La protection des élus mis en cause est-elle identique à celle des fonctionnaires ? Les élus sans délégation sont-ils également protégés ?
Non et non ! À la différence des fonctionnaires territoriaux, les élus locaux ne peuvent pas, en l’état actuel des textes, bénéficier de la protection de la collectivité dès le stade de l’enquête préliminaire. Ils doivent attendre une mise en examen ou une citation devant le tribunal. Ainsi, lors d’un placement en garde à vue, il leur appartient de financer eux-mêmes leur défense sans pouvoir solliciter la commune, même s’ils sont poursuivis pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions et qu’ils restent à ce stade présumés innocents. De même, s’ils sont entendus comme témoins assistés dans le cadre d’une information judiciaire. En outre, les conseillers sans délégation ne peuvent prétendre bénéficier de la protection fonctionnelle de la collectivité. Le Conseil constitutionnel n’y trouve, dans les deux cas, rien à redire, ces différences de traitement s’expliquant par des différences de situations. Il appartient au législateur, s’il le juge opportun, de modifier les textes pour élargir le champ de la protection fonctionnelle. À l’heure où les finances publiques sont dans le rouge vif, il n’est pas certain que ce soit la priorité du moment. La souscription d’une assurance personnelle payée sur les deniers personnels de l’élu est plus que jamais recommandée !
Dans deux décisions rendues le 11 octobre 2024, le Conseil constitutionnel valide le dispositif actuel de la protection fonctionnelle des élus locaux en cas de mise en cause pénale. Ce dispositif permet notamment, sous certaines conditions, aux élus et aux fonctionnaires poursuivis dans l’exercice de leurs fonctions de faire prendre en charge leurs frais d’avocat par la collectivité. Les sages étaient saisis de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) par une commune et un conseiller régional qui invoquaient une inégalité de traitement pour demander un élargissement de la protection fonctionnelle. Le Conseil constitutionnel rejette les deux demandes en renvoyant la balle au législateur.
Le déclenchement de la protection fonctionnelle est plus tardif pour les élus locaux que pour les fonctionnaires
La première décision concerne le stade à partir duquel la protection fonctionnelle peut être déclenchée. En l’état actuel du droit (article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales), les élus locaux ne peuvent bénéficier de la protection fonctionnelle qu’en cas de “poursuites pénales” sans plus de précisions.
L’article L. 134-4 du code général de la fonction publique se montre beaucoup plus précis. Il dispose en effet que les agents publics bénéficient d’une protection fonctionnelle lorsqu’ils font l’objet de poursuites pénales ainsi que lorsqu’ils sont entendus en qualité de témoins assistés, placés en garde à vue ou se voient proposer une mesure de composition pénale.
Une comparaison des deux textes laisse donc comprendre que les élus locaux sont moins bien protégés que les fonctionnaires territoriaux. En effet, la protection fonctionnelle ne peut leur être accordée que s’ils sont mis en examen ou cités devant une juridiction répressive. Ce qui exclut de facto les actes intervenant au cours de l’enquête préliminaire, comme une garde à vue, ou au cours de l’instruction, comme lorsqu’ils sont entendus comme témoins assistés. Or, de l’avis unanime des avocats, les actes accomplis pendant l’enquête préliminaire sont déterminants pour la suite de la procédure. L’assistance d’un avocat est donc fortement recommandée. Mais il ne peut être pris en charge par la collectivité au titre de la protection fonctionnelle, alors que pour les agents publics, c’est possible depuis la loi du 20 avril 2016.
La commune est tenue d’accorder sa protection au maire, à l’élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions.
Lorsque l’agent public fait l’objet de poursuites pénales à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection.
L’agent public entendu en qualité de témoin assisté pour de tels faits bénéficie de cette protection.
La collectivité publique est également tenue de protéger l’agent public qui, à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale.
La commune requérante invoquait donc une rupture d’égalité. Le Conseil constitutionnel écarte le moyen soulignant que les agents publics
ne se trouvent pas dans la même situation que les élus chargés d’administrer la commune, au regard notamment de la nature de leurs missions et des conditions d’exercice de leurs fonctions. Compte tenu de cette différence de situation, le législateur n’était donc pas tenu de les soumettre aux mêmes règles de protection fonctionnelle.
