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Principe de précaution : incidences de l’évolution des connaissances scientifiques sur la responsabilité pénale des décideurs

Cour de cassation, chambre criminelle, 14 avril 2015, N° 14-85333

L’évolution des connaissances scientifiques peut-elle constituer rétroactivement un élément à charge contre le décideur qui a mal évalué un risque ?

Non : ce qui compte c’est l’état des connaissances scientifiques au moment où le décideur se prononce. En l’espèce la Cour de cassation confirme l’annulation des mises en examen des membres du Comité permanent amiante poursuivis sur la plainte de salariés, les personnes mises en cause n’ayant pu "dans le contexte des données scientifiques de l’époque, mesurer le risque d’une particulière gravité auquel elles auraient exposé les victimes". Ainsi le principe de précaution trouve difficilement sa place en droit pénal, en raison notamment du principe de l’interprétation stricte de la loi pénale. Rappelons que, pour sa part, le Conseil d’Etat a retenu la responsabilité de l’Etat lui reprochant de n’avoir entrepris aucune étude avant 1995 pour déterminer précisément les dangers que présentaient pour les travailleurs les produits contenant de l’amiante alors pourtant que le caractère hautement cancérigène de cette substance avait été confirmé à plusieurs reprises et que le nombre de maladies professionnelles et de décès liés à l’exposition à l’amiante ne cessait d’augmenter depuis le milieu des années cinquante.

Des salariés d’une usine [1] portent plainte avec constitution de partie civile du fait de leur exposition à l’amiante. Ils sont appuyés par une association locale de défense des victimes de l’amiante (ALDEVA), et la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH).

Le juge d’instruction met en examen :

 le directeur de l’Institut national de la recherche et de la sécurité (INRS) ;

 un expert et représentant au ministère de l’industrie ;

 le directeur de l’Association française de l’amiante, et de l’Association internationale de l’amiante ;

 un membre de ces deux associations ;

 un pneumologue et praticien hospitalier ;

 la directrice des relations du travail et un fonctionnaire au sein de cette direction.

Leur point commun ? Ils étaient tous membres du Comité permanent amiante (CPA), le magistrat instructeur leur reprochant d’avoir contribué à créer le dommage ou de n’avoir pas pris les mesures permettant de l’éviter, l’exposition à l’amiante ayant eu pour conséquence les atteintes à la santé et à la vie de salariés.

Les personnes poursuivies obtiennent l’annulation de leur mise en examen devant la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, ce qu’approuve la Cour de cassation. C’est par une appréciation souveraine des faits que la chambre de l’instruction a estimé qu’il n’existait pas, en l’état de l’information, d’indices graves ou concordants contre les personnes mises en examen, rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteurs ou complices, à la commission des homicides et blessures involontaire. En effet :

 d’une part, aucune négligence ne leur est imputable dans la surveillance de la réglementation ;

 d’autre part, les personnes poursuivies n’ont pu "dans le contexte des données scientifiques de l’époque, mesurer le risque d’une particulière gravité auquel elles auraient exposé les victimes".

La juge prend ainsi explicitement en compte le "contexte des données scientifiques de l’époque".

Rappelons que, pour sa part, le Conseil d’Etat [2] a retenu la responsabilité de l’Etat lui reprochant de n’avoir entrepris aucune étude avant 1995 pour déterminer précisément les dangers que présentaient pour les travailleurs les produits contenant de l’amiante alors pourtant que le caractère hautement cancérigène de cette substance avait été confirmé à plusieurs reprises et que le nombre de maladies professionnelles et de décès liés à l’exposition à l’amiante ne cessait d’augmenter depuis le milieu des années cinquante.

Il reste que la position de la chambre criminelle de la Cour de cassation confirme que les conséquences du principe de précaution (voir notre dossier) sur la responsabilité pénale des décideurs sont très limitées, voire nulles, en l’absence de risque sanitaire certain et avéré scientifiquement.

[1Ferodo-Valéo de Condé-sur-Noireau.

[2CE 3 mars 2004 N° 241153.