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La jurisprudence de la semaine du 13 au 17 avril 2015

Dernière mise à jour le : 31/03/2016

Action sociale / Collaborateurs bénévoles de service public / Construction et garantie décennale / Décentralisation / Elections / Pouvoirs de police / Responsabilité pénale

Action sociale

 Un département peut-il exercer un recours sur donation contre le bénéficiaire de l’aide sociale qui a reçu un bien en usufruit ?

Oui sauf lorsque, compte tenu notamment des charges dont elle est grevée, la donation en usufruit ne recouvre pas une intention libérale de son auteur. Toutefois le juge peut, en fonction des circonstances particulières de chaque espèce, aménager les modalités de cette récupération et, le cas échéant, d’en reporter les effets dans le temps.

Conseil d’État, 15 avril 2015, N° 365655

Collaborateurs bénévoles de service public

 Une exposante dans un salon organisé par une collectivité se blesse en raccompagnant des visiteurs à la sortie. Peut-elle rechercher la responsabilité de la collectivité au titre de la collaboration occasionnelle à un service public ?

Non. Pour que la collaboration occasionnelle puisse donner lieu à l’engagement de la responsabilité de la collectivité publique concernée, il est nécessaire d’établir la participation au service public. Le simple fait de raccompagner certains visiteurs jusqu’à la sortie d’un salon ne constitue pas une mission de service public.

Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, 16 avril 2015, N°1304306

Construction et garantie décennale

 La garantie décennale du constructeur s’applique-t-elle si le maître de l’ouvrage aurait pu avoir connaissance du désordre lors de la réception des travaux s’il avait correctement suivi et contrôlé l’exécution du marché ?

Oui : seuls les désordres apparents lors de la réception de l’ouvrage sont de nature à exclure la garantie décennale. Ainsi une cour administrative d’appel commet une erreur de droit en écartant cette garantie au motif que le maître de l’ouvrage aurait commis une faute dans le suivi et et le contrôle de l’exécution du marché sans laquelle il aurait pu avoir connaissance du désordre au moment de la réception des travaux. Il résulte en outre des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d’épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s’ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration du délai de dix ans.

Conseil d’État, 15 avril 2015, N° 376229

Décentralisation

 Les régions ont-elles droit à une compensation financière de la charge supplémentaire liée à la mise en œuvre de la réforme du régime spécial de retraite des personnels de la SNCF ?

Non : seules ouvrent droit à révision de la compensation des compétences transférées par l’article 21-1 de la loi du 30 décembre 1982 les dispositions législatives ou réglementaires qui modifient les règles relatives à l’exercice de ces compétences et font peser des charges nouvelles sur les régions. Or les nouvelles charges introduites par le décret du 15 janvier 2008 relatif au régime spécial de retraite des personnels de la SNCF et le décret du 30 juin 2008 ne sont pas la conséquence d’une modification des règles relatives à l’exercice des compétences transférées aux régions en vertu de l’article 21-1 de la loi du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs [1]. Peu importe que la modification de ce régime de retraite ait une incidence financière pour les régions sur les charges transférées.

Conseil d’État, 17 avril 2015, N° 374179

Elections

 Une association diffuse un tract dans un quartier l’avant-veille des élections dans laquelle elle accuse le maire sortant de vouloir déplacer une mosquée et appelle à voter pour une liste concurrente. Cette communication de dernière minute est-elle de nature à annuler l’élection bien que le candidat élu ne soit pas à l’origine de la diffusion du tract litigieux ?

Oui : si seuls les candidats sont visés par les dispositions de l’article L48-2 du code électoral leur interdisant d’introduire des éléments nouveaux de polémique électorale auxquels il n’est pas possible de répondre utilement, le juge de l’élection peut tenir compte de l’existence de tels éléments, alors même que leur diffusion ne serait pas imputable à l’un des candidats. Or, en l’espèce, si le projet de création d’une nouvelle mosquée était dans le débat public bien avant le scrutin, le tract litigieux apportait cependant un élément nouveau de polémique électorale en imputant au maire sortant le projet de fermeture et de " vente " de la mosquée existante. Peu importe que le candidat élu n’aurait pas été à l’initiative de ce tract, l’élément nouveau de polémique électorale ainsi introduit juste avant le scrutin, à un moment où le maire sortant ne pouvait y répondre utilement, a été de nature à affecter la sincérité du scrutin, eu égard au nombre d’électeurs susceptibles d’être concernés par cette polémique et à l’écart de 77 voix sur 16 421 suffrages exprimés.

