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Immeuble menaçant ruine : responsabilité pénale du maire en cas d’effondrement ?

Tribunal correctionnel de Valenciennes, 15 avril 2015, n° 875/2014

L’effondrement d’un immeuble peut-il engager la responsabilité pénale du maire malgré les négligences des propriétaires qui n’ont pas correctement entretenu leur bien ?

 

Oui si le maire, alerté sur la dangerosité du bâtiment, n’a pas exercé ses pouvoirs de police relatifs aux immeubles menaçant ruine. Les négligences des propriétaires qui n’ont pas correctement entretenu leur bien n’exonèrent pas l’élu de ses propres responsabilités : en n’engageant pas de procédure de péril, l’élu a en effet commis une faute qui exposait les riverains à un danger qu’il ne pouvait ignorer. Peu importe que les propriétaires négligents n’aient pas, pour leur part, été poursuivis... En l’espèce le mur d’un bâtiment désaffecté, connu pour être en très mauvais état, s’était effondré sur une véranda mitoyenne où se tenait une fête familiale, blessant plusieurs personnes dont un enfant grièvement. Le maire est reconnu coupable de blessures involontaires, faute pour lui d’avoir pris un arrêté de péril alors qu’il avait été alerté du mauvais état de l’immeuble.
 

Au cours d’une fête familiale organisée par un particulier, le mur mitoyen d’un magasin désaffecté s’effondre sur une véranda blessant grièvement un enfant et plus légèrement onze autres convives.

Le mauvais état du bâtiment était connu depuis longtemps par les services de la mairie. De fait, une riveraine indique avoir signalé à la mairie, un an auparavant, des nuisances liés à l’état du bâtiment après avoir trouvé des tuiles et des briques dans son jardin...

 

Un agent municipal, qui s’était déplacé pour l’occasion, confirme les dires du témoin en présentant des photographies à l’appui. En outre une semaine avant le drame, un autre fonctionnaire, avait constaté dans un rapport une chute d’une partie de la toiture.

 

Pourtant aucune mesure de police n’a été prise pour assurer la sécurité des riverains. D’où les poursuites engagées contre le maire pour blessures involontaires.

 

Les propriétaires de l’immeuble désaffecté, deux personnes âgées habitant à l’autre extrémité de la France, se dégagent de toute responsabilité. Ils pensaient que leur bien était vendu [1]. Bien qu’ils ne produisent aucun document à l’appui de leur affirmation, ils ne font l’objet d’aucune poursuite. Après avoir été entendus sous le statut de simples témoins assistés, ils ne sont pas mis en examen et ce malgré l’avis contraire du parquet.

 

Seul le maire est donc poursuivi pour blessures involontaires, faute de ne pas avoir exercé ses pouvoirs de police relatifs aux immeubles menaçant ruine.

 

L’enquête établit à cet égard qu’un arrêté d’insalubrité, assorti d’une obligation de travaux à la charge des propriétaires, a été pris pour un logement voisin situé dans le même ensemble que le commerce désaffecté.

 

Mais aucun travaux n’a été réalisé.

 

L’expertise judiciaire du bâtiment démontre que l’effondrement est dû à la vétusté et au manque d’entretien, les fuites persistantes ayant entraîné le pourrissement de la charpente. L’expert conclut que de simples mesures conservatoires auraient pu éviter le sinistre.

 

Le maire reconnaît qu’il connaissait le mauvais état du bâtiment mais précise que les alertes les plus conséquentes ne lui sont parvenues que la semaine précédent l’accident. Il met en avant un projet de réhabilitation du quartier et précise que des contacts avec les propriétaires avaient été pris à cet effet.

 

Au cours d’une perquisition en mairie, plusieurs document sont saisis :

 un document interne mentionne une réunion où l’un des participants attire l’attention sur la nécessité de prendre un arrêté de péril ;

 une note interne indique que le fronton se dégrade, fait état de fissures importantes et d’une inclinaison dangereuse de l’édifice ;

 un courrier signé du maire, postérieur à l’effondrement, attire l’attention sur l’urgence de la situation et la nécessité de prendre rapidement des mesures pour éviter une catastrophe...

 

Pour autant le maire estime qu’il ne disposait pas de suffisamment d’éléments pour prendre un arrêté de péril. Il explique qu’il a n’a pas hésité, pour d’autres immeubles, à engager cette procédure lorsque les conditions étaient réunies. Il est contredit sur ce point par l’expert qui estime que depuis un an le bâtiment présentait même à l’extérieur des signes de faiblesse et de déformation, ce qui aurait dû conduire l’autorité municipale à missionner un expert ou à enjoindre aux propriétaires d’effectuer les travaux.

 

Les juges estiment qu’il résulte de l’ensemble des éléments que le péril pouvait être apprécié depuis un an "même par un profane". En outre le tribunal relève qu’aucune procédure de péril n’a été engagée depuis l’effondrement. Et les juges d’en conclure que "le maire, était tenu à une obligation particulière de sécurité ou de prudence, en l’espèce de prendre toutes les mesures dans son pouvoir pour au moins mettre en demeure les propriétaires de s’occuper de leur bien, mais qu’il s’est abstenu de le faire malgré les alertes qu’il ne pouvait ignorer"...

 

L’élu est condamné à 2000 euros d’amende avec sursis pour les blessures involontaires avec incapacité inférieure à trois mois, et à dix amendes de 100 euros pour les blessures involontaires sans incapacité.

Au civil, le tribunal condamne le maire à indemniser personnellement les victimes et à leur verser plus de 10 000 euros de dommages-intérêts. Mais sans pour autant caractériser une faute personnelle détachable à l’encontre de l’élu en violation des règles de compétence des juridictions judiciaires : le tribunal correctionnel aurait dû se déclarer incompétent pour se prononcer sur le montant des dommages-intérêts et inviter les victimes à se pourvoir devant les juridictions administratives.

 

[1Les propriétaires étaient deux sœurs octogénaires qui avaient hérité du bien en usufruit. Elles pensaient que leur bien avait été vendu à la mairie. En fait, la commune leur avait bien formulé une proposition d’achat mais elles n’y avaient pas répondu...