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Prise illégale d’intérêts

Réponse du 28/03/2013 à la Question écrite n° 03985 de M. Jean Louis Masson

Un conseiller municipal peut-il participer, sans risque de prise illégale d’intérêts, au vote du taux des impôts locaux dès lors qu’il est lui-même assujetti à la taxe d’habitation ?

 [1]


"Il ne semble pas exister de risque pénal particulier lié au vote d’une taxe d’habitation par un élu qui y est assujetti ou, sauf éventuels cas particuliers, au vote permettant la réfection de trottoirs de la rue où habite l’élu". La réponse à la question du sénateur Masson se veut rassurante tout en étant empreinte d’une certaine prudence. La largesse du texte d’incrimination de l’article 432-12 du code pénal réprimant la prise illégale d’intérêts peut continuer d’alimenter les interprétations les plus fantaisistes...

5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende

"Le délit de prise illégale d’intérêts est défini par l’article 432-12 du code pénal comme le fait, « par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ». Il est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende".

Des dérogations encadrées pour les communes rurales

"Afin de prendre en considération les spécificités des petites communes, souvent rurales, des dispositions dérogatoires (art. 432-12 alinéas 2 à 5) existent pour les communes de moins de 3 500 habitants".

Un intérêt "quelconque"

L’infraction de prise illégale d’intérêts vise à s’assurer de la probité des personnes chargées de fonctions publiques et à écarter tout soupçon que l’administré pourrait avoir sur la prise en compte, dans la gestion des affaires publiques, du seul intérêt général. L’intérêt quelconque peut être « de nature matériel ou moral, direct ou indirect, et se consomme par le seul abus de la fonction indépendamment de la recherche d’un gain ou de tout autre avantage personnel » [2] et il n’a pas à être nécessairement en contradiction avec l’intérêt général [3].

Même sans un intérêt personnel

"Il convient de noter que la prise illégale d’intérêt peut également être caractérisée malgré l’absence d’enrichissement personnel des élus, notamment en cas de subventions accordées par des élus à des associations qu’ils président (Cour de cassation, chambre criminelle, 22 octobre 2008). À ce sujet, on citera la décision affirmant que « le délit d’ingérence est caractérisé dès lors qu’il est établi, d’une part, que les prévenus devaient exercer, en qualité de maire ou d’adjoint au maire, une surveillance sur l’activité de la société civile immobilière chargée de l’aménagement du littoral et dont la constitution avait été décidée par le conseil municipal, et d’autre part qu’ils ont pris un intérêt personnel, même sans rémunération ou contrepartie pécuniaire, dans le fonctionnement de ladite société » [4]".

Nul n’est censé ignoré la loi

"On rappellera enfin que l’élément intentionnel du délit de prise illégale d’intérêt est caractérisé « par le seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit » [5].

Illustrations en matière d’urbanisme

"À titre d’exemples des contours du délit de prise illégale d’intérêts, on citera l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Grenoble le 15 septembre 2004 qui a jugé que n’était pas constitutif du délit d’ingérence (ancienne dénomination du délit de prise illégale d’intérêts) le fait pour un maire, également gérant d’un hôtel de la commune, de présider les conseils municipaux et de prendre part aux votes ayant décidé d’opérations de préemption et d’expropriation d’une parcelle, sur laquelle était construite une maison, située entre l’hôtel exploité par le propriétaire de cette parcelle et la mairie. La cour d’appel a indiqué que, bien que le maire ait eu, es qualité, l’administration ou la surveillance de ces opérations, il n’avait pas abusé de ses fonctions dans le but d’affaiblir un hôtel concurrent. En effet, le caractère d’utilité publique de cette expropriation n’était pas contestable et il n’existait pas de concurrence directe entre les établissements, l’intention frauduleuse n’étant au demeurant nullement caractérisée et ne pouvant, à défaut d’intérêt caractérisé, suffire à constituer le délit.

