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© Joe Calata sur Unsplash

Défense extérieure contre l’incendie : piscine non recensée, responsabilité de la commune engagée !

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 26 mars 2024 : n° 22BX00290

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Incendie non maîtrisé : la commune peut-elle être déclarée responsable en cas d’insuffisance de débit des bornes incendie et de l’absence de recensement d’une piscine comme source alternative d’approvisionnement en eau ?

 

Oui tranche la cour administrative d’appel de Bordeaux. 
D’une part, c’est la commune qui est compétente pour assurer l’entretien et le contrôle technique des points d’eau incendie implantés sur son territoire (article L.2225-2 du Code général des collectivités territoriales). Sa responsabilité est donc engagée en raison du retard dans la maîtrise de l’incendie imputable au dysfonctionnement du poteau incendie (absence de pression de la borne incendie). 
D’autre part, il ne peut pas être reproché au SDIS de ne pas avoir utilisé immédiatement la réserve d’eau d’une piscine privée située dans le lotissement. La présence de ce point d’eau ne figurait pas sur la liste des hydrants recensés sur le territoire de la commune. En effet, la commune avait omis de procéder à la réception de cette piscine du lotissement laquelle figurait pourtant au rang des prescriptions de l’arrêté de lotir. Cette omission fautive a fait obstacle à ce que le SDIS répertorie cette réserve d’eau artificielle et a entrainé un retard dans la mise en œuvre de la mise en aspiration de ce point d’eau après le constat de la défaillance du poteau incendie.

 
En début d’après-midi un incendie se déclare dans une maison située au sein d’un lotissement d’une commune des Landes (495 habitants). L’incendie a pour origine une non-conformité de l’installation de chauffage (poêle à bois).

Le SDIS, arrivé très vite sur les lieux, parvient à maîtriser le feu. Mais malgré les diligences accomplies par les sapeurs-pompiers, une reprise de feu se déclenche en début de soirée. Reprise de feu rapidement maîtrisée. Une nouvelle reconnaissance complète de l’habitation est alors effectuée et des rondes de surveillance sont mises en place par les sapeurs-pompiers et des agents communaux pour éviter tout autre départ de feu.

Le lendemain, vers 10 heures, un troisième départ de feu se déclare et atteint cette fois-ci une maison mitoyenne qui est totalement détruite. Le feu est éteint en milieu d’après-midi.
 
Le propriétaire de la maison sinistrée et son assureur recherchent la responsabilité du SDIS des Landes et de la commune.
 
Ils reprochent au SDIS des fautes dans la gestion des points d’approvisionnement en eau et dans l’exécution de sa mission de prévention d’une reprise d’incendie. Ils estiment que la commune est responsable du défaut d’information du SDIS sur la présence d’une réserve d’eau artificielle.
 
Le tribunal administratif de Pau écarte la responsabilité du SDIS mais condamne la commune à indemniser les requérants des préjudices subis du fait de l’incendie (un peu plus de 177 000 euros pour l’assureur et environ 5000 euros pour le propriétaire).
 
La seule et entière responsabilité de la commune est confirmée par la cour administrative d’appel de Bordeaux qui porte le montant de la réparation due à l’assureur à plus de 208 000 euros. La commune devra également verser un peu plus de 5800 euros au propriétaire.
 

Absence de faute du SDIS

Pas de faute dans sa mission de prévention de reprise d’incendie

 
Le propriétaire recherche la responsabilité du SDIS en invoquant une faute commise dans sa mission de prévention d’une reprise d’incendie. Contrairement au premier incendie à l’issue duquel les sapeurs-pompiers ont sondé l’ensemble de l’habitation à l’aide d’une caméra thermique, aucune inspection par caméra thermique n’a été réalisée à la suite du deuxième départ de feu.
 
L’absence d’utilisation d’une caméra thermique lors de la deuxième intervention pouvait-elle ainsi être reprochée au SDIS ?
 
Non estime le juge, les sondages réalisés sans caméra thermique ont été suffisants.

D’une part, lors de la première intervention, les sapeurs-pompiers avaient procédé au retrait complet de tout isolant en contact avec du feu ou des points chauds. Ce dégarnissage d’ampleur avait rendu la visibilité excellente selon le SDIS de sorte que l’utilisation d’une caméra thermique ne s’avérait pas utile pour procéder aux sondages. 
 
De plus, l’expert ne tire aucune conséquence de l’absence d’utilisation d’une caméra thermique et n’a relevé aucune insuffisante évaluation des risques.
 
La seule circonstance que l’incendie (...) est très vraisemblablement une reprise de celui survenu la veille ne suffit pas à démontrer que les services d’incendie et de secours auraient sous-estimé le risque de reprise de feu et n’auraient pas pris des mesures suffisantes pour le prévenir ».

