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Agression d’une fonctionnaire après des inondations : responsabilité sans faute de la commune engagée

Tribunal administratif d’Orléans, 16 janvier 2024 : n° 2101168

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Fonctionnaire agressée par une administrée en colère après des inondations : la commune engage-t-elle sa responsabilité ?

 
Oui répond le tribunal administratif d’Orléans. L’agression subie dans l’exercice des fonctions est bien imputable au service. L’agent victime a droit à la réparation intégrale de son préjudice en cas de faute de la collectivité. Tel n’est pas jugé le cas ici. 
En revanche, le juge accueille les conclusions indemnitaires de la réquérante sur le fondement de la responsabilité sans faute de la collectivité. Selon les principes dégagés par le Conseil d’État, un agent public peut en effet obtenir de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci : 
 une indemnité complémentaire réparant des souffrances physiques ou morales, des préjudices esthétiques ou d’agrément, ou des troubles dans les conditions d’existence, 
 une indemnité complémentaire incluant les préjudices patrimoniaux d’une autre nature que les prestations octroyées forfaitairement.
 
 
En juin 2016, une chargée d’accueil du public au sein d’une mairie d’une commune du Loiret, est victime de menaces et d’insultes de la part d’une administrée particulièrement virulente.
 
Cette altercation a eu lieu après des inondations exceptionnelles survenues dans le département.

L’employée municipale est alors placée en arrêt de travail sans discontinuité pour troubles anxieux. S’en suivent un congé de maladie ordinaire de novembre 2016 à novembre 2017 et puis une mise en disponibilité d’office de novembre 2017 à novembre 2018.

A la fin de cette période, la commune met en demeure la fonctionnaire de reprendre son poste dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique conformément à l’avis favorable de la commission de réforme.
 
Parallèlement, l’intéressée demande que l’altercation soit reconnue comme accident de service. Sur avis favorable de la commission de réforme, la commune décide de prendre en charge l’ensemble des arrêts de travail au titre d’accident de service jusqu’en avril 2019.
 
Reconnue définitivement inapte à la reprise de ses fonctions la fonctionnaire est mise à la retraite pour invalidité en 2020.
 
 
En avril 2021 l’ancienne employée municipale saisit le tribunal administratif d’Orléans d’une demande de condamnation de la commune à lui verser une somme de plus de 50 000 € en réparation de l’ensemble des préjudices subis du fait de l’accident de service et à raison des illégalités commises par la commune dans la gestion de sa carrière.
 
Le tribunal rejette les conclusions indemnitaires présentées sur le fondement de la responsabilité pour faute : la commune n’a commis aucune faute dans la gestion de la carrière de la fonctionnaire.

En revanche, il condamne la commune à verser à l’ancienne adjointe administrative une somme de plus de 25 000 € sur le fondement de la responsabilité sans faute.
 
La fonctionnaire soutenait que la commune avait commis plusieurs fautes de nature à engager la responsabilité de la collectivité. Tel n’est pas l’avis du juge.
  • D’une part, aucun retard ne peut être reproché à la commune s’agissant de la reconnaissance de l’imputablité au service de son accident.
Le juge considère que l’intéressée ne peut valablement soutenir que la commune a refusé pendant trois ans de reconnaître l’accident de service puisque sa demande de reconnaissance n’est intervenue qu’en novembre 2018 et que la procédure a ensuite été régulièrement engagée sans souffrir d’aucun retard.
  • D’autre part, le refus de la commune d’octroyer un congé de longue maladie n’est pas fautif.
En effet, le juge rappelle que le congé longue maladie est octroyé dans le cas où il est constaté que « la maladie met l’intéressé dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions, rend nécessaires un traitement et des soins prolongés et présente un caractère invalidant et de gravité confirmée » (article 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 dans ses dispositions applicables au litige).
La requérante produit plusieurs certificats émanant de son médecin traitant, d’un psychiatre et d’une psychologue indiquant que son état l’empêcher d’exercer son activité professionnelle et qu’il nécessitait des soins longs et réguliers. Mais, le syndrome anxio-dépressif dont a souffert la fonctionnaire ne figure pas dans la liste des pathologies ouvrant droit au bénéfice du congé longue maladie (liste fixée par l’arrêté du 14 mars 1986 ).
De plus, la commission de réforme et le comité médical supérieur avaient émis un avis défavorable puisque la pathologie ne présentait ni un caractère invalidant ni un caractère de gravité tel qu’il interdisait à l’employée municipale de remplir ses fonctions.
 
