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Contentieux en série autour d’un chemin rural

Tribunal administratif de Rennes, 5 novembre 2024 : n°2203270

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La cession d’un chemin rural peut-elle résulter de l’abrogation d’un arrêté autorisant la circulation des véhicules aux riverains du chemin ?

 
Non répond le juge à une propriétaire riveraine qui soutenait que le maire, par cette abrogation, avait cédé à ses voisins le chemin transformé en prairie.
D’une part, l’abrogation en 2022 d’un arrêté de 2018 autorisant la circulation des véhicules à une catégorie d’administrés sur le chemin rural n’a pas eu pour conséquence de supprimer l’affectation de ce chemin à l’usage du public. D’autre part cette abrogation n’a pas eu pour effet de céder, en droit ou en fait, le chemin rural.
Le juge rappelle également que le pouvoir de police et de conservation dont est titulaire le maire n’a pas pour effet de mettre à la charge de la commune une obligation d’entretien des chemins ruraux. Un contentieux qui est l’occasion de rappeler plusieurs règles relatives aux chemins ruraux. 
 
 
 
Dans une petite commune d’Ille-et-Vilaine, un chemin rural n’en finit pas de susciter des contentieux.
 
Tout commence en septembre 2018, lorsque le maire de la commune prend un arrêté pour autoriser la circulation des véhicules aux propriétaires ou exploitants des parcelles riveraines d’un chemin rural qui n’était plus utilisé depuis des années. La réouverture de ce chemin vise notamment à permettre l’accès à la propriété d’une apicultrice pour développer son entreprise.

Cependant, la réouverture de ce chemin aux véhicules suscite un premier mécontentement de la part d’une propriétaire d’un champ traversé par ce chemin. Cette administrée estimait que ce chemin avait été cédé à ses parents par l’ancien maire de la commune.
 

Cession du chemin rural

 
En février 2021, le conseil municipal autorise, par délibération, la cession du chemin rural à la propriétaire des parcelles bordant le chemin.
 
L’apicultrice conteste cette cession devant le tribunal administratif de Rennes car ce chemin rural lui permet d’accéder à ses parcelles où se trouvent ses ruchers et d’accueillir des groupes d’enfants pour ses activités pédagogiques. 
 
Le juge annule la délibération autorisant la cession (jugement devenu définitif) :
 
en l’absence de toute désaffectation préalable du chemin rural, et compte tenu de l’arrêté municipal du 19 septembre 2018, Mme F. est fondée à soutenir que la commune ne pouvait procéder à l’aliénation de la portion de chemin rural affecté à l’usage du public sans méconnaitre les dispositions de l’article L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime » (TA Rennes, 7 février 2022 : n°2005410).
 
Enfin en mai 2022 le maire prend un arrêté pour abroger l’arrêté de 2018 autorisant la circulation des véhicules aux riverains du chemin, en se fondant sur le fait que le chemin était non carrossable.
 
Mécontente de cette nouvelle décision, l’apicultrice saisit de nouveau le tribunal administratif de Rennes.

Selon l’intéressée, cette abrogation porte atteinte à ses droits. L’arrêté de 2018 a créé des droits à son profit et ne peut être remis en cause 4 ans plus tard. De plus, c’est bien à la commune de rendre ce chemin carrossable. L’administrée est également convaincue que la commune a cédé, à titre gracieux, le chemin transformé en prairie à ses voisins, ce qui va à l’encontre du jugement du 7 février 2022.
 
Tel n’est pas l’avis du juge rennais.
 

Pouvoirs du maire sur les chemins ruraux : quelques rappels

Pouvoirs de police et de conservation du maire

 
Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l’usage du public, qui n’ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune. »
(Article L.161-1 du code rural et de la pêche maritime).
 
Le pouvoir de police du maire s’exerce sur toutes les voies ouvertes à la circulation publique, y compris sur les chemins ruraux.

Aux termes de l’article L.161-5 du code rural et de la pêche maritime :
 
 L’autorité municipale est chargée de la police et de la conservation des chemins ruraux ».
 