Des moyens suffisants pour maîtriser le troisième départ de feu

Contrairement à ce que soutiennent les requérants, les moyens mis en œuvre pour maîtriser le troisième incendie ont été suffisants estiment les juges.
 
Certes au début de l’intervention seuls trois pompiers s’étaient déplacés avec un seul camion (« alors que les flammes atteignaient déjà plus de 3 mètres » selon les requérants). Mais, le juge relève que trente minutes plus tard sont intervenus quatre autres pompiers et un fourgon tonne pompe léger. Puis ces moyens ont été renforcés par un camion-citerne feu forêt moyen et deux camions citerne feu forêt.
 
Au regard de l’ampleur de l’incendie les moyens étaient appropriés (constat partagé par l’expert).
 

Un délai d’intervention correct

 
Le délai d’intervention des pompiers de 21 minutes ne présente pas un caractère excessif compte tenu du temps de trajet de l’ordre de 7 minutes. 
 

Réserve d’eau de la piscine du lotissement

Vingt-trois minutes après leur arrivée, les pompiers ont mis en œuvre des lances sur le poteau incendie situé à proximité. Mais le débit d’eau s’est révélé insuffisant pour maîtriser ce troisième incendie.
 
Et il est reproché au SDIS de ne pas avoir utilisé immédiatement la réserve d’eau d’une piscine privée du lotissement. En effet, ce n’est qu’une heure après le début du dernier incendie que la mise en aspiration de la piscine a été effective. Une habitante du lotissement ayant informé le SDIS de l’existence de cette piscine.
 
La présence de ce point d’eau ne figurait pas sur la liste des hydrants recensés sur le territoire de la commune. Mais ce n’est pas la faute du SDIS dit le juge car le SDIS n’a pas été convié à la réception des moyens de défense extérieurs contre l’incendie du lotissement. Le SDIS avait simplement été informé du projet de construction de cette piscine et le chef du centre d’intervention avait effectué une seule visite les lieux, visite au cours de laquelle il avait formulé des recommandations en termes d’accès des véhicules de lutte contre l’incendie.
 

La commune jugée seule responsable du retard dans les opérations de lutte contre l’incendie

 
Le juge rappelle que la commune est compétente pour assurer l’entretien et le contrôle technique des points d’eau incendie implantés sur son territoire.
 

La commune responsable du dysfonctionnement du poteau incendie...

 
Le poteau incendie installé à proximité immédiate du lieu du sinistre n’était pas en état correct de fonctionnement, la pression et le débit d’eau étant insuffisants pour l’exercice des missions de lutte contre l’incendie.
 
Peu importe que l’expert n’ait pas procédé lui-même à une mesure de la pression et du débit d’eau de ce poteau. Les déclarations des intervenants à l’opération sur lesquelles il s’appuie sont corroborées par le recours à une solution alternative d’approvisionnement en eau via la mise en aspiration de la piscine du lotissement.
 
De plus, le SDIS avait signalé à la commune le dysfonctionnement du poteau incendie. La commune avait procédé à la pose d’un surpresseur au niveau du château d’eau, mais ces travaux n’étaient pas suffisants pour pallier au dysfonctionnement.
 
La responsabilité de la commune, seule compétente pour assurer l’entretien et le contrôle technique des points d’eau incendie implantés sur son territoire, est donc engagée à raison du retard ainsi créé, au cours duquel le feu s’est propagé et généralisé à la maison ».
 

… et de l’omission fautive de la réception de la piscine du lotissement

 
 La commune a omis de procéder à la réception de la piscine du lotissement, laquelle figurait pourtant au rang des prescriptions de l’arrêté de lotir ».
 
Cette omission est fautive tranche le juge car :
  •  elle a fait obstacle à ce que le SDIS répertorie cette réserve d’eau artificielle ;
  •  elle a entrainé un retard dans la mise en œuvre de la mise en aspiration de ce point d’eau après le constat de la défaillance du poteau incendie.
 
Cette faute engage également la responsabilité de la collectivité.
 

Pas de cause exonératoire

 
La commune estime que sa responsabilité ne pouvait pas être entière. Elle argue que le sinistre a pour cause la non-conformité de l’installation de chauffage et que la propagation de l’incendie a été favorisée par les caractéristiques constructives des maisons, en structure bois. Pour la collectivité le manque de ressource en eau a constitué uniquement un facteur aggravant de la dernière reprise de feu.
 
Le juge rejette ces arguments. Seules les fautes de la commune sont responsables du retard dans les opérations d’extinction de l’incendie de la maison et de sa totale destruction.
 

Rejet de l’appel en garantie

 
Le SDIS n’a commis aucune faute ; les conclusions de la commune tendant à être garantie par le SDIS à hauteur de 50 % sont rejetées. La cour administrative d’appel retieint la responsabilité entière de la commune.
 
 

 * Merci aux éditions Lexis Nexis de nous avoir autorisés à publier le jugement téléchargé sur Lexis360 intelligence (disponible sur abonnement)