CAA Nancy 12 août 2007, n° 06NC01324) depuis l’adoption de la loi du 17 janvier 2002 dont on célèbre cette année le 20è anniversaire.
Le principe d’impartialité s’applique pour examiner la demande
L’intérêt de l’arrêt se situe ailleurs. Le maire pouvait-il se prononcer sur l’octroi de la protection fonctionnelle alors que c’est lui qui était visé dans la procédure engagée par l’agent ? Sans grande surprise la réponse du juge est négative :
« Il résulte du principe d’impartialité que le supérieur hiérarchique mis en cause à raison de tels actes ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l’autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné. »
Ainsi si le maire est bien en principe l’autorité compétente pour statuer sur la demande de protection fonctionnelle d’un agent (pour la protection des élus il faut une délibération du conseil municipal à laquelle ne participe pas l’élu concerné), encore faut-il que le maire ne soit pas impliqué.
Or en l’espèce l’agent avait fait l’objet de remarques véhémentes de la part du maire au cours d’une réunion publique, avait connu plusieurs changements d’affectation en quelques années, et avait fait l’objet d’une suspension de ses fonctions par un arrêté du maire alors qu’il a été victime d’une agression le même jour. Il s’était en outre vu reconnaître un accident de service pour une tentative de suicide survenue sur son lieu de travail.
Les juges en concluent que ces éléments de fait, qui mettent en cause notamment le maire et qui ne peuvent se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, sont susceptibles de faire présumer l’existence d’un harcèlement moral.
Le maire ne pouvait légalement dans ces conditions, sans manquer à l’impartialité, se prononcer lui-même sur la demande de protection fonctionnelle. Peu importe que l’agent n’ait pas lui même demandé que sa demande soit examinée par une personne autre que le maire.
Situation d’empêchement et obligation de déport
La cour administrative fait observer au maire qu’il aurait dû appliquer les dispositions de l’article L2122-17 du CGCT et désigner un adjoint ou un conseiller pour le remplacer compte-tenu de son empêchement.
📌Notons que le maire aurait pu dans cette situation prendre un arrêté de déport. En effet lorsqu’un maire (il en est de même pour tous les chefs d’exécutifs locaux qu’ils soient présidents d’EPCI, d’un conseil départemental, régional…) estime se trouver dans une situation de conflit d’intérêts, il doit être suppléé par un adjoint auquel il s’abstient de donner des instructions. Le maire doit prendre un arrêté de déport mentionnant la teneur des questions pour lesquelles il estime ne pas pouvoir exercer ses compétences (propres ou déléguées par le conseil municipal) et désignant, dans les conditions prévues par la loi, la personne chargée de le suppléer. Cette possibilité de déport, introduite par la loi 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et précisée par le décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014, offre aux élus locaux un moyen pratique (l’arrêté de déport) leur permettant de prévenir les conflits d’intérêts. Mais attention : le déport ne doit pas être de pure façade. Il doit se traduire dans les faits par l’absence de toute immixtion de l’élu dans la gestion du dossier qui le concerne. |
Cour administrative d’appel de DOUAI, 3 février 2022, N° 20DA02055
[1] Photo : Erwan Hesry sur Unsplash