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Sécuriser l’action publique : vers un cadre pénal mieux adapté aux responsabilités des décideurs

Dernière mise à jour le 1er avril 2025

La mission confiée à Christian Vigouroux, président de section honoraire au Conseil d’Etat, vient de rendre public son rapport pour une meilleure sécurisation juridique de l’action des autorités publiques. 
L’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale est très heureux d’avoir été auditionné au titre des autorités qualifiées, pour alimenter ces travaux. 
La mission formule 36 recommandations. Nous vous proposons ici un zoom sur certaines d’entre elles qui rejoignent les constats de l’Observatoire.
 

Garantir un cadre d’action juridiquement sûr aux décideurs publics, qu’ils soient élus ou hauts fonctionnaires, est devenu un enjeu majeur pour l’efficacité de l’action publique. Les risques juridiques, et notamment les risques pénaux, associés à leurs décisions peuvent en effet entraver leur action.

A l’approche des élections municipales de 2026, où l’enjeu est d’encourager les candidatures au service de l’intérêt général, il est primordial que le cadre juridique d’exercice des mandats locaux soit sécurisé.

 

L’objectif de la commission Vigouroux [1] est ambitieux : «  permettre à l’administration d’agir, sans renoncer aux impératifs de transparence, de probité et de responsabilité. »

 

Dans la droite ligne des travaux de l’Observatoire qui sensibilise les acteurs publics locaux à ces sujets, tout en constatant que la rédaction actuelle des textes, notamment de l’article 432-12 du code pénal réprimant la prise illégale d’intérêts, conduit à des mises en cause et à des condamnations d’élus ou de fonctionnaires qui n’ont eu que pour seule boussole la poursuite de l’intérêt général (pour un exemple saisissant lire notre article "Vote des subventions aux associations : attention danger !" ) .

 
La commission Vigouroux formule ainsi 36 recommandations visant à redonner aux responsables publics une marge d’initiative plus sereine pour encourager l’engagement au service du bien commun.
 

1° Mieux cibler la répression des atteintes à la probité

Mieux circonscrire la prise illégale d’intérêts

La commission préconise une réforme ciblée de certaines infractions et suggère notamment de resserrer les éléments constitutifs du délit de prise illégale d’intérêts afin d’incriminer les atteintes effectivement portées à l’impartialité, l’indépendance et l’objectivité du décideur et non plus la simple potentialité d’une telle atteinte. 
 
De toutes les infractions pénales susceptibles de sanctionner des décideurs publics, élus comme agents publics, dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, le délit de prise illégale d’intérêts constitue celle qui nourrit le plus leur inquiétude à l’égard du risque de mise en cause pénale. 

Ce constat est partagé par de nombreux acteurs qui sont amenés à sensibiliser les élus à ce sujet. L’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale le confirme. Et ce n’est pas une vue de l’esprit puisque nos chiffres montrent la prépondérance de la prise illégale d’intérêts dans les poursuites exercées contre les élus locaux.

 

Or, si parmi les élus poursuivis de ce chef certains ont manifestement cherché à profiter de leur mandat à des fins personnelles, d’autres n’ont eu que pour seul objectif la satisfaction de l’intérêt général. La lecture de notre jurisdiscope territorial en fournit régulièrement des exemples.

