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L’octroi de la protection fonctionnelle peut être délictuel

Cour de cassation, Chambre criminelle, 8 mars 2023, N° 22-82.229

Le fait d’accorder la protection fonctionnelle à un élu ou à un agent poursuivi pénalement peut-il constituer le délit de détournement de fonds publics ?

 
Oui, répond la chambre criminelle de la Cour de cassation, si les faits à l’origine des poursuites sont constitutifs d’une faute personnelle détachable. En effet dans ce cas la protection fonctionnelle n’est pas due et il appartient à l’élu ou au fonctionnaire poursuivi de se défendre par ses propres moyens (d’où l’intérêt de souscrire une assurance personnelle). La Cour de cassation pose le principe que des poursuites pour prise illégale d’intérêts ne peuvent ouvrir droit à la protection fonctionnelle même si l’élu reste présumé innocent. En l’accordant, l’autorité territoriale commet l’infraction de détournement de fonds publics, et le bénéficiaire de la protection est receleur. La Cour de cassation en avait déjà jugé de même pour le délit de favoritisme. Autant dire qu’il ne faut pas prendre les décisions d’octroi de la protection fonctionnelle à la légère !
 

Un maire (commune de plus de 10 000 habitants) est poursuivi et condamné pour prise illégale d’intérêts. Il lui est reproché d’avoir mis gratuitement à la disposition d’une association exploitant une radio, des locaux, des matériels et des agents de la commune, et d’avoir participé à l’attribution par cette commune de subventions (pour un montant total sur plusieurs années de 1,25 million d’euros) à cette association dont il avait été président honoraire et qui faisait la promotion de la ligne politique de son parti.

L’élu sollicite le bénéfice de la protection fonctionnelle pour cette procédure. Il prend soin de ne pas prendre part au vote. Le procureur de la République déclenche cependant à son encontre des poursuites pour détournement de fonds publics estimant que la protection fonctionnelle ne pouvait lui être accordée en présence d’une faute faute personnelle détachable.

Un détournement de fonds publics

La chambre de l’instruction ne jugé pas abusif l’octroi de la protection fonctionnelle. Les juges soulignent en effet :
 que le jugement condamnant l’élu « pour prise illégale d’intérêts n’est pas définitif en raison de l’appel interjeté par le prévenu,
 que de surcroît aucun texte légal n’édicte que le délit de prise illégale d’intérêts constitue, de droit, une faute détachable de l’exercice des fonctions publiques qui prive l’élu condamné du droit de demander la protection fonctionnelle,
 et qu’enfin aucune des deux délibérations ayant accordé [au maire] ladite protection n’a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. »

 

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt dès lors que :

 
 les infractions de prise illégale d’intérêts sont détachables des mandats et fonctions publics exercés par leur auteur ».


Peu importe dans ces conditions que l’élu n’ait pas participé à la délibération :

 
 la circonstance que [le maire], qui a sollicité l’octroi de la protection fonctionnelle et a bénéficié des fonds versés par la commune au titre de celle-ci, n’a pas pris part aux délibérations du conseil municipal l’ayant octroyée, n’était pas en soi de nature à exclure l’existence d’indices de la commission par l’intéressé des délits de détournement de fonds public et de recel de cette infraction ».
 

De fait le Conseil d’Etat avait déjà écarté le bénéfice de la protection fonctionnelle pour le cas d’un militaire poursuivi pour prise illégale d’intérêts et favoritisme (Conseil d’État, 23 décembre 2009, N° 308160). L’arrêt de la chambre criminelle du 8 mars permet de souligner que l’attribution trop large de la protection fonctionnelle à un élu ou à un fonctionnaire peut constituer un détournement de fonds publics car cela conduit à mobiliser des fonds publics pour la défense d’un élu ou d’un agent qui a commis une faute personnelle détachable.

