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Orages d’une particulière intensité : un évènement de force majeure exonérant la collectivité ?

Cour administrative d’appel de Toulouse, 18 avril 2023 : n°21TL24489 & 5 mars 2024 n° 22TL21250

La chute de la foudre sur le clocher d’une église occasionnant des dégâts à des habitations voisines et à un caveau funéraire est-elle un évènement de force majeure susceptible d’exonérer la commune de sa responsabilité ?

 
Non répond la cour administrative d’appel de Toulouse dans deux arrêts rendus à près d’un an d’intervalleLa force majeure suppose en effet que l’évènement climatique à l’origine des dommages soit à la fois imprévisible et irrésistible pour que la collectivité puisse s’exonérer. Ces conditions cumulatives sont très difficiles à réunir.
Au cas présent, la cour administrative d’appel de Toulouse écarte la force majeure considérant que l’évènement n’était :
 ni imprévisible en raison de la périodicité des évènements orageux dans la région et dans la commune et de l’intensité « certes particulière mais pas inédite » de cet évènement,
 ni irrésistible malgré la violence inédite de la foudre : le juge estime que la commune n’établit pas l’impossibilité matérielle d’y faire face (la commune soutenait que l’installation d’un paratonnerre n’aurait pas suffi à parer l’impact).

Le Conseil d’État avait également écarté la force majeure pour la tempête Xynthia malgré une conjonction exceptionnelle d’une forte dépression atmosphérique, de vents violents et d’un coefficient de marée élevé (CE, 31 mai 2021 : n°43473).

A l’heure du dérèglement climatique et de la multiplication d’évènements "hors normes", il reste difficile pour les collectivités d’invoquer la force majeure pour tenter de s’exonérer.

 

Lors d’un violent orage, un impact de foudre touche le clocher de l’église d’une petite commune située dans le Tarn provoquant sa destruction partielle et la chute de blocs de granit. La chute de ces débris occasionnent des dégâts au niveau des habitations voisines et notamment à la toiture d’une maison.

Le tombeau funéraire du maréchal d’empire Jean de Dieu Soult, édifice classé adossé à l’église du village, est également partiellement détruit.
 

Les propriétaires de la maison et les propriétaires indivis du caveau recherchent la responsabilité de la commune en réparation des préjudices causés par cet effondrement.

 

Sur le fondement de la responsabilité sans faute, la cour administrative d’appel de Toulouse confirme, dans deux arrêts distincts, la condamnation de la commune à verser aux propriétaires de la maison une indemnité de 32 994 euros (CAA Toulouse, 18 avril 2023 : n°21TL24489) et aux descendants du maréchal d’empire un peu plus de 204 000 euros (CAA Toulouse, 5 mars 2024 : n°22TL21250).

 

Contrairement à ce que soutenait la commune, les juges estiment que la foudre n’est pas un évènement de force majeure susceptible d’exonérer la commune de sa responsabilité.

Responsabilité sans faute de la commune

 Le maître de l’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement ».

Le juge relève que les dommages causés sont dus à la chute de blocs de granit provenant du clocher de l’église de la commune.

 

L’église est un ouvrage public et les requérants ont la qualité de tiers par rapport à cet ouvrage. La responsabilité de la commune est donc engagée sur le fondement de la responsabilité sans faute.

 

Le coup de foudre n’est ni imprévisible, ni irrésistible

Pour s’exonérer de sa responsabilité, la commune soutient que l’impact de foudre constitue un cas de force majeure car :

 
  • l’orage était d’une intensité exceptionnelle ;
  •  l’impact de foudre présentait un caractère imprévisible (pour la commune, le caractère imprévisible du phénomène est confirmé par les statistiques : l’orage survenu ne représente que 0,46 % des impacts relevés sur une période de 16 ans) ;
  •  le phénomène présentait également un caractère irrésistible et « l’installation d’un paratonnerre n’aurait pas suffi à parer l’impact et à empêcher la réalisation des dégâts compte tenu de la violence inédite de la foudre ».
 

Ce n’est pas l’avis du juge qui rejette le cas de force majeure.

 

♦ Concernant le critère de l’imprévisibilité :

Dans un premier temps, le juge s’appuie sur les caractéristiques météorologiques générales de la région et sur la situation géographique de la commune.


La commune est située à proximité de la Montagne Noire, elle est donc soumise à son influence climatique ainsi qu’à l’influence du climat méditerranéen. 

 
 Les précipitations s’y produisent essentiellement sous forme d’épisodes pluvio-orageux intenses à l’automne ou au printemps », l’évènement orageux à l’origine des dégâts s’inscrit dans l’un de ces épisodes (l’orage a eu lieu à l’automne) relève le juge.

D’autre part, l’impact de foudre a, certes , été d’une particulière intensité mesurée à 97,3 Ka. Toutefois, selon l’instruction, cet impact n’est pas celui qui a provoqué l’effondrement du clocher. De plus, la commune a déjà connu de tels impacts : sur une période de 2009 à 2018 la commune a été à trois reprises la cible d’impacts positifs d’une intensité comparable selon les statistiques de Météorage.

Enfin, la cour administrative d’appel relève que le clocher de l’église a déjà été frappé par la foudre il y a moins d’un siècle (en 1970).

 

L’ensemble de ces éléments (périodicité des évènements orageux et intensité non inédite) permet au juge de considérer que cet évènement n’était pas imprévisible.

 

♦ Concernant l’irrésistibilité de l’évènement :

Selon la commune, l’installation d’un paratonnerre n’aurait pas suffi à parer l’impact de la foudre en raison de la violence inédite de l’évènement.


Le juge estime que la commune ne prouve pas «  l’existence d’une véritable impossibilité matérielle d’y faire face ».

 

Le juge en conclut que la chute de la foudre sur le clocher de l’église ne constitue pas, dans les circonstances de l’espèce, un cas de force majeure.

 

Il en avait déjà été jugé de même dans un cas où la chute de la foudre sur le paratonnerre d’une église avait provoqué l’écroulement de deux colonnes [1].

 

Le Conseil d’État avait également écarté la force majeure pour la tempête Xynthia malgré une conjonction exceptionnelle d’une forte dépression atmosphérique, de vents violents et d’un coefficient de marée élevé (CE, 31 mai 2021 : n°43473).

 

A l’heure du dérèglement climatique et de la multiplication d’évènements "hors normes", il reste difficile pour les collectivités d’invoquer la force majeure pour tenter de s’exonérer.

 

[1Conseil d’Etat, 28 février 1973 : n°82674