Conseil d’État, 17 avril 2015, N° 385764

 L’exercice d’un recours spécial (prévu à l’article L. 265 du code électoral) contre la décision préfectorale refusant la délivrance d’un récépissé de déclaration de candidature d’une liste interdit-il au candidat d’introduire un recours, pour le même motif, contre les opérations électorales ?

Non et ce alors même que ce recours spécial a été effectivement exercé et rejeté, quel que soit le motif de ce rejet. En l’espèce le préfet avait refusé de délivrer le récépissé de déclaration d’une candidature, le dépôt de cette liste n’étant pas accompagné d’une attestation d’inscription sur les listes électorales pour chacun des candidats y figurant. Le recours spécial introduit contre ce refus avait été rejeté car déposé tardivement. Le chef de liste avait alors déposé un recours en sollicitant l’annulation des opérations électorales. Le tribunal administratif l’avait débouté au motif que l’exercice du recours spécial le privait du droit à soulever le grief tiré de l’irrégularité de ce refus à l’occasion de sa protestation contre les opérations électorales en cause. Le Conseil d’Etat censure cette position mais valide le refus du préfet dès lors que le requérant n’avait pas joint à sa déclaration de candidature les attestations exigées par les dispositions de l’article R. 128 du code électoral.

Conseil d’État, 17 avril 2015, N° 386091

Environnement

 L’administration est tenue, pour toute décision ayant une incidence sur l’environnement, de porter à la connaissance du public par voie électronique les motifs de la décision et une synthèse des observations du public. Cette obligation emporte-elle obligation de motiver la décision elle-même ?

Non. Ainsi des associations ne peuvent exercer un recours contre une telle décision [2] au motif que le document rendant public les motifs de la décision ne permettrait ni de connaître les observations formulées dans le cadre de la procédure de participation ni de savoir dans quelle mesure elles ont été prises en compte.

Conseil d’État, 17 avril 2015, N° 375961

Pouvoir de police

 Un mur situé à l’aplomb d’une voie publique menace de s’effondrer. Le maire peut-il, au titre de la police des immeubles menaçant ruine, enjoindre au propriétaire de la parcelle maintenue par ledit mur d’engager les travaux nécessaires ?

Non : en l’absence de titre en attribuant la propriété aux propriétaires des parcelles en bordure desquelles il est édifié ou à des tiers, un mur situé à l’aplomb d’une voie publique et dont la présence évite la chute de matériaux qui pourraient provenir des fonds qui la surplombent doit être regardé comme un accessoire de la voie publique, même s’il a aussi pour fonction de maintenir les terres des parcelles qui la bordent. C’est donc à la collectivité d’en assurer l’entretien. Tel est le cas d’un mur édifié en bordure d’une avenue créée au milieu du dix-neuvième siècle en creusant dans une colline afin d’en réduire la pente : cet ouvrage, dont la présence évite la chute sur la voie publique de matériaux qui pourraient provenir des fonds riverains situés en surplomb de l’avenue, est en effet nécessaire à la sécurité de la circulation.

Conseil d’État, 15 avril 2015, N° 369339

 Le propriétaire d’un immeuble déclaré insalubre peut-il faire valoir que le coût des mesures ordonnées est disproportionné par rapport à la valeur de l’immeuble ?

Non : l’insalubrité ne peut être qualifiée d’irrémédiable que lorsqu’il n’existe aucun moyen technique d’y mettre fin ou que les travaux nécessaires à sa résorption seraient plus coûteux que la reconstruction. Il appartient à l’autorité administrative (compétence préfectorale) de prescrire la réalisation par le propriétaire des mesures strictement nécessaires pour mettre fin à l’insalubrité, sans que l’intéressé puisse faire valoir utilement que le coût des mesures ordonnées est disproportionné par rapport à la valeur vénale de l’immeuble ou aux revenus qu’il en retire. Dans ce même arrêt, le Conseil d’Etat précise en outre que les dispositions des articles L. 1331-26 et L. 1331-28 du code de la santé publique n’ont ni pour objet, ni pour effet de permettre à l’autorité administrative de prescrire la réalisation de travaux par le propriétaire de locaux à la fois inoccupés et libres de location et dont l’état ne constitue pas un danger pour la santé des voisins.

