Une commune est-elle tenue de céder à des riverains une portion de chemin rural qui dessert leur propriété ?
Non répond la Cour administrative d’appel de Nantes à des propriétaires qui avaient posé une barrière sur le chemin pour s’en réserver l’usage. D’une part la cession d’un chemin rural est strictement encadrée par le Code rural et de la pêche maritime (article L.161-10) lequel impose que le chemin ait cessé d’être affecté à l’usage du public pour pouvoir être aliéné. Tel n’est pas le cas en l’espèce : le portail a été installé sans autorisation, les époux ne justifient pas l’entretien du chemin par leur soin et le chemin est toujours utilisé comme comme voie de passage. Aucun élément ne permet de renverser la présomption d’affectation à l’usage du public posée à l’article L.161-2 (l’affectation à l’usage du public est présumée, notamment par l’utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l’autorité municipale). Et le juge de relever que la commune continuait d’entretenir ce chemin.
D’autre part, quand bien même le chemin aurait été désaffecté, la vente d’un chemin rural n’est qu’une faculté pour la commune.
Les propriétaires d’une maison d’habitation desservie par un chemin rural demandent plusieurs fois au maire d’une commune rurale de Vendée de leur céder une portion du chemin sur lequel ils ont édifié, sans autorisation, un portail afin d’en empêcher l’accès aux tiers.
Le conseil municipal refuse.
A deux reprises, la collectivité met en demeure les propriétaires de procéder à l’enlèvement de ce portail qui entrave l’accès d’Enedis à une installation électrique...en vain.
Le désaccord prend alors un tournant contentieux. Les époux saisissent le tribunal administratif de Nantes d’une demande d’annulation des délibérations refusant la cession. Ils demandent au juge de contraindre la commune à leur céder la portion du chemin rural.
Le tribunal rejette leur requête, rejet confirmé par la cour administrative d’appel.
Présomption de propriété
Les chemins ruraux affectés à l’usage du public font partie du domaine privé de la commune (article L.161-1 du Code rural et de la pêche maritime).
Par ailleurs, il existe une présomption de propriété dont bénéficient les communes. En effet, l’article L.161-3 du même code dispose que "tout chemin affecté à l’usage du public est présumé, jusqu’à preuve du contraire, appartenir à la commune sur le territoire de laquelle il est situé".
Les époux estiment être propriétaires du chemin et produisent, pour justifier cet argument, un acte notarié.
Or, le juge constate que l’acte notarié concerne seulement l’acquisition de trois parcelles sans mention du chemin rural.
Les requérants ne produisent aucun titre leur attribuant la propriété du chemin, ils ne peuvent donc valablement soutenir que le refus de cession du chemin porte une atteinte disproportionnée à leur droit de propriété ; en conséquence, aucune méconnaissance de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut être invoquée conclut le juge.
La présomption d’affectation à l’usage du public n’est pas renversée
Il existe une présomption d’affectation du chemin à l’usage du public (article L.161-2 du code rural et de la pêche maritime).
Cette présomption n’est pas irréfragable, elle peut être renversée si la désaffectation est caractérisée, par exemple :
- par la circonstance que le chemin rural n’est plus utilisé comme voie de passage,
- par l’absence d’actes réitérés de surveillance ou de voirie de la part de l’autorité communale.
Les propriétaires persistent à soutenir que le chemin rural n’est plus affecté à l’usage du public.
Mais, en l’espèce, aucun élément ne permet de renverser la présomption d’affectation du chemin à l’usage du public, ni l’installation du portail sur le chemin, ni le fait que les propriétaires entretenaient ce chemin depuis de nombreuses années.
En effet, le juge constate que :
- le portail a été installé sans autorisation légale,
- les époux ne justifient pas un entretien du chemin par leur soin contrairement à la commune qui produit des factures de travaux de voirie « illustrant qu’elle ne désintéresse pas de l’entretien du chemin ».
De plus, le chemin est toujours utilisé comme voie de passage :
la circonstance que la circulation sur ce chemin prendrait fin une fois dépassée, d’est en ouest, la propriété des requérants, n’est pas de nature à remettre en cause cette présomption qui résulte de la seule condition que ce chemin soit utilisé comme voie de passage ».