La Cour d’appel de Poitiers a, quant à elle, considéré, dans un arrêt du 9 janvier 1998, que le conseiller municipal qui participait au groupe de travail et aux délibérations du conseil municipal relatifs à l’élaboration d’un projet de révision du plan d’occupation des sols (POS) de la commune, ne commettait pas de délit d’ingérence, dès lors que le reclassement des terres opéré par la révision du POS ne constituait pas, en l’espère, un intérêt ; en effet, un reclassement plus favorable avait déjà été proposé par un autre projet de révision et était, de manière inéluctable, commandé par la situation des lieux et par la stricte interprétation dans l’intérêt de la commune, des lois et règlements applicables en matière d’occupation des sols.

En revanche, dans la même décision, la cour d’appel condamnait le conseiller municipal du chef de prise illégale d’intérêts, dès lors qu’il avait participé, par mandataire interposé, à la délibération adoptant le POS ayant conduit à classer en zone constructible des terres lui appartenant classées auparavant en zone non constructible et qu’il obtenait, à titre dérogatoire, une autorisation d’application du POS par anticipation, lui permettant d’adjoindre à des terres non constructibles des terrains contigus situés en zone constructible et ainsi de constituer des lots de lotissement qu’il vendait par la suite pour réaliser un profit substantiel.

Appréciation souveraine des tribunaux au cas par cas

"En conclusion, dans le cadre de l’article 432-12 du code pénal, les cours et tribunaux, par une appréciation souveraine, jugent au cas par cas les faits qui leur sont soumis, la notion d’abus de fonction comme celle d’intérêt permettant de circonscrire le texte répressif aux comportements réellement délictueux. Dès lors, il ne semble pas exister de risque pénal particulier lié au vote d’une taxe d’habitation par un élu qui y est assujetti ou, sauf éventuels cas particuliers, au vote permettant la réfection de trottoirs de la rue où habite l’élu".

Réponse du 28/03/2013 à la Question écrite n° 03985 de M. Jean Louis Masson

 Le délit de prise illégale d’intérêts, passible de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, a pour ambition d’écarter tout soupçon de pollution de l’intérêt public par un intérêt privé.

 Mais en réprimant un intérêt "quelconque" le texte ratisse large : peu importe que l’élu n’ait pas retiré un intérêt personnel de l’opération ni même qu’il ait porté atteinte à l’intérêt de la collectivité. Pas étonnant dans ces conditions que ce délit constitue, selon les chiffres de l’Observatoire Smacl des risques de la vie territoriale, le 1er motif de poursuite et de condamnation des élus locaux.

 De fait la réponse ministérielle se veut rassurante tout en étant empreinte d’une très grande prudence, comme le démontre l’emploi du verbe "sembler". Tout est effectivement question d’appréciation au cas par cas le juge sans possibilité pour l’élu-justiciable de toujours savoir, en amont, si la ligne jaune risque ou non d’être franchie. De fait les dernières jurisprudences analysées sur ce site (suivre notamment les liens proposés en fin d’article) démontrent que la rédaction ouverte du texte peut laisser place à toutes les interprétations et aux instrumentalisations de la justice à des fins politiques.

 Le texte mériterait d’être réformé pour cibler la répression sur les seuls élus qui ont abusé de leurs fonctions à des fins personnelles. C’est le sens d’une proposition de loi sénatoriale visant à remplacer la notion "d’intérêt quelconque" par celle, mise en œuvre par le juge administratif, "d’intérêt personnel distinct de l’intérêt général". Le climat politique actuel n’est guère propice à une telle réforme. Pourtant l’action politique locale y gagnerait en efficacité et en sérénité sans pour autant désarmer la légitime lutte contre les conflits d’intérêts.


Texte de référence

 Article 432-12 du code pénal

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[1Photo : © Artmann WitteChaises

[2Cour de cassation, chambre criminelle, 21 juin 2000

[3Cour de cassation, chambre criminelle, 19 mars 2008

[4Cour de cassation, chambre criminelle 25 juin 1996

[5Cour de cassation, chambre criminelle, 27 novembre 2002, voire encore criminelle 22 octobre 2008