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© Paolo Omero

L’utilisation anormale d’un ouvrage public comme cause d’exonération des collectivités territoriales

Denière mise à jour le 09/05/2025

© Paolo Omero

L’usage anormal d’un ouvrage public constitue une cause d’exonération, partielle ou totale, de la collectivité. Tel est le cas lorsque l’usager (souvent un mineur qui a échappé à la surveillance de ses parents) fait un usage de l’ouvrage non conforme à sa destination. Illustrations à partir du fonds documentaire de SMACL Assurances alimenté notamment par les décisions de justice statuant sur les contentieux impliquant les collectivités assurées. 

 

Pendant longtemps, la jurisprudence a considéré que l’usager irrégulier d’un ouvrage public devait être qualifié de tiers. Ainsi, le juge administratif avait par exemple reconnu la qualité de tiers à une personne qui pour franchir une rivière avait utilisé les passerelles interdites au public (CE Sect, 3 février 1956, Vve Durand) ; la même solution avait été retenue pour un enfant qui s’était introduit sur un terrain scolaire et était indûment monté sur un portique de gymnastique (CE, 20 novembre 1959, commune de Montaigut-en-Combrailles).

 

C’est en 1964 (CE Sect, 30 octobre 1964, Piquet) que le juge administratif abandonne cette jurisprudence paradoxale dans la mesure où elle faisait bénéficier des usagers irréguliers d’un ouvrage public d’un régime de responsabilité plus favorable (la responsabilité de la puissance publique est engagée sans faute à l’égard des tiers). Dans cet arrêt Piquet, le Conseil d’Etat attribue la qualité d’usager à un médecin qui pour porter secours à un noyé avait, sans autorisation, emprunté avec son véhicule un chemin de halage de canal.

 
L’ouvrage public présente 3 caractéristiques :
 il doit être de nature immobilière (sachant qu’il existe 2 exceptions : s’il est considéré comme élément accessoire non dissociable de l’ouvrage ou si du fait de son incorporation à l’ouvrage il devient immeuble par destination) ;
 il doit être le résultat d’un travail ou d’un aménagement ;
 il doit être affecté à un intérêt général.
 

L’usage anormal d’un ouvrage public est considéré comme un moyen d’exonération de la puissance publique, il est assimilé à une faute d’imprudence de la victime. Ainsi, l’usager d’un ouvrage public est considéré comme anormal lorsqu’il n’en fait pas un usage conforme à sa destination. Souvent, l’usage anormal est le fait des enfants et adolescents qui échappent à la surveillance de leurs parents.

1- Exemples d’exonération totale de la responsabilité de la puissance publique

Une collectivité n’est pas ainsi responsable :

  • de la mort d’un alpiniste aguerri qui a chuté lors d’une descente en rappel d’un viaduc. La victime avait fixé sa corde à un bloc de pierre scellé sur le rebord de cet ouvrage d’art ferroviaire. Ce bloc s’est détaché sous son poids. "Le bloc de pierre dont il s’agit, qui s’est descellé sous le poids de la victime, n’était pas directement accessible à un usager utilisant normalement l’ouvrage public et n’avait pas pour fonction de supporter le poids d’une personne descendant en rappel" (Tribunal administratif d’Orléans, 24 avril 2025 : n°2203286).
  • des blessures à un jeune enfant qui jouait avec une borne escamotable (Cour administrative d’appel de Versailles, 30 janvier 2025 : n°22VE01561) ;
  • de la chute d’un radiateur dans une école primaire provoquée par un violent coup de pied d’un enfant (Cour administrative d’appel de Nantes, 26 janvier 2024 : n°23NT00720) ; 
  •  des blessures d’une joggeuse qui est montée sur un banc et qui s’est blessée avec une latte par effet levier (Cour administrative d’appel de Marseille, 20 octobre 2023 : n°22MA02411) ;
  •  de la chute de promeneurs qui s’étaient assis sur une rambarde en bois surplombant un fossé et qui a rompu sous leurs poids (Cour administrative d’appel de Lyon, 17 mars 2022 : n°20LY02937) ; 
  • de la blessure d’une enfant, portée sur les épaules de son père, qui jouait avec une guirlande de Noël dans une salle des fêtes (Tribunal administratif de Lyon 19 mars 2013 n°1006987) ;

