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Espace culturel municipal inondé, spectacle annulé : responsabilité de la commune engagée ?

Cour adminitrative d’appel de Versailles, 10 mars 2022, n°20VE00660

Une commune peut-elle engager sa responsabilité contractuelle suite à l’annulation d’un spectacle en raison d’une inondation du local que la commune avait accepté verbalement de mettre à disposition de l’association organisatrice ?

Oui, la responsabilité contractuelle de la commune est susceptible d’être engagée suite à l’annulation. Même en l’absence de convention écrite ou de décision formalisée de passer un contrat, la commune doit être regardée comme s’étant contractuellement engagée avec l’association en vue de cette mise à disposition. La date de la mise à disposition était convenue entre les parties, la commune avait accepté la mise à disposition gratuite de la salle en contrepartie de la représentation gratuite de la pièce de théâtre inscrite au programme de la saison culturelle. En annulant le spectacle le jour même, la commune a méconnu cet engagement.
Cependant, la cour administrative d’appel retient que l’inondation est constitutive d’un cas de force majeure exonérant la commune de sa responsabilité.

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En raison de l’inondation de l’espace culturel municipal, une commune annule au dernier moment la représentation d’une pièce de théâtre (risque électrique occasionné par la subsistance d’eau stagnante).
L’association ayant créé ce spectacle demande la condamnation de la commune à lui verser une indemnité de plus de 80 000 euros. Elle soutient notamment que la commune, avec qui elle était liée par un contrat verbal, a engagé sa responsabilité contractuelle en annulant le spectacle quelques minutes seulement avant la représentation.

En effet, la commune s’était engagée verbalement à mettre à disposition cette salle à l’association. Mais, une inondation de la salle est survenue le matin même de la représentation, inondation causée par la rupture d’une canalisation d’eaux usées desservant les logements situés au-dessus de cet espace.

Le tribunal administratif et le juge d’appel rejettent sa requête.

Une annulation susceptible d’engager la responsabilité contractuelle de la commune

Pour retenir l’engagement contractuel de la ville envers l’association, et ce même en l’absence de convention écrite ou de « décision formalisée de passer un contrat », le juge relève que :
 la commune locataire du local constituant l’espace culturel municipal a mis gratuitement cet espace à la disposition de l’association à une date convenue ;
 cette mise à disposition gratuite s’effectue en contrepartie de la représentation gratuite de la pièce de théâtre inscrite au programme de la saison culturelle.

Par conséquent, la commune s’est engagée contractuellement avec l’association « en vue de cette mise à disposition, aux conditions et à la date ainsi convenues ».

En annulant le spectacle au dernier moment le jour même, la commune a méconnu cet engagement. L’association requérante est fondée à soutenir que l’annulation du spectacle est susceptible d’engager la responsabilité contractuelle de la commune.
Par suite, le juge écarte les moyens subsidiairement invoqués par l’association requérante sur le fondement extra-contractuel (l’association soutenait qu’en ne respectant pas sa promesse de mettre la salle à disposition la commune avait commis une faute engageant sa responsabilité. De plus, elle invoquait un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public en pointant le fait que la commune n’avait pas effectué de « diligences suffisantes » pour que le spectacle puisse se tenir).

L’inondation de la salle : un évènement de force majeure exonérant la commune de sa responsabilité

Pour la commune l’inondation constitue un cas de force majeure l’exonérant de sa responsabilité.

▶ Un évènement soudain sur lequel la commune n’avait pas de prise

L’inondation du local a été causée par la rupture d’une canalisation d’eaux usées desservant les logements situés au-dessus de cet espace loué par la commune.
Or, l’entretien et les réparations de cette canalisation incombaient exclusivement à l’office HLM en tant que propriétaire de l’ensemble de l’immeuble.

« La fuite, ainsi que l’inondation qu’elle a consécutivement provoquée, doivent être regardées comme procédant d’un évènement extérieur à la commune (…), locataire victime de ce dégât des eaux ».

🔎Les juges retiennent ainsi expressément le critère de l’extériorité qui fait l’objet de débats. La Cour de cassation l’avait abandonné dans un arrêt d’assemblée plénière du 14 avril 2006 (Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168). Alors que cet abandon semblait définitivement entériné, la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc. 16 mai 2012, n° 10-17.726) a réintroduit l’exigence d’extériorité de l’événement, en retenant que « la force majeure permettant à l’employeur de s’exonérer de tout ou partie des obligations nées de la rupture d’un contrat de travail s’entend de la survenance d’un événement extérieur, imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution ». Le législateur a voulu trancher le débat par l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations. Le rapport présentant l’ordonnance soulignait ainsi que le nouvel article 1218 du code civil consacrait l’abandon du critère d’extériorité. La lecture du texte peut conduire à une interprétation plus nuancée : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. » Ce qui compte c’est moins le fait que l’évènement soit extérieur au débiteur mais la circonstance que le débiteur n’ait pas de prise sur lui, comme cela peut-être le cas par exemple d’une maladie qui empêcherait le débiteur d’exécuter le contrat. Un tel évènement n’est pas à proprement parler extérieur au débiteur mais il échappe à son contrôle et n’empêche donc pas la caractérisation de la force majeure.