 

 

Deux points méritent une attention particulière :

 d’une part il faut rappeler que la collectivité lorsqu’elle se prononce n’a pas nécessairement connaissance de l’issue de la procédure. Les juges de la chambre de l’instruction avaient d’ailleurs souligné que le jugement condamnant l’élu n’était pas définitif. Peu importe : il appartient à la collectivité de se prononcer au regard des éléments dont elle dispose sans être liée par le principe de la présomption d’innocence. Rappelons à ce titre que selon nos chiffres, plus de six élus ou fonctionnaires sur dix bénéficient au final d’une décision qui leur est favorable ;
 d’autre part, le délit de prise illégale d’intérêts, comme le délit de favoritisme, peuvent être caractérisés sans que l’élu ou le fonctionnaire n’ait retiré un avantage personnel, ni porté atteinte aux intérêts de la collectivité (voir notamment Prise illégale d’intérêts : du nouveau pour les élus locaux ? et Vote des subventions aux associations : attention danger !). L’affirmation de principe selon laquelle la prise illégale d’intérêts (comme le délit de favoritisme) est nécessairement une faute détachable des fonctions, mériterait dans ces conditions d’être nuancée en fonction des circonstances de chaque espèce. L’arrêt de la chambre criminelle n’ouvre cependant pas de portes en ce sens.

Un précédent

La chambre criminelle [1] s’était déjà prononcée dans un sens similaire. En l’espèce le président d’une collectivité territoriale avait été condamné pour avoir accordé la protection fonctionnelle à l’ancien président (et opposant politique !) poursuivi pour délit de favoritisme dans l’exercice de ses fonctions. Peu importe que la délibération octroyant la protection avait été votée à l’unanimité : « les infractions de favoritisme sont détachables des mandats et fonctions publics exercés par leurs auteurs, obligés d’en supporter personnellement les conséquences ».

 

Il pèse ainsi sur la collectivité une obligation d’instruction lors d’une demande de protection d’un élu (comme d’un agent) pour vérifier que l’intéressé n’a pas commis

de faute personnelle. Tout particulièrement lorsque l’élu ou le fonctionnaire est poursuivi pour des infractions relevant des manquements au devoir de probité. Si la protection fonctionnelle est accordée trop facilement (alors que l’élu ou l’agent a poursuivi un mobile d’ordre privé ou a commis une faute d’une particulière gravité), non seulement la décision de la collectivité risque d’être annulée par le juge administratif mais d’éventuelles poursuites pénales peuvent être engagées pour détournement de fonds publics. En cas de doute sur la nature de la faute, les collectivités seront sans doute plus réticentes à accorder la protection, le risque juridique d’un refus (recours devant le tribunal administratif) étant moindre que celui d’une éventuelle procédure pénale ouverte en cas d’acceptation de la demande.

L’intérêt de l’assurance personnelle

D’où l’intérêt renforcé pour les élus et les fonctionnaires de souscrire une assurance personnelle qui les couvre dans l’exercice de leurs fonctions pour éviter ce type de désagréments. La cotisation étant payée sur leurs deniers personnels, le déclenchement de la garantie ne supposera pas une délibération du conseil municipal (pour les élus) ou une décision de l’autorité territoriale (pour les fonctionnaires). C’est l’objet des contrats "Sécurité élus" et "Sécurité fonctionnaires territoriaux" que propose SMACL Assurances. Dans le respect du principe de la présomption d’innocence, SMACL Assurances prend alors en charge, dans la limite du plafond de garantie, les frais de défense de l’élu ou du fonctionnaire lequel, dans plus de 60 % des cas, bénéficiera au final d’une décision qui lui est favorable. Ce n’est que si l’élu est condamné définitivement pour des faits intentionnels, que SMACL Assurances demandera à l’élu ou au fonctionnaire le remboursement des sommes exposées, la faute intentionnelle constituant une exclusion de garantie.

 

[1Cour de cassation, chambre criminelle, 22 février 2012, N° 11-81476 ; pour un commentaire de cet arrêt voir "Lorsque l’octroi illicite de la protection fonctionnelle vire au détournement de fonds publics" par Me Bertrand Nuret, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 47, 26 Novembre 2012, 2382