 
Dans certains cas précis, la portée de l’interdiction légale peut sembler particulièrement étendue, notamment lorsque l’élu représente sa collectivité au sein d’un autre organisme. De même, la répression pénale peut interroger lorsque l’élu ou l’agent a agi de bonne foi, sans être mû par la recherche d’un intérêt personnel. L’idée est donc de concentrer la répression pénale sur ce qui ne peut relever que d’elle.
La mission s’est ainsi interrogée sur le champ d’application du délit de prise illégale d’intérêts réprimé à l’article 432-12 du code pénal. 
Au-delà des propositions destinées à définir plus exactement le champ d’application de la législation sur les conflits d’intérêts, la mission suggère d’interroger plus largement la répression pénale de ces faits, dans la logique précédemment exposée tendant à découpler la légalité administrative et la répression pénale.
La commission Vigouroux formule ainsi quatre recommandations afin :
  •  De réserver la sanction pénale aux intérêts qui « compromettent » (et non seulement sont de nature à compromettre) l’impartialité du décideur ; 
  •  De mieux circonscrire le champ du délit de prise illégale d’intérêts, par l’exclusion de conflits « public – public » et la prise en compte du motif impérieux d’intérêt général ; 
  •  De restreindre la répression pénale aux seules atteintes effectives aux exigences d’impartialité, d’indépendance ou d’objectivité ; 
  •  De mieux cibler, au plan administratif, l’interdiction des conflits d’intérêts, en prenant, en particulier, mieux en compte la situation des élus et des agents de l’Etat qui siègent ès qualités dans certaines instances. 

La mission propose ainsi, comme piste de réflexion, de recentrer l’infraction sur les seuls manquements « délibérés » à ces mêmes exigences, en permettant aux élus et aux agents de se prévaloir de leur bonne foi, lorsqu’ils se sont mépris sur les obligations qui étaient les leurs dans le cadre de la législation relative aux conflits d’intérêts.

 

 

 Mieux délimiter le délit de favoritisme

La commission Vigouroux s’intéresse également au délit de favoritisme (article 432-14 du code pénal) et propose d’introduire une clause d’exonération de la responsabilité pénale lorsque l’auteur a agi avec pour seule finalité la réalisation d’un objectif d’intérêt général impérieux qui n’aurait pas pu être atteint dans le respect des dispositions en vigueur. La mission souligne ainsi que :
 
Le reproche fait depuis longtemps au texte en vigueur est d’instaurer un délit purement formel et de conduire parfois à la condamnation d’agents qui, tout en s’étant affranchis du respect des règles de la commande publique relatives à l’égalité de traitement des candidats, à la liberté d’accès et à la transparence des procédures, n’ont jamais cherché à avantager qui que ce soit. En effet, dans les collectivités les plus petites, la capacité d’expertise technique et juridique est limitée et ne permet pas aux décideurs de s’appuyer sur des personnes qualifiées en matière juridique. Et, même dans celles de taille plus importante, les agents ou les élus peuvent se méprendre de bonne foi sur le droit applicable. De telles erreurs peuvent être d’autant plus légitimes que le droit de la commande publique est complexe et évolutif. 
D’où la proposition de modifier l’article 432-14 du code pénal afin de confirmer l’exonération de responsabilité pénale lorsque l’élu ou l’agent agit uniquement en vue de la réalisation d’un objectif 
d’intérêt général impérieux. 
 
 La nouvelle rédaction de cet article pourrait ainsi être la suivante : « Est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 200 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public (…), d’avoir procuré ou tenté de procurer à une personne un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics ou les contrats de concession, à moins que ces faits n’aient eu pour finalité que la réalisation d’un objectif d’intérêt général impérieux qui ne pouvait être assurée dans le respect de ces dispositions législatives ou réglementaires et [dès lors que la personne s’est prévalue de ce motif dans l’acte en cause].  » 
 
Comme pour la prise illégale d’intérêts la mission propose, comme piste de réflexion, de mieux affirmer l’élément intentionnel du délit de favoritisme. 
 

Retrouvez l’analyse de Me Eric Landot pour les éditions Weka qui revient sur les recommandations du rapport et qui échange avec Luc Brunet, responsable de l’Observatoire SMACL.

 

2° Sécuriser les décideurs publics qui se méprennent sur le droit applicable

L’article 122-3 du code pénal dispose que « N’est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte ».

 

Mais la jurisprudence se montre très stricte, l’erreur alléguée devant présenter un caractère insurmontable pour pouvoir utilement être invoquée.