Pour un exemple de présomption non utilement combattue par une commune ayant souhaité céder un chemin rural : il a été jugé que ni le rapport de l’enquête publique réalisée en vue de l’aliénation qui ne se prononce pas sur la matérialité de la désaffectation de la partie du chemin en cause, ni les photographies non datées et difficilement exploitables car éloignées, ni les attestations imprécises émanant pour la plupart de personnes qui sont liées à la commune ne permettent de démontrer que la portion du chemin n’est plus affectée à l’usage du public (CAA Bordeaux, 17 février 2022 : n°19BX02001).
Absence d’obligation de céder un chemin rural
Selon les requérants, la commune est tenue de leur céder la portion convoitée du chemin rural.
Le juge répond fermement : la vente d’un chemin rural désaffecté n’est qu’une faculté pour la commune.
Rappelons que l’aliénation des chemins ruraux ne peut intervenir que lorsque ces chemins cessent d’être affectés à l’usage du public.
En effet, il résulte de l’article L.161-10 du Code rural et de la pêche maritime que :
" Lorsqu’un chemin rural cesse d’être affecté à l’usage du public, la vente peut être décidée après enquête par le conseil municipal, à moins que les intéressés groupés en association syndicale conformément à l’article L. 161-11 n’aient demandé à se charger de l’entretien dans les deux mois qui suivent l’ouverture de l’enquête ».
Ainsi, un chemin ne pouvant être regardé comme ayant cessé d’être affecté à l’usage du public ne peut par suite faire l’objet d’une vente. Le Conseil d’Etat en a jugé ainsi à propos d’une délibération autorisant la vente d’un chemin toujours utilisé comme voie de passage (CE, 16 avril 2010 : n°316342). Il en a été jugé de même pour un chemin fréquemment emprunté par des promeneurs qui rejoignent ou arrivent de la forêt située à proximité. La pose d’une barrière par la commune à la demande de l’acquéreur est sans incidence : ce chemin ne pouvait être regardé comme étant désaffecté de fait et ne pouvait donc être aliéné (CAA Bordeaux, 20 juin 2019 : n°17BX02559).
Obstacles à la circulation sur un chemin rural : attention au respect de la procédure contradictoire avant mise en demeure
Sauf situation d’urgence ou circonstances exceptionnelles, le maire est tenu de permettre à la personne à l’origine des obstacles sur le chemin rural de présenter ses observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales.
En effet si les dispositions de l’article D. 161-11 du code rural imposent au maire, lorsqu’un obstacle s’oppose à la circulation sur un chemin rural, de prendre sans délai les mesures propres à remédier à la situation, les conditions dans lesquelles il est ainsi tenu de mettre en œuvre ses pouvoirs de police ne traduisent pas nécessairement l’existence d’une situation d’urgence, au sens du 1° du deuxième alinéa de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 (loi désormais codifiée aux articles L.121-1, L.121-2, L.122-1 du code des relations entre le public et l’administration). Cour administrative d’appel de Nantes 4 décembre 2020 : n°20NT00704
Recensement des chemins ruraux
La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale prévoit la possibilité pour les communes de recenser leurs chemins ruraux (article L.161-6-1 du code rural et de la pêche maritime).
Un arrêté du 16 février 2023 précise le contenu du tableau récapitulatif du recensement des chemins ruraux.
Le tableau comprend, pour chaque chemin :- l’indication de son numéro ; - son type : chemin, impasse, tronçon, sentier ; - la désignation et le géoréférencement du point où il commence et celui où il finit ; - sa longueur sur le territoire de la commune ; - la date d’affectation ; - l’état d’entretien et de conservation. Il peut également mentionner les informations suivantes : - la largeur moyenne ; - l’estimation de la superficie du chemin ; - les caractéristiques des tirants pour les ouvrages d’art passant sous les chemins ; - l’existence de servitudes grevant le chemin ; - l’existence d’un bornage.