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Catastrophes naturelles d’intensité exceptionnelle : cas de force majeure ?

Conseil d’Etat, 31 mai 2021, N° 434733

Le dérèglement climatique conduit à la multiplication de catastrophes naturelles de très forte intensité avec de lourdes pertes humaines et des dégâts matériels exorbitants. Le territoire français n’échappe pas à la règle. Les collectivités dont la responsabilité est recherchée peuvent-elles invoquer la force majeure pour s’exonérer si l’évènement est d’une particulière intensité ?

Difficilement : la force majeure suppose que l’évènement climatique à l’origine des dommages soit à la fois imprévisible et irrésistible pour que la collectivité puisse s’exonérer. Conditions cumulatives très difficiles à réunir. Tel n’est pas jugé le cas par exemple pour la tempête Xynthia malgré une conjonction exceptionnelle d’une forte dépression atmosphérique, de vents violents et d’un coefficient de marée élevé. Le Conseil d’Etat écarte ainsi la force majeure en soulignant que des submersions importantes ont déjà eu lieu au cours du XXe siècle dans la zone touchée par l’inondation consécutive à la tempête Xynthia et que plusieurs études, dès le début des années 2000, ont mis en évidence le risque majeur d’inondation de forte intensité auquel est exposée la commune en cas de phénomène climatique d’ampleur exceptionnelle : « malgré le caractère exceptionnel de la conjonction des phénomènes de grande intensité ayant caractérisé la tempête Xynthia, celle-ci n’était ni imprévisible en l’état des connaissances scientifiques de l’époque, ni irrésistible compte tenu de l’existence de mesures de protection susceptibles d’être prises pour réduire le risque d’inondation et ses conséquences. »

Le Conseil d’Etat donne ainsi droit à un assureur qui, après avoir indemnisé ses assurés sinistrés, recherchait la responsabilité de la commune, de l’Etat et de l’association syndicale chargée de l’entretien de la digue. L’occasion pour le Conseil d’Etat de confirmer également l’absence de faute personnelle de l’ancien maire : « en dépit de la gravité des agissements et des négligences de l’ancien maire de la commune (...) et de la condamnation pénale prononcée à son encontre, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les fautes retenues, commises par le maire dans l’exercice de ses fonctions, manifestaient une intention de nuire ou visaient à satisfaire des intérêts personnels. »

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Dans la nuit du samedi 27 février au dimanche 28 février 2010, la tempête Xynthia touche les côtes vendéennes au moment où celles-ci connaissent une pleine mer de vives eaux d’équinoxe. La concomitance d’une forte dépression atmosphérique, de très fortes rafales de vent poussant les eaux de surface vers la terre, et du déferlement des vagues à proximité de la côte provoque une surcote.

La conjugaison exceptionnelle de ces éléments entraîne des brèches importantes dans le cordon dunaire et sur les digues, ainsi que des débordements par-dessus ces dernières, à l’origine d’inondations brutales et étendues du littoral, particulièrement sur la commune de La Faute-sur-Mer. La digue Est de la commune est submergée, ce qui entraîne l’inondation du quartier résidentiel situé dans la cuvette derrière la digue. Vingt-neuf personnes trouvent la mort.

Le procès pénal se solde par une condamnation pénale de l’ancien maire mais sans que sa responsabilité civile personnelle ne soit retenue (Cour de cassation, chambre criminelle, 2 mai 2018, N° 16-83432).

Sur le plan indemnitaire, des recherches en responsabilité sont engagées contre l’association syndicale qui gérait les digues, l’Etat et la commune. Une action est notamment introduite par un assureur qui, après avoir indemnisé ses assurés, se retourne contre les pouvoirs publics pour leur réclamer le remboursement des indemnités versées et des honoraires d’expertise. Il obtient gain de cause devant le tribunal administratif comme devant la cour administrative d’appel.

Le pourvoi donne l’occasion au Conseil d’Etat de se prononcer sur l’articulation des responsabilités et de répondre à trois questions :

1° L’assureur des sinistrés peut-il exercer un recours y compris lorsque l’état de catastrophe naturelle a été déclaré et alors même qu’il se serait réassuré contre ce risque ?

2° L’ancien maire a-t-il commis une faute personnelle ?

3° La collectivité peut-elle invoquer un cas de force majeure pour s’exonérer compte-tenu de la particulière violence du phénomène naturel ?

L’assureur ayant indemnisé les sinistrés peut se retourner contre la collectivité

Après avoir indemnisé 26 assurés consécutivement à la tempête, le Crédit mutuel se retournait contre les pouvoirs publics estimant que leurs fautes avaient contribué à la réalisation du sinistre. L’assureur réclamait ainsi plus de 1 500 000 euros incluant non seulement les indemnités versées à ses assurés mais également les honoraires d’expertise.

