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La jurisprudence de la semaine du 4 au 8 novembre 2013

Dommage de travaux publics / Fonction publique territoriale et droit social / Hygiène et sécurité au travail / Organisation territoriale / Pouvoirs de police

(dernière mise à jour le 26/08/2014)

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Dommage de travaux publics

 Des riverains d’un ouvrage public peuvent-ils, plus de quatre ans après la construction du bâtiment (ici une médiathèque municipale) demander réparation des nuisances sonores liées au fonctionnement de la pompe à chaleur de l’ouvrage ?

Oui : la créance indemnitaire relative à la réparation d’un préjudice présentant un caractère évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. En effet lorsque la responsabilité d’une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d’obtenir l’indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions de l’article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, à la date à laquelle la réalité et l’étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. Ainsi le préjudice résultant des nuisances sonores liées au fonctionnement de la pompe à chaleur de l’ouvrage est par nature susceptible d’évoluer dans le temps, en fonction des conditions d’utilisation de cette installation et des mesures susceptibles d’être prises pour en limiter les nuisances. Il doit donc être rattaché non pas, dans son ensemble, à la seule année de mise en service, mais à chacune des années durant lesquelles il a été subi. En revanche le préjudice tenant à la perte de valeur vénale de la maison, liée à une privation de vue et d’ensoleillement et à la réverbération des rayons solaires se reflétant sur les vitres de l’ouvrage public, était entièrement connu dans son existence et son étendue dès la mise en service de ce dernier et se rattachait donc en totalité à l’année de cette mise en service.

Conseil d’État, 6 novembre 2013, N° 354931

Fonction publique territoriale et droit social

 Un employeur peut-il rompre unilatéralement et sans indemnité le CDD d’un salarié recruté sous forme de chèque-emploi ?

Non : il résulte de l’article L. 1274-4 du code du travail ,dans sa rédaction applicable au litige, que l’utilisation du chèque-emploi pour les très petites entreprises dispense seulement l’employeur d’établir un bulletin de paie, un contrat de travail et un certificat de travail. En revanche les dispositions du code du travail sur la rupture du contrat de travail ne sont pas écartées en cas de recours à ce dispositif.

Cour de cassation, chambre sociale, 6 novembre 2013, N° 12-24053

 Une commune peut-elle engager sa responsabilité si elle ne renouvelle pas le contrat à durée déterminée d’un agent ?

Oui, si la décision n’est pas fondée sur des motifs justifiés par l’intérêt du service. A défaut, la décision est entachée d’illégalité et constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune. En l’espèce, le maire n’avait pas fourni les motifs justifiant sa décision soudaine (trois semaines avant l’échéance du dernier contrat) de ne pas renouveler le contrat de la requérante. Elle était pourtant au service de la commune depuis une dizaine d’années, par contrats successifs d’une durée de trois mois. La commune est ainsi condamnée à indemniser la victime à hauteur de 55 000 euros en réparation de ses préjudices moraux et financiers.

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 7 novembre 2013, N° 13BX00807

 Un agent qui doit être joignable par téléphone à tout moment a-t-il droit à une indemnité d’astreinte y compris lorsqu’il n’est pas sollicité et bien qu’il reste libre de s’éloigner de son domicile ?

Oui : aux termes de l’article 2 du décret du 19 mai 2005, "une période d’astreinte s’entend comme une période pendant laquelle l’agent, sans être à la disposition permanente et immédiate de son employeur, a l’obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d’être en mesure d’intervenir pour effectuer un travail au service de l’administration, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif ainsi que, le cas échéant, le déplacement aller et retour sur le lieu de travail." Il n’est pas nécessaire que l’agent se soit effectivement déplacé pour des interventions sur des installations pour que la période soit considérée comme une astreinte. En l’espèce, la commune avait mis un téléphone portable à disposition d’un agent technique affecté à la piscine municipale avec l’obligation de "rester joignable, à son domicile ou en tout lieu de son choix, afin de pouvoir renseigner ou appuyer techniquement les agents chargés de l’astreinte générale des bâtiments", et ce, une semaine sur deux et onze mois sur douze. La décision de la commune de ne pas considérer les périodes litigieuses comme des astreintes est entachée d’illégalité. Elle est condamnée à les indemniser.

Cour administrative d’appel de Versailles, 7 novembre 2013, N° 12VE00164

Hygiène et sécurité au travail

 Appartient-il l’employeur de s’assurer que les consignes de sécurité définies par le plan particulier de sécurité et de protection de la santé sont bien respectées par le chef d’équipe ?

Oui surtout s’il s’agit de travaux qui présentent un caractère périlleux (ici construction d’un mur en béton d’une hauteur supérieure à sept mètres qui s’est effondré lors de l’opération de décoffrage). Engage ainsi sa responsabilité pénale pour homicide involontaire une entreprise dont un salarié est décédé faute pour le chef de chantier, investi d’une délégation de pouvoirs et chargé d’informer ses subordonnés des mesures de sécurité définies par le plan particulier de sécurité et de protection de la santé, de pas avoir surveillé l’exécution des instructions données au chef d’équipe (alors qu’il ne pouvait ignorer le caractère périlleux de l’entreprise, inhabituelle au regard, non seulement de la hauteur du mur et de la qualité du béton utilisé, mais aussi des difficultés rencontrées au cours de l’opération, comme la confection et la mise en place, dans des conditions improvisées, d’un dispositif destiné à aménager une ouverture). Les insuffisances du plan, dont certaines préconisations n’ont pas été observées alors que le mur n’était pas suffisamment sec pour être décoffré, constituent des carences et négligences en relation causale avec l’accident.