 
La mission estime à cet égard que :
 
"le principe de sécurité juridique pourrait justifier un assouplissement des conditions dans lesquelles est reconnue l’erreur de droit, lorsque le mis en cause a accompli les diligences normalement attendues pour prendre une décision dont l’illégalité apparaîtra a posteriori. 
Une telle réforme permettrait, en outre, de prévenir un risque de frilosité excessive dans l’exercice des responsabilités, en encourageant, dans une certaine mesure, la prise de risque juridique, lorsque tous les avis juridiques recueillis (ou toutes les jurisprudences) ne sont pas concordants. 
La mission propose en conséquence d’exonérer de responsabilité pénale la personne qui applique la règle de droit conformément à l’interprétation formelle qu’en donnait une autorité administrative compétente, sauf illégalité manifeste. 
 
L’article 122-3 pourrait être complété par un alinéa ainsi rédigé : «  N’est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu’elle n’était pas en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte. 
N’est pas davantage pénalement responsable la personne qui applique la règle de droit conformément à l’interprétation formelle qu’en donnait une autorité administrative compétente [pour élaborer ou veiller à l’application] d’une telle règle, à moins que l’auteur des faits n’ait pu se méprendre sur l’illégalité d’une telle interprétation
 ».
 

3° Développer la cartographie des risques et renforcer la formation

La commission insiste sur l’importance d’une cartographie des risques propres à chaque structure :
 
L’élaboration et l’actualisation régulière de la cartographie des risques propres à la collectivité ou à l’administration concernée constituent des instruments utiles en vue de la prévention des mises en cause pénales des fonctionnaires et des élus, préalablement à la mise en place d’actions de sensibilisation et de formation. 
Les collectivités territoriales peuvent s’appuyer à cet effet sur les travaux de l’Agence française anticorutpion (AFA). La mission propose d’encourager les collectivités d’une certaine taille à aller dans ce sens, voire de poser une obligation légale à l’instar des obligations imposées aux grandes sociétés et aux 

établissements publics à caractère industriel et commercial.

 

L’AFA a notamment élaboré, conjointement avec l’Association des maires de France, un 

« Guide pratique à l’attention des élus du bloc communal », dont l’objet est d’accompagner ces élus dans l’élaboration, la mise en œuvre et le déploiement d’un dispositif de prévention des atteintes à la probité adapté à leur profil et à leurs moyens. Ce guide, dont une nouvelle version a été diffusée en novembre 2024, présente notamment des scénarios de risques et met à leur disposition une série de fiches pratiques (urbanisme, ressources humaines, marchés publics, subventions, gestion des cadeaux et des invitations…), afin de prévenir et de détecter les atteintes à la probité. 

 
Dans le même esprit, la mission propose de renforcer la formation des élus et des agents en matière de risque pénal pour mieux le prévenir : 
 
La formation initiale et permanente peut et doit contribuer à cette capacité d’intégrer le droit pénal et les autres formes de responsabilité dans l’étude en amont de la décision future. Non pas comme une paralysie mais comme un éclairage au même titre que les conséquences financières, les délais ou les effets sur les usagers. 
La mission souligne qu’il existe déjà des offres pertinentes, saluant notamment le travail du CNFPT : 
 
Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) propose des formations sur le « risque pénal » en liaison avec le ministère de l’intérieur, l’agence national de la cohésion des territoires (ANCT), l’agence française anticorruption ainsi que la HATVP. De nombreuses formations sur ces sujets sont menées dans les instituts du CNFPT, dont l’INET. Déontologie, valeurs de la République et prévention des atteintes à la probité sont particulièrement développées et relayées par les ressources de formation à distance (MOOC)
Elle propose de développer la formation sur l’utilisation du droit pénal en tenant compte de quatre impératifs :
  • Aborder les situations à partir de cas concrets ;
  •  Utiliser le réseau des écoles de fonction publique pour promouvoir les échanges et les troncs communs entre métiers publics, y compris entre administrateurs et magistrats, pour que chacun se forme par comparaison et compréhension du rôle des autres ; 
  • Croiser les expériences en droit pénal, en faisant appel à des partenaires extérieurs au monde 
    de l’administration publique ;

  • Travailler la coopération entre les élus et les administrateurs tant au plan national qu’au plan 
    local.

