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L’utilisation anormale d’un ouvrage public

L’usage anormal d’un ouvrage public constitue une cause d’exonération, partielle ou totale, de la collectivité. Tel est le cas lorsque l’usager (souvent un mineur qui a échappé à la surveillance de ses parents) fait un usage de l’ouvrage non conforme à sa destination. Illustrations.

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Pendant longtemps, la jurisprudence a considéré que l’usager irrégulier d’un ouvrage public [3] devait être qualifié de tiers. Ainsi, le juge administratif avait par exemple reconnu la qualité de tiers à une personne qui pour franchir une rivière avait utilisé les passerelles interdites au public [4] ; la même solution avait été retenue pour un enfant qui s’était introduit sur un terrain scolaire et était indûment monté sur un portique de gymnastique [5].

C’est en 1964 [6] que le juge administratif abandonne cette jurisprudence paradoxale dans la mesure où elle faisait bénéficier des usagers irréguliers d’un ouvrage public d’un régime de responsabilité plus favorable (la responsabilité de la puissance publique est engagée sans faute à l’égard des tiers). Dans cet arrêt Piquet, le Conseil d’Etat attribue la qualité d’usager à un médecin qui pour porter secours à un noyé avait, sans autorisation, emprunté avec son véhicule un chemin de halage de canal.

L’usage anormal d’un ouvrage public est considéré comme un moyen d’exonération de la puissance publique, il est assimilé à une faute d’imprudence de la victime. Ainsi, l’usager d’un ouvrage public est considéré comme anormal lorsqu’il n’en fait pas un usage conforme à sa destination. Souvent, l’usage anormal est le fait des enfants et adolescents qui échappent à la surveillance de leurs parents.

1- Exemples d’exonération totale de la responsabilité de la puissance publique

Une collectivité n’est pas ainsi jugée responsable :

 de la rupture de la main courante d’un pont de bois franchissant un ruisseau sous le poids des victimes et ce même si aucun panneau de signalisation n’avertit le public des dangers auxquels l’expose un usage anormal de l’ouvrage [7] ;

 de l’accident survenu à un jeune homme qui s’est suspendu à la conduite d’eau pluviale laquelle s’est effondrée sous son poids [8] ;

 de l’usage anormal d’une bulle de plastique servant à éclairer la station de pompage par un enfant qui a pénétré par effraction au sein de cette station [9] ;

 de l’accident dont a été victime un adolescent âgé de 17 ans ayant pris part à un jeu consistant à se lancer au sol du haut d’un portique (l’adolescent capable de discernement ne pouvait ignorer que le portique n’était pas conçu pour un tel usage) [10] ;

 de la blessure occasionnée à un enfant qui pour maintenir son équilibre s’est agrippée à un porte-manteaux du vestiaire d’une piscine municipale, un porte-manteau n’étant pas destiné à être saisi à pleines mains et présentant pas de défaut de conception ou d’entretien [11] ;

 de la chute d’un piéton dans un trou présent sous le tablier d’un pont, la victime ayant pris "l’initiative curieuse" d’enlever un plateau de madriers de bois cloués entre eux pour couvrir ledit trou... [12].

 de la chute d’un enfant marchant en équilibre sur la barrière située à l’entrée d’un square [13].

 de l’accident dont a été victime un enfant âgé de 11 ans, lequel s’était livré à une activité consistant à pénétrer dans des cylindres en béton (tuyaux de canalisation entreposés dans l’enceinte d’un stade de football dans l’attente de leur utilisation), et à les mettre en mouvement avec l’aide de ses camarades [14] ;

 de la chute d’un enfant qui a escaladé une statue et ce malgré que le terrain sur lequel se trouvait la statue ne faisait l’objet d’aucune interdiction d’accès et que la grille était ouverte [15] ;

 la chute d’un adolescent, qui s’est introduit de nuit dans l’enceinte d’une école communale, pour grimper sur le toit du bâtiment, et s’asseoir sur un skydome qui s’est cassé sous son poids [16].

2- Exemples d’exonération partielle de la responsabilité de la puissance publique :

Un partage de responsabilités entre la collectivité et la victime a pu être retenue dans les hypothèses suivantes :

 chute d’un enfant qui a escaladé le fronton d’une fontaine mal entretenue [17] ;

 le fait pour un enfant de se suspendre à la cage de buts non fixée au sol [18] ;

 le fait pour un enfant de s’être introduit dans l’enceinte d’un stade sur lequel une commune avait laissé traîner une boîte contenant de la poudre et à proximité de laquelle l’enfant a allumé une mèche pour réduire la responsabilité de 50% de la commune [19] ;

 le fait pour un supporter d’avoir escaladé les grilles séparant les tribunes du terrain du stade [20].

[1Photo : © Paolo Omero

[2Cet article a été rédigé à partir du fonds documentaire de SMACL Assurances alimenté notamment par les décisions de justice statuant sur les contentieux impliquant les collectivités sociétaires de la mutuelle.

[3Il convient de noter que l’ouvrage public présente 3 caractéristiques :
 il doit être de nature immobilière (sachant qu’il existe 2 exceptions : s’il est considéré comme élément accessoire non dissociable de l’ouvrage ou si du fait de son incorporation à l’ouvrage il devient immeuble par destination) ;
 il doit être le résultat d’un travail ou d’un aménagement ;
 il doit être affecté à un intérêt général.

[4CE Sect, 3 février 1956, Vve Durand

[5CE, 20 novembre 1959, commune de Montaigut-en-Combrailles

[6CE Sect, 30 octobre 1964, Piquet

[7CE, 24 juillet 1981, n° 19097

[8CAA Lyon, 7 décembre 1999, M. Baouch : n°95LY21122

[9CAA Paris, 20 juillet 1999, n°97PA02453

[10CAA Lyon, 5 mai 1997, n°95LY00165

[11Cour administrative d’appel de Nancy, 28 juillet 1994 N° 93NC00416

[12TA Montpellier, 23 octobre 1992, n°891261

[13Cour administrative d’appel de Bordeaux, 3 mai 2001, N° 97BX01736

[14CAA Nancy, 15 juin 2006, n°05NC01110

[15CAA Douai, 11 mai 2001, CPAM de Lens : n°97DA02546

[16Cour administrative d’appel de Douai, 2 octobre 2012, N° 11DA01921

[17Conseil d’Etat, 2 mars 1979, N° 05030 et N° 07432

[18Cour administrative d’appel de Nantes, 5 mars 2002, N° 00NT01009 et N° 01NT00895, Cour administrative d’appel de Nancy, 13 juin 1989, N° 89NC00050

[19Cour administrative d’appel de Paris, 24 janvier 1991, N° 89PA01565 N°89PA00709

[20TA Lyon, 1er ch., 17 mars 2005, n°0301630)