Conseil d’État, 15 avril 2015, N° 369548

 L’effondrement d’un immeuble peut-il engager la responsabilité pénale du maire malgré les négligences des propriétaires qui n’ont pas correctement entretenu leur bien ?

Oui si le maire, alerté sur la dangerosité du bâtiment, n’a pas exercé ses pouvoirs de police relatifs aux immeubles menaçant ruine. Les négligences des propriétaires qui n’ont pas correctement entretenu leur bien n’exonèrent pas l’élu de ses propres responsabilités : en n’engageant pas de procédure de péril, l’élu a en effet commis une faute qui exposait les riverains à un danger qu’il ne pouvait ignorer. Peu importe que les propriétaires négligents n’aient pas, pour leur part, été poursuivis... En l’espèce le mur d’un bâtiment désaffecté, connu pour être en très mauvais état, s’était effondré sur une véranda mitoyenne où se tenait une fête familiale, blessant plusieurs personnes dont un enfant grièvement. Le maire est reconnu coupable de blessures involontaires, faute pour lui d’avoir pris un arrêté de péril alors qu’il avait été alerté du mauvais état de l’immeuble.

Tribunal correctionnel de Valenciennes, 15 avril 2015, n° 875/2014

 Le pouvoir de police du maire s’exerce-t-il jusque dans la vitrine d’un boulanger qui expose à la vente des pâtisseries de mauvais goût susceptibles de choquer les passants ?

Potentiellement oui, le maire étant garant au titre de ses pouvoirs de police, du respect dû à la dignité de la personne humaine. Ainsi, le Conseil d’Etat (commune de Morsang-sur-Orge) a déjà précisé que le maire « peut, même en l’absence de circonstances locales particulières, interdire une attraction qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine » (arrêté municipal interdisant l’organisation de lancer de nains). Ici, le juge des référés du Conseil d’Etat (ordonnance N°389372 Société Grasse Boulange / CRAN) juge que des pâtisseries représentant des personnages de couleur noire dans une attitude obscène et s’inscrivant délibérément dans l’iconographie colonialiste, sont de nature à heurter les passants. Il confirme à cette occasion que « le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public » justifiant l’exercice des pouvoirs de police du maire. Pour autant, le refus du maire de faire droit à une demande tendant à interdire l’exposition au public des pâtisseries litigieuses, ne constitue pas en soi, une atteinte manifeste à une liberté fondamentale justifiant la saisine, en urgence, du juge des référés. La procédure du « référé-liberté » est donc fermée. Il appartiendra, le cas échéant, au juge du fond de se prononcer sur la légalité du refus du maire.

Conseil d’Etat, juge des référés, ordonnance du 16 avril 2015, N°389372


Responsabilité pénale

 L’évolution des connaissances scientifiques peut-elle constituer rétroactivement un élément à charge contre le décideur qui a mal évalué un risque ?

Non : ce qui compte c’est l’état des connaissances scientifiques au moment où le décideur se prononce. En l’espèce la Cour de cassation confirme l’annulation des mises en examen des membres du Comité permanent amiante poursuivis sur la plainte de salariés, les personnes mises en cause n’ayant pu « dans le contexte des données scientifiques de l’époque, mesurer le risque d’une particulière gravité auquel elles auraient exposé les victimes ». Ainsi le principe de précaution trouve difficilement sa place en droit pénal, en raison notamment du principe de l’interprétation stricte de la loi pénale. Rappelons que, pour sa part, le Conseil d’Etat a retenu la responsabilité de l’Etat lui reprochant de n’avoir entrepris aucune étude avant 1995 pour déterminer précisément les dangers que présentaient pour les travailleurs les produits contenant de l’amiante alors pourtant que le caractère hautement cancérigène de cette substance avait été confirmé à plusieurs reprises et que le nombre de maladies professionnelles et de décès liés à l’exposition à l’amiante ne cessait d’augmenter depuis le milieu des années cinquante.

Cour de cassation, chambre criminelle, 14 avril 2015, N° 14-85333


 [3]

[1Par laquelle l’Etat a transféré aux régions la compétence d’organisation des services ferroviaires régionaux de voyageurs et la compétence d’organisation des services routiers effectués en substitution de ces services ferroviaires.

[2En l’espèce des associations de protection de l’environnement demandaient l’annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2013-1301 du 27 décembre 2013 modifiant la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement

[3Photo : © Treenabeena