La mission propose également d’encourager les décideurs à solliciter l’avis préalable, ou à défaut, ex post, en particulier de l’Agence française anticorruption et des centres de gestion de la fonction publique territoriale lorsqu’ils identifient un risque de mise en cause pénale. 
 
L’enquête du dimanche du Point du 30 mars 2025 est consacré aux poursuites pénales contre les élus locaux du chef de prise illégale d’intérêts (Le grand ras-le-bol des élus locaux face aux poursuites pénales). Les propos de Luc Brunet, responsable de l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale, et de Me Eric Landot ont été recueillis à cette occasion par Erwan Seznec. L’article rappelle que l’Observatoire plaide pour une réécriture de l’article 432-12 du code pénal pour mieux cibler la répression pénale sur les élus locaux et les fonctionnaires territoriaux qui ont vraiment cherché à tirer profit de leurs fonctions, à la lumière de plusieurs exemples de condamnation qui interpellent. Pour cette occasion, l’Observatoire SMACL a effectué un zoom sur l’évolution du nombre de poursuites par mandature dirigées contre les élus locaux pour prise illégale d’intérêts.

 

 
 

4° Harmoniser et étendre la protection fonctionnelle

En l’état actuel les conditions pour l’octroi de la protection fonctionnelle divergent selon que le demandeur est un élu ou un fonctionnaire. Le Conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel, 11 octobre 2024, n° 2024-1106 et n° 2024-1107) n’y a vu aucune rupture d’égalité dès lors qu’il s’agit de situations différentes, invitant le législateur à intervenir le cas échéant pour y remédier. Par exemple un fonctionnaire territorial placé en garde à vue peut obtenir la protection fonctionnelle, alors que ce n’est pas le cas pour un élu local confronté à la même situation. 
 
La mission Vigouroux préconise d’harmoniser les conditions d’octroi de la protection fonctionnelle aux fonctionnaires et aux élus et de consacrer son bénéfice en cas d’audition libre. 
 
Par ailleurs dans le prolongement des observations de plusieurs acteurs, dont celles de l’Observatoire SMACL, la mission s’intéresse aux conditions d’octroi de la protection fonctionnelle en cas de poursuites pénales pour prise illégale d’intérêts ou pour favoritisme en écho à la position de la chambre criminelle de la Cour de cassation (lire notre article L’octroi de la protection fonctionnelle peut caractériser un détournement de fonds publics !) : 
 
  La mission exclut certes toute éventualité d’un octroi systématique de la protection fonctionnelle en cas de poursuite pour des infractions de prise illégale d’intérêts ou de favoritisme, en particulier lorsque les faits laissent apparaître l’intention de leur auteur de tirer un intérêt personnel du manquement commis. 
En revanche, il lui paraîtrait opportun d’assimiler, dans certains cas, ces infractions à des fautes non détachables du service ouvrant droit au bénéfice de la protection fonctionnelle. En particulier, il paraît difficilement concevable qu’une délibération qui octroierait le bénéfice de la protection fonctionnelle soit jugée légale par le juge administratif alors que ses auteurs ou son bénéficiaire seraient condamnés par le juge pénal pour détournement de fonds publics.
 
 

Le Gouvernement a annoncé qu’il étudierait ces recommandations dans les prochains mois afin de déterminer les évolutions législatives nécessaires pour moderniser le cadre juridique applicable aux autorités publiques. A suivre... 

 
 
 

 

 

[1Mission confiée à Christian Vigouroux, président de section honoraire au Conseil d’Etat - Rapporteur général : Florian Roussel, maître des requêtes au Conseil d’Etat ;Avec le concours de Didier Guérin, président de chambre honoraire à la Cour decassation. Et avec la participation de Pascal Girault, inspecteur général de l’administration,et de Charles Duchaine, inspecteur général de la justice.