La commune lui opposait les dispositions de l’article L. 111-3 du code des assurances : "dans tous les cas où l’assureur se réassure contre les risques qu’il a assurés (...), il reste seul responsable vis-à-vis de l’assuré."

Le Conseil d’Etat confirme néanmoins le bien fondé de l’action de l’assureur sur le fondement de l’article L. 121-12 du même code : " L’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur. (...) ".

Le Conseil d’Etat en déduit :

« que l’assureur est fondé, quelle qu’ait été la cause du dommage indemnisé, y compris lorsque l’état de catastrophe naturelle a été déclaré et alors même qu’il se serait réassuré contre ce risque, à se prévaloir de la subrogation légale prévue à l’article L. 121-12 du code des assurances vis-à-vis de l’auteur du dommage dont la responsabilité est engagée. »

Bien entendu l’action subrogatoire de l’assureur ne peut aboutir que pour autant que les pouvoirs publics ont commis une faute de nature à engager leur responsabilité. Mais tel est précisément jugé le cas en l’espèce, les juges retenant la responsabilité de la commune (à hauteur de 50 %), de l’Etat (à hauteur de 35%) et de l’association syndicale (à hauteur de 15 %).

Pas de responsabilité civile personnelle de l’ancien maire

La distinction entre la faute de service (engageant la responsabilité de la collectivité) et la faute personnelle (engageant le patrimoine personnel de l’élu ou de l’agent fautif) a été plusieurs fois en débat dans les différentes procédures engagées consécutivement à ce drame.

Devant le juge judiciaire, en première instance, le tribunal correctionnel des Sables-d’Olonne avait retenu la faute personnelle de l’ancien maire et de la première adjointe. La cour d’appel avait infirmé le jugement sur ce point et la Chambre criminelle avait confirmé l’arrêt d’appel soulignant notamment que le maire avait « été conforté dans ses options erronées par les errements et atermoiements des agents de l’Etat dans le département ».

Le Conseil d’Etat confirme l’absence de faute personnelle de l’élu :

« en dépit de la gravité des agissements et des négligences de l’ancien maire de la commune de la Faute-sur-Mer et de la condamnation pénale prononcée à son encontre, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les fautes retenues, commises par le maire dans l’exercice de ses fonctions, manifestaient une intention de nuire ou visaient à satisfaire des intérêts personnels. »

Le Conseil d’Etat ne retient pas l’existence d’une faute d’une particulière gravité (l’un des trois critères permettant de caractériser une faute personnelle) tout en soulignant la « gravité des agissements et des négligences » commises. Une différence de degré entre la faute grave (qui reste dans le champ de la faute de service) et la faute d’une particulière gravité (constitutive d’une faute personnelle) pourrait l’expliquer. Mais le Conseil d’Etat ne rentre pas dans cette nuance et écarte l’existence d’une faute personnelle en se fondant sur l’absence d’intention de nuire et de recherche d’un intérêt personnel. Faut-il en conclure que la faute d’une particulière gravité ne constitue plus un critère permettant de caractériser une faute personnelle engageant le patrimoine personnel des élus ? Il est prématuré de l’affirmer mais si tel devait être le cas, ce serait un alignement de la jurisprudence du Conseil d’Etat sur celle de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre criminelle, 13 février 2007, N° 06-82264) laquelle considère qu’une faute non intentionnelle, quel que soit son degré de gravité, n’est pas constitutive d’une faute personnelle.

Sur les trois critères alternatifs permettant de caractériser une faute personnelle voir Conseil d’Etat, 30 décembre 2015, N° 391798 & N° 391800

Responsabilité de l’Etat

Deux fautes sont retenues contre l’Etat :

1° Une sous-évaluation du risque de submersion marine dans le PPRI : l’aléa de référence retenu par ce PPRI pour la vallée du Lay était légèrement inférieur au niveau de 4 mètres pris en compte pour le reste du littoral vendéen, alors même que le risque d’inondation dans ce secteur était au contraire d’une particulière gravité et connu depuis de nombreuses années. Cette sous-évaluation fautive de l’aléa de référence est bien en lien direct avec les préjudices invoqués dès lors qu’il en résultait que la délimitation des zones inconstructibles et la définition des prescriptions particulières à appliquer dans certaines autres zones n’étaient pas suffisantes pour prévenir les dommages provoqués par la tempête Xynthia.