  • Enfin, malgré l’erreur de droit commise dans le premier arrêté prononçant la mise à la retaite de l’intéressée pour invalidité (l’arrêté présentait un caractère rétroactif), la responsabilité de la commune ne peut être engagée à ce titre un arrêté ultérieur ayant régularisé l’ensemble de la situation.

Article L822-18 du Code général de la fonction publique

Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu’en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l’accident du service".
 

Réparation des préjudices

Evoquant les solutions dégagées par le Conseil d’État (CE, 4 juillet 2003 ; n°211106, CE, 16 décembre 2013 n°353798), le tribunal administratif rappelle que l’ancienne employée municipale est fondée à solliciter une indemnité complémentaire en plus de la réparation statutaire sur le fondement de la responsabilité sans faute (l’accident ayant été reconnu imputable au service) :
  • Le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l’accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d’agrément, peut obtenir de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l’atteinte à l’intégrité physique.
  •  L’agent peut également obtenir les réparations complémentaires incluant les préjudices patrimoniaux d’une autre nature que les prestations octroyées forfaitairement.
Ainsi, au titre des préjudices extrapatrimoniaux sont réparés :
  • le déficit fonctionnel temporaire partiel,
  •  les troubles de nature à impacter la vie quotidienne,
  •  les souffrances endurées.
En revanche ni le préjudice moral (la victime fondait sa demande sur les fautes commises par la commune dans la gestion de sa carrière, fautes non établies), ni le préjudice esthétique (la victime évoquait une prise de poids suite à la prise d’un traitement médicamenteux, préjudice non établi) ne sont considérés comme établis.
 
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux, le juge accorde une indemnité pour :
  •  les consultations d’une psychologue et d’un médecin psychiatre, 
  •  le suivi psychologique pendant un an après consolidation (l’état de santé de la fonctionnaire n’étant pas totalement stabilisé), 
  •  le remboursement des frais kilométriques engagés par la fonctionnaire pour se rendre aux consultations médicales, 
  •  le remboursement des frais de déplacement pour le suivi psychologique d’une année.

L’addition finale est évaluée à 25578,86 €. La commune ayant déjà en grande partie indemnisé la fonctionnaire, il ne lui reste plus qu’à payer un peu moins de 2000 €. 
 

Recours possibles

En cas d’agression, si l’auteur n’est pas identifé ou n’est pas solvable l’agent peut obtenir réparation du Fonds de garantie des victimes d’infractions (FGTI). Mais le FGTI peut ensuite se retourner contre la collectivité au titre de ses oblibations relatives à la protection fonctionnelle (Conseil d’État, 10 avril 2009, N° 307871). En effet il résulte de l’article L134-5 du Code général de la fonction publique que "la collectivité publique est tenue de protéger l’agent public contre les atteintes volontaires à l’intégrité de sa personne, les violences (...) dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté."
 
Toujours en cas d’agression, la collectivité peut obtenir des auteurs des faits la restitution des sommes versées à l’agent public. "Elle dispose (...) d’une action directe, qu’elle peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale" (article  L134-8 du Code général de la fonction publique). Pour autant, la Cour de cassation estime que la collectivité ne peut agir que par voie d’intervention. Cela suppose que l’action publique ait préalablement été engagée par le ministère public ou par l’agent victime directe de l’infraction (Cass. crim. 10 mai 2005 N° de pourvoi : 04-84633).
 
En cas d’accident provoqué par un tiers, l’employeur public est subrogé dans les droits éventuels du fonctionnaire victime  "jusqu’à concurrence du montant des charges qu’il a supportées ou supporte du fait de cet accident. Il est admis à poursuivre directement contre le responsable du dommage ou son assureur le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues ou versées audit fonctionnaire pendant la période d’indisponibilité (...)" (Article L822-25 du Code général de la fonction publique). 
 
 

* Merci aux éditions Lexis Nexis de nous avoir autorisés à publier le jugement téléchargé sur Lexis360 intelligence (disponible sur abonnement)