  • de la chute d’un adolescent, qui s’est introduit de nuit dans l’enceinte d’une école communale, pour grimper sur le toit du bâtiment, et s’asseoir sur un skydome qui s’est cassé sous son poids (Cour administrative d’appel de Douai, 2 octobre 2012, N° 11DA01921) ; 
  • de l’accident survenu à un jeune homme qui s’est suspendu à la conduite d’eau pluviale laquelle s’est effondrée sous son poids (CAA Lyon, 7 décembre 1999, M. Baouch : n°95LY21122) ;

  • de l’usage anormal d’une bulle de plastique servant à éclairer la station de pompage par un enfant qui a pénétré par effraction au sein de cette station (CAA Paris, 20 juillet 1999, n°97PA02453) ;

  • de l’accident dont a été victime un adolescent âgé de 17 ans ayant pris part à un jeu consistant à se lancer au sol du haut d’un portique (CAA Lyon, 5 mai 1997, n°95LY00165) ; 
  •  de la blessure occasionnée à un enfant qui pour maintenir son équilibre s’est agrippée à un porte-manteaux du vestiaire d’une piscine municipale, un porte-manteau n’étant pas destiné à être saisi à pleines mains et présentant pas de défaut de conception ou d’entretien (Cour administrative d’appel de Nancy, 28 juillet 1994 N° 93NC00416) ; 
  •  de la chute d’un piéton dans un trou présent sous le tablier d’un pont, la victime ayant pris "l’initiative curieuse" d’enlever un plateau de madriers de bois cloués entre eux pour couvrir ledit trou... (TA Montpellier, 23 octobre 1992, n°891261) ; 
  •  de la chute d’un enfant marchant en équilibre sur la barrière située à l’entrée d’un square (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 3 mai 2001, N° 97BX01736) ; 
  •  de l’accident dont a été victime un enfant âgé de 11 ans, lequel s’était livré à une activité consistant à pénétrer dans des cylindres en béton (tuyaux de canalisation entreposés dans l’enceinte d’un stade de football dans l’attente de leur utilisation), et à les mettre en mouvement avec l’aide de ses camarades (CAA Nancy, 15 juin 2006, n°05NC01110) ; 
  •  de la chute d’un enfant qui a escaladé une statue et ce malgré que le terrain sur lequel se trouvait la statue ne faisait l’objet d’aucune interdiction d’accès et que la grille était ouverte (CAA Douai, 11 mai 2001, CPAM de Lens : n°97DA02546) ; 
  •  de la rupture de la main courante d’un pont de bois franchissant un ruisseau sous le poids des victimes et ce même si aucun panneau de signalisation n’avertit le public des dangers auxquels l’expose un usage anormal de l’ouvrage (CE, 24 juillet 1981, n° 19097). 

2- Exemples d’exonération partielle de la responsabilité de la puissance publique :

Un partage de responsabilités entre la collectivité et la victime a pu être retenue dans les hypothèses suivantes :

  •  le fait pour un supporter d’avoir escaladé les grilles séparant les tribunes du terrain du stade (TA Lyon, 1er ch., 17 mars 2005, n°0301630) ; 
  •  le fait pour un enfant de se suspendre à la cage de buts non fixée au sol (Cour administrative d’appel de Nantes, 5 mars 2002, N° 00NT01009 et N° 01NT00895 - Cour administrative d’appel de Nancy, 13 juin 1989, N° 89NC00050) ; 
  • le fait pour un enfant de s’être introduit dans l’enceinte d’un stade sur lequel une commune avait laissé traîner une boîte contenant de la poudre et à proximité de laquelle l’enfant a allumé une mèche pour réduire la responsabilité de 50% de la commune (Cour administrative d’appel de Paris, 24 janvier 1991, N° 89PA01565 N°89PA00709) ;
  • chute d’un enfant qui a escaladé le fronton d’une fontaine mal entretenue (Conseil d’Etat, 2 mars 1979, N° 05030 et N° 07432).