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Prise illégale d’intérêts : les délégations aux adjoints ne sont pas pour le maire un gage d’immunité

Cour d’appel de Poitiers, 20 décembre 2012, arrêt n°820

La délivrance d’un permis d’aménager sur des parcelles mises en vente par les parents du maire peut-elle tomber sous le coup de la prise illégale d’intérêts bien que l’arrêté ait été signé par un adjoint ?

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Oui si le maire s’est impliqué dans le dossier en amont du permis d’aménager. Se rend ainsi coupable de prise illégale d’intérêts le maire qui participe à des réunions, même informelles, et qui signe des courriers relatifs au projet qui concerne ses parents. Peu importe que l’élu n’ait pas lui même signé le permis. Il est tout aussi indifférent que l’élu n’ait pas tiré personnellement profit de l’opération, ni que la commune n’ait subi aucun préjudice.

Le maire d’une commune de 3000 habitants participe à la délibération de la communauté d’agglomération approuvant le plan local d’urbanisme rendant constructibles les parcelles de ses parents. Cela lui vaut une première condamnation pour prise illégale d’intérêts.

Deux ans plus tard, le maire est à nouveau poursuivi du même chef. En effet ses parents ont signé une promesse de vente avec un promoteur immobilier. L’opération a été conclue sous condition suspensive d’obtention du permis d’aménager.

Chat échaudé craignant l’eau froide, l’élu se garde bien de signer lui même l’arrêté. C’est une adjointe au maire qui s’en charge.

Peine perdue : l’élu est de retour poursuivi pour prise illégale d’intérêts.

Cette fois il lui est reproché d’être intervenu à plusieurs reprises dans la préparation du dossier :

 il a participé à une douzaine de réunions consacrées au projet dont des réunions de la commission d’urbanisme et des réunions plus informelles au cours desquelles il a exigé l’intégration d’un volet d’immobilier locatif à vocation sociale ;

 il a signé en sa qualité de maire des courriers adressés à la société de promotion immobilière pour demander des pièces complémentaires et pour fixer un rendez-vous relatif aux règles imposées par la DIREN quant à la taille du panneau publicitaire de l’opération ;

 c’est à sa demande que le permis d’aménager a été signé par son adjointe ;

 l’élu a reconnu au cours de sa garde à vue avoir participé à la procédure de préparation et d’instruction du dossier.

Bref peu importe que l’élu n’ait pas lui même signé le permis d’aménager. Il s’est trop impliqué dans le dossier en amont. Or "compte-tenu des liens familiaux très proches existants entre lui et ses parents, [l’élu] avait un intérêt personnel patrimonial et affectif direct dans la transaction". Il aurait donc dû se garder de toute immixtion y compris dans la phase de préparation du projet :

"sa seule présence, même exclusive de tout vote, à des délibérations portant sur cette affaire dans laquelle il avait un intérêt direct et la signature de courriers dans le cadre de l’instruction de la demande de permis, valent surveillance ou administration au sens de l’article 432-12 du code pénal, peu important qu’en définitive l’acte de délivrance du permis d’aménager, étape ultime de la prise illégale d’intérêts, ait émané d’une adjointe délégataire de signature."

Peu importe également que l’élu n’en ait retiré aucun profit, ni que la commune n’ait subi aucun préjudice. Quant à l’élément intentionnel, il est caractérisé par le fait que l’élu a accompli sciemment les actes constituant l’élément matériel du délit, même en l’absence de toute intention frauduleuse.

L’élu ne peut pas plus utilement invoquer une erreur de droit puisque nul n’est censé ignoré la loi et qu’il n’établit pas avoir procédé à des consultations avant d’agir. En tout état de cause, poursuivent les magistrats, le prévenu savait ce qu’était une prise illégale d’intérêts puisqu’il avait déjà été condamné de ce chef !

En état de récidive légale, l’élu est condamné à 8000 euros d’amende et à une inéligibilité pendant un an.

Cour d’appel de Poitiers, 20 décembre 2012, arrêt n°820

[1Photo : © Tomasz Trojanowski