Cour de cassation, chambre criminelle, 5 novembre 2013, N° 12-85380

Organisation territoriale

  Suppression d’une commune associée : le préfet doit-il prescrire une enquête publique et instituer une commission consultative ?

Uniquement si la demande de suppression émane, non du conseil municipal, mais des électeurs (le préfet peut être saisi d’une demande de suppression d’une commune associée, soit par délibération du conseil municipal de la commune issue de la fusion à la majorité des deux tiers de ses membres, soit par un tiers au moins des électeurs inscrits sur les listes électorales de la commune associée ou de la commune issue de la fusion). Le préfet se prononce sur la demande de suppression en prenant en compte l’ensemble de la situation, notamment l’opinion de le population de la commune concernée, de la commission consultative ou du conseil municipal, la pertinence du projet de suppression au regard des objectifs de rationalisation de l’action administrative communale et d’adaptation des services publics aux besoins de la population... Aucun de ces éléments ne prime sur les autres. La décision du préfet ne peut être censurée par le juge qu’en cas d’erreur manifeste d’appréciation.

Conseil d’Etat, 4 novembre 2013, avis n° 369356 et 369389

Pouvoirs de police

 Une commune peut-elle être tenue responsable des nuisances imputées aux occupants d’une aire d’accueil des gens du voyage ?

Oui, s’il est démontré une carence du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police. En l’espèce, en se dispensant de prendre les mesures nécessaires pour remédier à l’usage non conforme de l’aire d’accueil par ses occupants, au besoin par une mesure d’exclusion, et aux atteintes portées à l’ordre public comme à la salubrité publique, alors qu’il a été informé à plusieurs reprises de la situation, le maire a commis une faute qui engage la responsabilité de la commune.

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 5 novembre 2013, N° 13BX01069

 Des riverains d’une église peuvent-ils exiger du maire que les cloches ne sonnent plus toutes les heures et demi-heures , de jour comme de nuit ?

Oui : sauf à démontrer l’existence de dispositions légales ou réglementaires, ou d’un usage local pratiqué antérieurement à la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, les cloches des églises ne peuvent être employées aux sonneries civiles "que dans les cas de péril commun qui exigent un prompt secours." En l’espèce, la signature d’une pétition par les habitants pour la sauvegarde de la sonnerie des cloches et le témoignage de l’instituteur indiquant que la sonnerie diurne et nocturne à des fins civiles se pratiquait déjà en 1967, ne justifient d’aucun usage local antérieur à la loi précitée. La délibération du conseil municipal (commune de 400 habitants), postérieure à la saisine du tribunal par les requérants, limitant les horaires de sonnerie à l’intervalle entre 6 heures et 23 heures est annulée par les juges. Ces derniers enjoignent au maire d’interdire toute utilisation des cloches de l’église à des fins civiles, de jour comme de nuit, à l’exception des cas de péril imminent exigeant des secours immédiats ou prescrits par les lois et règlements.

Cour administrative d’appel de Paris, 5 novembre 2013, N° 10PA04789

 Une commune peut-elle être déclarée responsable des nuisances sonores provoquées par un équipement sportif intercommunal ?

Oui s’il peut-être imputé au maire une défaillance dans l’exercice de son pouvoir de police.Tel est jugé le cas en l’espèce dès lors que l’équipement sportif (un terrain de football synthétique) faisait l’objet d’une fréquentation anarchique et incontrôlée jusqu’à des heures tardives, ce qui aurait dû conduire le maire à en interdire l’accès après 22 heures et à s’assurer du respect de la réglementation. Le syndicat intercommunal engage pour sa part sa responsabilité sans faute en qualité de maître d’ouvrage et doit indemniser les riverains de leur préjudice certain, anormal et spécial résultant du fonctionnement de l’ouvrage public. Présentent bien de tels caractères, les nuisances sonores invoquées par les riverains, une expertise ayant relevé des émergences sonores nettement supérieures aux limites fixées par le code de la santé publique. En revanche les nuisances visuelles résultant de la présence même de l’équipement et de l’éclairage nocturne, ne sont pas jugées comme présentant un caractère anormal et spécial et ne sont donc pas indemnisables. Enfin, s’agissant du préjudice résultant de la perte vénale du bien, le tribunal n’accepte d’indemniser que les seuls requérants qui sont en phase de vente, les autres pouvant encore espérer un déplacement de l’équipement ou l’adoption de mesures efficaces pour en limiter les nuisances.

Tribunal administratif de Melun, 6 novembre 2013, N° 1108715/9

 La responsabilité pénale d’une collectivité peut-elle être engagée pour blessures involontaires suite à un accident survenu sur un ouvrage appartenant à l’Etat ?

Oui si la commune a accompli des actes positifs manifestant sa volonté de se comporter comme propriétaire de l’ensemble immobilier. Une ville est ainsi déclarée pénalement responsable d’un accident survenu dans un ancien ancien bunker militaire non déclassé (appartenant donc toujours à l’Etat) situé dans un parc communal. En effet la ville a enlevé une clôture interdisant l’accès à la zone dangereuse et n’a pas mis en œuvre les mesures de prévention préconisées par une étude de sécurisation commandée à sa propre initiative (ce qui atteste en outre qu’elle avait bien conscience du danger). Rien ne permettant d’exclure que la gestion du parc puisse un jour faire l’objet d’une délégation de service public, la responsabilité pénale de la collectivité peut bien être engagée sur le fondement de l’article 121-2 alinéa 2 du Code pénal.

Cour d’appel de Colmar, 6 novembre 2013, n° 13/01057

[1Photo : © Treenabeena