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Jusqu’où va liberté d’expression d’un opposant politique dans le contexte d’une campagne électorale ?

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 24 janvier2023, N° 22-82.722

La liberté d’expression autorise-t-elle un opposant à laisser clairement entendre qu’un élu de la majorité a cherché à tirer personnellement profit d’une décision ?

Oui répond la Cour de cassation dès lors que le propos incriminé repose sur une base factuelle suffisante et n’a pas dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression d’un opposant politique, dans le contexte d’une campagne électorale marquée par une polémique. En l’espèce l’opposant avait attaqué l’adjoint à l’urbanisme au sujet d’un projet de lotissement l’accusant d’avoir convaincu "ses collègues de l’intérêt d’urbaniser pour en tirer profit". Il avait été condamné pour diffamation en première instance et en appel, les juges estimant que sa déclaration constituait une attaque personnelle, sans mesure ni prudence, et qu’elle ne reposait sur aucune base factuelle dès lors que l’adjoint n’avait pas participé aux votes du projet débattu. La Cour de cassation censure l’arrêt estimant que le propos incriminé repose sur une base factuelle suffisante dès lors que l’adjoint au maire de la commune, en charge de l’urbanisme, est effectivement propriétaire d’une partie des terrains concernés par le projet de lotissement et qu’il était donc légitime, dans le contexte d’une campagne électorale marquée par une polémique concernant ce projet de lotissement, de s’interroger sur son implication dans ledit projet.

Lors d’une interview, en pleine campagne électorale, un membre de l’opposition,

opposé à un projet de lotissement, émet des doute sur la légalité de la modification du PLU et porte les accusations suivantes : « Il y a la propriété d’un élu de la municipalité qui est en fait en quasi fin de mandat a dû penser à convaincre ses collègues de l’intérêt d’urbaniser pour en tirer profit ».

L’adjoint visé porte plainte pour diffamation. L’opposant est condamné en première instance et en appel.

Pour écarter le bénéfice de la bonne foi invoquée par l’opposant, les juges soulignent que « la déclaration de celui-ci constitue une attaque personnelle, sans mesure ni prudence, qu’elle ne poursuit pas un but légitime compte tenu de son caractère excessif et qu’elle ne repose sur aucune base factuelle dès lors que M. [H] n’a pas participé aux votes du projet débattu. »

La Cour de cassation casse l’arrêt au nom de la liberté d’expression défendue notamment par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme :

« En effet, le propos incriminé repose sur une base factuelle suffisante dès lors que M. [H], adjoint au maire de la commune (...), en charge de l’urbanisme, est effectivement propriétaire d’une partie des terrains concernés par le projet de lotissement. Il était donc légitime de s’interroger sur son implication dans ledit projet.

Par ailleurs, le propos de M. [C] n’a pas dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression d’un opposant politique, dans le contexte d’une campagne électorale marquée par une polémique concernant ce projet de lotissement. »

Il s’agit là d’une confirmation, la Cour de cassation ayant déjà statué dans le même sens (Cour de cassation, Chambre criminelle, 7 février 2017, N° 15-86343) sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui privilégie la liberté d’expression en estimant

notamment que « les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes » (Cour européenne des droits de l’homme, 8 octobre 2009, Requête no 12662/06).

Cela ne veut pas dire pour autant que tous les coups sont permis en période électorale. Une base factuelle minimum reste nécessaire. Mais le contrôle du juge est plus distant.

Cour de cassation, chambre criminelle, 24 janvier2023, N° 22-82.722