2° Faute lourde du pouvoir de tutelle  : lorsqu’une association syndicale autorisée s’abstient de réaliser des travaux dont la responsabilité lui incombe, la responsabilité de l’Etat peut en effet être engagée à raison des conséquences dommageables du fonctionnement défectueux de ces ouvrages si, alors que les conditions légales d’exercice de son pouvoir de tutelle en cas de carence de l’association étaient réunies, le préfet s’est abstenu de les mettre en œuvre dans un délai raisonnable à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de son obligation d’agir. Or en l’espèce, si des réunions publiques avec les différents acteurs se sont régulièrement tenues à l’initiative de l’Etat, « la réalisation des travaux, qui venaient seulement de commencer à la date de la tempête, et à l’initiative de la commune, n’avait donné lieu ni à une mise en demeure adressée par le préfet aux associations syndicales concernées, ni à une mesure d’exécution d’office décidée par le préfet, alors même que le diagnostic technique réalisé par un cabinet d’expertise relevait, dès septembre 2006, le caractère urgent d’une telle intervention. » Ainsi le préfet n’a pas exercé son pouvoir de tutelle dans un délai raisonnable, ce retard à agir étant constitutif d’une faute lourde.

Pas de force majeure

Pour sa défense l’association syndicale invoquait un cas de force majeure compte-tenu d’une conjonction exceptionnelle d’une forte dépression atmosphérique, de vents violents et d’un coefficient de marée élevé (la probabilité d’une telle conjonction étant évaluée à 0,5 pour mille sur un an). Le Conseil d’Etat écarte l’argument en soulignant que des submersions importantes ont déjà eu lieu au cours du XXe siècle dans la zone touchée par l’inondation consécutive à la tempête Xynthia et que plusieurs études, dès le début des années 2000, ont mis en évidence le risque majeur d’inondation de forte intensité auquel est exposée la commune de La Faute-sur-Mer en cas de phénomène climatique d’ampleur exceptionnelle. Et le Conseil d’Etat de conclure :

« Malgré le caractère exceptionnel de la conjonction des phénomènes de grande intensité ayant caractérisé la tempête Xynthia, celle-ci n’était ni imprévisible en l’état des connaissances scientifiques de l’époque, ni irrésistible compte tenu de l’existence de mesures de protection susceptibles d’être prises pour réduire le risque d’inondation et ses conséquences. »

Les deux critères permettant de caractériser la force majeure (imprévisibilité et caractère irrésistible) faisaient donc défaut. L’association syndicale engage ainsi sa responsabilité : si elle n’était pas propriétaire de la digue, sa mission comportait en effet la prévention des dangers qu’une rupture du littoral et l’invasion de la mer qui en serait la conséquence feraient courir aux terrains situés sur la rive gauche du Lay. Or le caractère urgent des travaux à réaliser était connu dès septembre 2006, et ce n’est qu’en septembre 2008, poursuit le Conseil d’Etat, que la commune, se substituant aux associations syndicales autorisées, a déposé une demande d’autorisation pour la réalisation des travaux d’exhaussement. Il est ainsi reproché à l’association syndicale de n’avoir initié « aucune démarche pour suggérer aux acteurs locaux la réalisation des travaux nécessaires, ni suffisamment attiré leur attention sur son incapacité à les réaliser », ce comportement revêtant un caractère fautif et en lien direct et certain avec les préjudices.

⚡ Dans un autre drame causé par la tempête Xynthia, les juridictions administratives (Cour administrative d’appel de Bordeaux 19 janvier 2016 N° 14BX00336) ont écarté la responsabilité d’une commune du sud-ouest dans la mort d’un promeneur tué par la chute d’un arbre dans un parc de la ville. La circonstance que l’arbre à l’origine de l’accident soit âgé de 110 ans et implanté dans un parc ouvert au public dans une région régulièrement balayée par des vents forts n’a pas été jugée de nature suffisante pour conférer à cet arbre le caractère d’ouvrage exceptionnellement dangereux (pas d’application du régime de responsabilité sans faute). L’arbre étant par ailleurs sain, comme l’attestait une expertise phytosanitaire récente de l’arbre qui ne présentait pas non plus de signe extérieur de fragilité, la commune a rapporté la preuve de l’entretien normal de son domaine public et ne saurait engager sa responsabilité. Aucune défaillance dans l’exercice du pouvoir de police ne pouvait également être reprochée au maire, l’accident étant survenu une heure avant le déclenchement de l’alerte rouge et 3 heures avant l’information de la commune par la préfecture. Le maire n’était pas non plus tenu de signaler le risque à circuler dans le parc par vents violents, ce danger étant de ceux contre lesquels il appartient aux usagers de se prémunir (sauf dans le cas où le domaine public présente des dangers exceptionnels).

Conseil d’Etat, 31 mai 2021, N° 434733

[1Photo : Clinton Naik sur Unsplash