Le pouvoir de police et de conservation ainsi conféré à l’autorité municipale par les articles L161-5, D161-10 du code rural et de la pêche maritime permet au maire de réglementer et au besoin d’interdire la circulation sur les chemins ruraux, qu’elle soit générale ou limitée à une catégorie de véhicules.

Absence d’obligation d’entretien

La requérante soutenait que la commune devait rendre carrossable le chemin rural.

Mais, le juge rappelle que ce pouvoir de police et de conservation du maire n’a pas pour effet de mettre à la charge de la commune une obligation d’entretien des chemins ruraux.
 
Le principe supporte cependant une exception : lorsque la commune a déjà réalisé des travaux destinés à assurer ou améliorer la viabilité du chemin, la jurisprudence considère qu’elle en a de fait accepté l’entretien (Chemins ruraux : pas d’obligation d’entretien pour les communes sauf si…)
 
Obstacles sur un chemin rural
Le maire tient également de l’article D.161-11 du code rural et de la pêche maritime le pouvoir de remédier d’urgence à tout obstacle s’opposant à la circulation sur un chemin rural. Sur le fondement de ces articles, le maire doit donc prendre une mesure de police pour mettre en demeure l’auteur de l’entrave de procéder à l’enlèvement de l’obstacle. Il s’agit d’une mesure individuelle de police qui doit être motivée. Sauf urgences ou circonstances exceptionnelles, le maire est tenu de permettre au "contrevenant" de présenter ses observations (Obstacles à la circulation sur un chemin rural : attention au respect de la procédure contradictoire avant mise en demeure).


L’affectation de ce chemin à l’usage du public n’a pas été supprimée

 
L’abrogation en 2022 de l’arrêté de 2018 autorisant la circulation des véhicules à une catégorie d’administrés sur le chemin rural n’a pas eu pour conséquence de supprimer l’affectation de ce chemin à l’usage du public.
 
Le juge relève que l’arrêté de 2022 se borne à abroger l’arrêté de 2018 sans interdire la circulation sur ce chemin rural, lequel, à supposer qu’il soit encore affecté à l’usage du public, peut être emprunté par quiconque, riverain ou non-riverain.
 
Il existe une présomption d’affectation du chemin à l’usage du public (article L.161-2 du code rural et de la pêche maritime). Mais cette présomption d’affectation du chemin à l’usage du public n’est pas irréfragable, elle peut être renversée si la désaffectation est caractérisée, par exemple :
 par la circonstance que le chemin rural n’est plus utilisé comme voie de passage ;
 par l’absence d’actes réitérés de surveillance ou de voirie de la part de l’autorité communale.
 
Le tribunal administratif de Rennes rappelle cette présomption :
 
un chemin rural « est affecté à l’usage du public et ouvert à la circulation générale et continue qui est ainsi présumée notamment par l’utilisation du chemin comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l’autorité municipale ».


Le chemin rural n’a pas été cédé

 
La cession d’un chemin rural est strictement encadrée par le Code rural et de la pêche maritime (article L.161-10) lequel impose que le chemin ait cessé d’être affecté à l’usage du public pour pouvoir être aliéné (Pas d’obligation de cession d’un chemin rural à des riverains).
 
Contrairement à ce que soutenait la requérante, l’abrogation en 2022 de l’arrêté de 2018 autorisant la circulation des véhicules à une catégorie d’administrés sur le chemin rural n’a pas eu pour effet de le céder au couple de propriétaires riverains.

Le juge relève également que le conseil municipal n’a pris aucune nouvelle délibération accordant de nouveau la cession du chemin rural ou autorisant le maire à signer un quelconque acte authentique de vente. En prenant cette décision d’abrogation le maire n’a pas pris une mesure impropre à assurer l’exécution du jugement de 2022.

Par conséquent, le tribunal rejette la demande de mesure d’exécution du jugement annulant la délibération autorisant la cession du chemin rural.