A charge pour le législateur d’étendre la protection fonctionnelle bénéficiant aux élus municipaux à d’autres actes de la procédure pénale. Un intérêt supplémentaire pour les élus locaux de souscrire une assurance personnelle qui les couvre dans l’exerce de leur mandat. La prime étant payée sur leurs deniers personnels, ils n’ont pas besoin de l’autorisation de la collectivité pour obtenir le déclenchement de la garantie.
En cas de poursuites pénales, il appartient au conseil municipal de délibérer pour statuer sur la demande de protection hors la présence de l’élu visé par la procédure (sous peine de poursuites possibles pour prise illégale d’intérêts). La protection fonctionnelle n’est en effet pas automatique et doit être refusée si l’élu a commis une faute personnelle. Le fait d’accorder trop largement la protection peut être constitutif de détournement de fonds publics. La Cour de cassation l’a souligné pour un élu qui était poursuivi pour prise illégale d’intérêts et qui avait obtenu la protection de sa collectivité, ce qui lui a valu de nouvelles poursuites (lire notre article sur le sujet)...
Dans l’hypothèse où l’élu est injurié, outragé, diffamé, menacé, agressé ou harcelé dans l’exercice de ses fonctions, il peut aussi obtenir la protection fonctionnelle. Dans ce cas une délibération n’est pas nécessaire, la procédure d’octroi ayant été rendue quasi automatique par la loi du 21 mars 2024 (lire notre article à ce sujet). Pour les fonctionnaires, le dispositif est inchangé : il faut une décision de l’autorité territoriale. Là aussi, si le maire est visé parce que le fonctionnaire porte plainte contre lui, il lui appartiendra de se déporter pour ne pas se placer en situation de conflit d’intérêts. Encore faut-il que le fonctionnaire à l’appui de sa demande, invoque bien un cas de déclenchement de la protection (injure, menace, harcèlement, diffamation, agression). La convocation à un entretien disciplinaire ou pour faire le point sur un dossier ne rentre pas dans le cadre de la protection fonctionnelle. Il en est de même pour l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.
Les conseillers sans délégation ne sont pas protégés
Le Conseil constitutionnel était également saisi de l’inégalité de traitement dont sont l’objet les conseillers régionaux qui n’exercent pas de fonctions exécutives. En effet il résulte du CGCT que
"La région est tenue d’accorder sa protection au président du conseil régional, au conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions ».
Les conseillers régionaux sans délégation ne sont donc pas protégés. Le mécanisme est similaire pour les communes et les départements : seuls les exécutifs locaux peuvent bénéficier de la protection de la collectivité.
Sur ce point également, les sages écartent l’argument :
le législateur a entendu accorder le bénéfice de la protection aux conseillers régionaux exerçant des fonctions exécutives, compte tenu des risques de poursuites pénales auxquels les exposent ces fonctions".
Bien entendu cette solution est transposable aux autres collectivités : seuls les élus titulaires d’une fonction exécutive sont protégés. Or un conseiller sans délégation, y compris un conseiller d’opposition, peut très bien engager sa responsabilité pénale dans l’exercice de son mandat notamment lors de ses prises de parole au sein du conseil ou lors des votes des délibérations ou de sa simple participation aux débats. Pour autant il ne peut bénéficier de la protection fonctionnelle. Là aussi, le Conseil constitutionnel renvoie la balle au législateur s’il souhaite étendre le bénéfice de la protection à l’ensemble des élus.
Dans le cadre des agressions des élus, la question de l’étendue de la protection s’est également posée. Le législateur avait un temps envisagé une extension à l’ensemble des conseillers avant de se raviser. L’article 18 de la loi du 21 mars 2024 avait néanmoins prévu que le Gouvernement devait remettre au Parlement, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la loi, un rapport sur l’opportunité d’élargir le bénéfice de la protection fonctionnelle à tous les élus locaux, y compris à ceux qui n’exercent pas de fonctions exécutives. La dissolution est passée entre-temps. Il n’est pas acquis que ce rapport soit toujours d’actualité, alors qu’un élargissement de la protection aurait un impact sur les finances publiques.