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Prise illégale d’intérêts : un élu échappe de peu à l’échafaud pour le prêt d’un échafaudage !

Tribunal correctionnel de Béziers 20 février 2013

En réprimant la prise d’un intérêt "quelconque" direct ou indirect, l’article 432-12 du code pénal ratisse large. Pas étonnant, dans ces conditions, qu’il laisse place aux interprétations les plus fantaisistes.

 [1]


Agé de 76 ans mais encore bien vaillant, un conseiller municipal profite de sa retraite pour restaurer sa maison. Il demande à la commune la mise à disposition d’un échafaudage.

Un opposant à la majorité municipale en profite : il prend aussitôt une photo de l’installation et transmet le cliché au procureur de la République en dénonçant une vilaine utilisation privative des biens publics.

Il espère bien envoyer ainsi l’élu à l’échafaud.

De fait le conseiller municipal se trouve poursuivi pour prise illégale d’intérêts. Délit passible de 5 ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende.

Rien de moins !

Un peu cher pour la simple mise à disposition d’un échafaudage.

Heureusement le tribunal correctionnel de Béziers prononce finalement la relaxe.

Et pour cause : en agissant de la sorte le conseiller n’a fait qu’user d’une faculté ouverte à tous les administrés de la commune. En effet une délibération du conseil municipal autorise le prêt du matériel lourd de la commune, à charge pour l’utilisateur de s’acquitter des frais de transport ; frais qui s’élèvent tout de même à 110 euros et qui ont bien été pris en charge par l’élu.

Cette affaire n’est pas sans rappeler une autre mésaventure survenue à un élu poursuivi du même chef pour avoir participé à une délibération du conseil municipal déclassant son terrain, jusqu’alors constructible, en zone agricole ! C’est la naissance d’une nouvelle infraction : le délit de prise illégale d’inconvénients !

Pas étonnant dans ces conditions qu’un parlementaire soit allé jusqu’à se demander s’il était possible à un maire d’utiliser les transports en commun dans sa commune ! La réponse ministérielle [2] se veut rassurante mais cette question démontre que la largesse du texte d’incrimination, la loi visant un « intérêt quelconque » [3], laisse place aux interprétations les plus fantaisistes. Ce que ne manquent d’exploiter certains opposants pour tenter de déstabiliser une majorité en place. Avec le risque, si la manoeuvre réussit, d’être eux-mêmes un jour exposés à cette guillotine juridique particulièrement redoutable [4].

Pas sûr que l’efficacité de l’action publique locale, ni même que la légitime lutte contre les conflits d’intérêts en sortent vraiment gagnantes...


[1Dessin : © Jean Duverdier

[2Réponse ministérielle N°12686 JO Sénat, 13 juin 1996

[3Une proposition de loi sénatoriale vise à remplacer la notion d’intérêt « quelconque » par celle « d’intérêt personnel d’instinct de l’intérêt général » pour éviter ce type de dérives. Adoptée à l’unanimité au Sénat, cette proposition de loi n’a, à notre connaissance, toujours pas fait l’objet d’une inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

[4Les chiffres de l’Observatoire SMACL l’attestent : 1er motif de poursuite des élus locaux, le délit de prise illégale d’intérêts constitue aussi le 1er motif de condamnation, un élu poursuivi de ce chef ayant 80% de « chances » d’être condamné.