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© Helder Almeida

Faute de la victime d’un accident de service : droit à réparation limité ?

Tribunal administratif de Toulouse, 8 mars 2012, N° 0802713

© Helder Almeida

La faute d’un agent victime d’un accident de service est-elle de nature à limiter son droit à réparation ?

Oui juge le tribunal administratif de Toulouse : si en principe la victime d’un accident de service peut, même sans faute de la collectivité, obtenir la réparation des préjudices non économiques à caractère extra-patrimonial non réparés au titre du forfait de pension, ce droit à indemnisation complémentaire peut être limité si l’agent a commis une faute dans l’exécution des missions confiées. Commet une telle faute, le conducteur expérimenté d’une balayeuse qui engage son véhicule sur des quais boueux sans procéder préalablement, comme il est usuel en pareilles circonstances, au nettoyage de la voie grâce au jet d’eau mis à sa disposition. La collectivité n’est ainsi jugée responsable que pour moitié des conséquences dommageables de la noyade de l’agent dont le véhicule a glissé dans les eaux du fleuve.
 
 

En avril 2004 deux agents du service propreté de la ville de Toulouse meurent noyés au cours d’une opération de nettoyage d’un escalier situé sur les berges de la Garonne : en raison de la présence de boue sur la chaussée après un épisode de crue, le conducteur de la balayeuse ne peut éviter la chute du véhicule de 12 tonnes dans les eaux fluviales. Les deux agents ne réussiront pas à s’extraire du véhicule.

L’information judiciaire ouverte contre la ville se solde par un non lieu, la chambre de l’instruction relevant notamment que les agents étaient correctement formés et disposaient du matériel adapté pour l’exécution de la mission confiée.

Les familles des victimes saisissent alors les juridictions administratives pour obtenir une indemnisation complémentaire au forfait de pension. Elles reprochent au supérieur hiérarchique de ne pas avoir vérifié les conditions de sécurité de la mission confiée, les berges étant impraticables.

La ville objecte que les victimes ont déjà été indemnisées au titre de la réparation forfaitaire des accidents de service et qu’elles ont commis une faute de nature à exclure toute indemnisation complémentaire : expérimentés, ils auraient dû préalablement, comme ils avaient été formés pour le faire, procéder au décapage de la boue se trouvant sur les quais à l’aide du jet avant de s’engager sur les berges avec le véhicule.

Le rappel des règles

Le tribunal administratif de Toulouse rappelle à cette occasion, s’inscrivant dans la jurisprudence bien établie du Conseil d’Etat, que la règle du forfait de pension ne fait pas obstacle :

 ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré du fait de l’accident ou de la maladie imputable au service des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d’agrément, obtienne de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire, réparant ces chefs de préjudice distincts de l’atteinte à l’intégrité physique ;

 ni à ce que la victime engage une action de droit commun visant à obtenir la réparation intégrale du dommage subi dans le cas où l’accident serait imputable à une faute de la collectivité ou au mauvais entretien d’un ouvrage public dont elle a la charge.

Ainsi, la règle du forfait de pension n’interdit pas à la victime et à ses ayants droit d’actionner la responsabilité de l’employeur public et obtenir ainsi une réparation complémentaire qui sera plus ou moins étendue selon que la collectivité a commis ou non une faute :

1° en toute hypothèse (même sans faute de l’administration) l’agent peut obtenir réparation des préjudices non économiques à caractère extra-patrimonial (prix des souffrances physiques et morales - ou pretium doloris - ; préjudices fonctionnels et d’agrément ; préjudice esthétique.) ;

2° en cas de faute de l’autorité territoriale, l’agent peut obtenir réparation de l’ensemble de ses postes de préjudice non économiques à caractère extra-patrimonial mais également des préjudices économiques à caractère patrimonial (ce qui inclut outre les frais engagés , les pertes de revenus ou gains manqués).

Pas de faute de la collectivité

Appliquant ces règles aux circonstances de l’accident, les magistrats toulousains estiment, qu’en l’espèce, aucune faute ne peut être imputée à la collectivité. En effet le supérieur hiérarchique des deux agents a ouvert la chaîne donnant accès aux quais et a procédé aux vérifications élémentaires alors que l’eau était sur la troisième marche en dessous du quai. Peu importe à cet égard, qu’il ne se soit pas rendu sur les lieux, la semaine précédant l’opération de nettoyage pour vérifier les conditions de sécurité de la mission projetée.

Les ayants droit ne peuvent donc pas obtenir réparation de leurs pertes de revenus consécutives à l’accident.

Faute des victimes

Pour autant, comme il l’a été énoncé ci-dessus, l’absence de faute de la collectivité ne fait pas obstacle à ce que les victimes obtiennent une réparation des préjudices non économiques à caractère extra-patrimonial. Encore, faut-il, précise le tribunal administratif, que les victimes elles-mêmes, n’aient pas commis de faute. A défaut, la collectivité peut être exonérée :

 
en engageant avec son équipier le véhicule de nettoyage sur les quais du fleuve après un épisode de crue, sans le faire précéder au fur et à mesure de la progression par le jet de la lance à eau en vue d’enlever la boue, alors qu’il résulte de l’instruction que cette pratique de nature à lutter contre les risques de glissade des véhicules de nettoyage est habituelle et connue des agents du service et que la présence de boue était visible, M. R., conducteur expérimenté, a commis une imprudence de nature à atténuer la responsabilité de la commune".

Ainsi en l’espèce, cette faute est de nature à exonérer la collectivité de la moitié des conséquences dommageables de l’accident.