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Quand l’octroi de la protection fonctionnelle à un élu devient délictuel et caractérise une faute personnelle

Cour administrative d’appel de Douai, 24 mai 2017, N° 15DA00805

Un élu peut-il participer à une délibération se prononçant sur l’octroi de la protection fonctionnelle en sa faveur ?

Non : une telle participation est constitutive de prise illégale d’intérêts exposant l’élu à de nouvelles poursuites pénales. Si de telles poursuites sont engagées, le maire ne peut obtenir le bénéfice de la protection fonctionnelle pour cette nouvelle procédure car, en participant à la délibération le concernant, il commet une faute personnelle détachable de ses fonctions. En effet la protection fonctionnelle n’est due aux élus (ou aux agents) que sous réserve que les intéressés n’ont pas commis de faute personnelle détachable de leurs fonctions.

C’est ainsi à juste titre qu’un conseil municipal (commune de 650 habitants) refuse d’accorder la protection fonctionnelle à son maire, poursuivi pour prise illégale d’intérêts, après avoir avoir participé à la délibération lui octroyant le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre d’une première plainte dirigée contre lui pour diffamation. En effet, l’intéressé "ne pouvait ignorer que cette participation active à un débat qui le concernait directement et qui relevait d’un intérêt personnel distinct de celui de la commune, quand bien même la somme en jeu était peu élevée, était constitutif d’un manquement à l’obligation de désintéressement qui s’impose aux personnes exerçant une fonction publique". Le conseil municipal ne pouvait ainsi prendre en charge les 4 874 euros nécessaires à la défense de l’élu.
L’occasion de rappeler qu’il a déjà été jugé que l’octroi illicite de la protection fonctionnelle à un élu pouvait être constitutif du délit de détournement de fonds publics. L’octroi de la protection fonctionnelle n’est donc pas automatique et nécessite une obligation d’instruction de la part de la collectivité avant de l’accorder pour vérifier que l’élu (ou l’agent) poursuivi n’a pas commis de faute personnelle détachable de ses fonctions.

En janvier 2004 le conseil municipal d’une commune de l’Oise (650 habitants) dépose, au nom de la commune, une plainte pour faux et usage de faux à l’encontre de deux habitants qui avaient lancé une pétition visant à obtenir l’organisation d’un référendum d’initiative locale concernant la gestion de l’eau dans la commune. Cette plainte ayant été classée sans suite, les deux habitants mis en cause déposent à leur tour une plainte avec constitution de partie civile à l’encontre du maire de la commune, pour diffamation...

En décembre 2007 le maire est condamné à une peine d’amende assortie du sursis et à un euro symbolique à titre de dommages et intérêts. Il demande à la collectivité la prise en charge de ses honoraires d’avocat nécessaires pour sa défense au titre de la protection fonctionnelle, ce que le conseil municipal lui accorde. Une nouvelle plainte est alors déposée contre le maire du chef de prise illégale d’intérêts. En effet l’élu a participé à la délibération lui octroyant le bénéfice de la protection fonctionnelle...

En mars 2011 l’élu est donc condamné pour prise illégale d’intérêts à une nouvelle peine d’amende avec sursis. L’élu sollicite à nouveau le bénéfice de la protection fonctionnelle pour la prise en charge des 4 874 euros de frais d’avocat qui ont été nécessaires à sa défense dans le cadre de cette deuxième procédure. Mais cette fois le conseil municipal refuse d’accorder la protection fonctionnelle au maire. Le tribunal administratif d’Amiens approuve cette décision, ce que confirme la cour administrative d’appel de Douai :

 en présentant l’objet de la question soumise au vote du conseil et en faisant connaître à celui-ci sa propre appréciation quant à la qualification juridique susceptible d’être donnée aux faits justifiant sa demande de protection, le maire a pris une part active au débat du conseil municipal et a nécessairement influencé le vote des membres de celui-ci ;

 en sa qualité d’élu local, même d’une commune rurale de mois de 1 000 habitants, l’intéressé ne pouvait ignorer que cette participation active à un débat qui le concernait directement et qui relevait d’un intérêt personnel distinct de celui de la commune, quand bien même la somme en jeu était peu élevée, était constitutif d’un manquement à l’obligation de désintéressement qui s’impose aux personnes exerçant une fonction publique.

Et les juges de conclure "qu’ eu égard aux conditions dans lesquelles il a été commis et à la fin recherchée, ce manquement a le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice des fonctions de maire, sans que [le requérant] puisse sérieusement plaider la bonne foi". C’est donc à bon droit que le conseil municipal a refusé d’accorder la protection fonctionnelle à l’élu.

Cour administrative d’appel de Douai, 24 mai 2017, N° 15DA00805