Le Conseil d’Etat (CE, 4 oct. 2021, n°440428) a, pour sa part, estimé qu’une commune pouvait engager sa responsabilité après l’effondrement d’une structure lors d’un concert ayant empêché ensuite la mise à disposition d’un stade au club de football local. Les juges d’appel avaient retenu la force majeure en soulignant que l’effondrement de la structure scénique et l’accident mortel qui s’en est suivi n’avaient pas pour origine une faute de la commune, laquelle était étrangère à l’opération de montage de cette structure, et résultaient de faits qui étaient extérieurs à cette commune et avaient le caractère d’un événement indépendant de sa volonté, qu’elle était impuissante à prévenir et empêcher. Le Conseil d’Etat censure cette position dès lors que l’indisponibilité du stade, bien qu’elle résulte de fautes commises par la société et les sous-traitants de cette dernière dans le montage de la structure scénique, n’aurait pu survenir sans la décision initiale de la commune de mettre le stade à disposition de cette société pour l’organisation d’un concert.

▶ Un événement imprévisible.

Le juge prend en compte l’argument de la commune consistant à faire valoir qu’un tel sinistre ne s’est jamais produit auparavant au sein de l’espace culturel municipal.

💥Le dérèglement climatique conduit à la multiplication de catastrophes naturelles de très forte intensité avec de lourdes pertes humaines et des dégâts matériels exorbitants. Le territoire français n’échappe pas à la règle. Les collectivités dont la responsabilité est recherchée peuvent-elles invoquer la force majeure pour s’exonérer si l’évènement est d’une particulière intensité ?

Difficilement : la force majeure suppose que l’évènement climatique à l’origine des dommages soit à la fois imprévisible et irrésistible pour que la collectivité puisse s’exonérer. Conditions cumulatives très difficiles à réunir. Tel n’est pas jugé le cas par exemple pour la tempête Xynthia malgré une conjonction exceptionnelle d’une forte dépression atmosphérique, de vents violents et d’un coefficient de marée élevé. Le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, 31 mai 2021, N° 434733) a ainsi écarté la force majeure en soulignant que des submersions importantes ont déjà eu lieu au cours du XXe siècle dans la zone touchée par l’inondation consécutive à la tempête Xynthia et que plusieurs études, dès le début des années 2000, ont mis en évidence le risque majeur d’inondation de forte intensité auquel est exposée la commune en cas de phénomène climatique d’ampleur exceptionnelle : « malgré le caractère exceptionnel de la conjonction des phénomènes de grande intensité ayant caractérisé la tempête Xynthia, celle-ci n’était ni imprévisible en l’état des connaissances scientifiques de l’époque, ni irrésistible compte tenu de l’existence de mesures de protection susceptibles d’être prises pour réduire le risque d’inondation et ses conséquences. »

▶ Un évènement irrésistible

Les diligences accomplies par la commune permettent au juge de caractériser l’irrésistibilité de l’évènement. En effet :

 dès le matin, un agent de l’équipe municipale d’astreinte est intervenu pour procéder à une première inspection et entreprendre un dégorgement des locaux ;

 la commune a ensuite sollicité en urgence l’intervention d’une entreprise d’assainissement. Cette dernière, intervenue le jour même, a réalisé une recherche complémentaire sans déceler de fuite provenant des toilettes ou du réseau d’eau propres à l’espace culturel. En fin de journée, des travaux de pompage d’évacuation des eaux stagnantes ont été entrepris.

Malgré ces interventions organisées avec célérité par la commune, l’inondation n’a pu être maîtrisée avant le spectacle. Ce sinistre imposait, « en raison de ces risques électriques », d’annuler la représentation « pour des raisons de sécurité ».
Dès lors, l’inondation survenue le jour même de la représentation théâtrale présentait pour la commune un caractère irrésistible.

Par conséquent, l’inondation a constitué un évènement de force majeure exonérant la commune de sa responsabilité. La requête de l’association est rejetée.

Cour adminitrative d’appel de Versailles, 10 mars 2022, n°20VE00660

[1Photo : Daan Mooij sur Unsplash