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Ruissellement d’eaux de pluie sur une propriété privée : promesse non tenue et responsabilité sans faute de la collectivité

Tribunal administratif de Pau, 23 décembre 2024 : n°2202606

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Ruissellement d’eaux de pluie sur une propriété privée : la promesse non tenue de faire réaliser des travaux pour remédier à ces désordres engage-t-elle la responsabilité de la commune ?

 
Oui si le demandeur démontre l’existence d’un engagement ferme et précis qui n’aurait pas été respecté. La preuve d’une telle promesse peut être apportée par tout moyen, mais c’est surtout de l’existence de documents qui vient en établir la réalité. Tel est bien jugé le cas en l’espèce, un courrier adressé par la commune au propriétaire ayant indiqué que des travaux seraient effectués au printemps et qu’un projet d’aménagement serait présenté au propriétaire afin de recueillir son accord. Ce courrier rédigé en des termes fermes et non équivoques est de nature à faire naître un engagement dont le non-respect engage la responsabilité de la commune. Par ailleurs, la responsabilité, sans faute, de la commune est également engagée en raison des dysfonctionnements affectant les collecteurs d’eaux de pluie. En effet, le sous-dimensionnement du réseau d’évacuation des eaux pluviales est bien à l’origine des inondations de la propriété. Peu importe que les ouvrages soient implantés le long d’une route départementale, la gestion du service public des eaux pluviales urbaines relevant bien de la compétence de la commune.
 
Le propriétaire d’une maison d’habitation située dans une commune du Pays Basque subit régulièrement des inondations par déversement des eaux pluviales sur sa propriété. Cette propriété se trouve à proximité d’une route départementale desservant la commune.
 
En 2019, des travaux d’aménagement ont été réalisés par la commune sur cette route (remplacement des bas-côtés végétalisés par des trottoirs imperméabilisés, remplacement d’une canalisation). En 2021, la municipalité s’engage à résoudre le problème de l’écoulement des eaux de pluie sur la propriété en installant une canalisation destinée à collecter les eaux pluviales sur le terrain de l’administré. Le conseil municipal de la commune autorise le maire à signer une servitude pour exécuter ces travaux.
 
Mais deux mois après la signature de la servitude entre le maire et l’intéressé, la commune renonce à ses engagements, en raison du coût financier induit par les travaux et du risque engendré pour les terrains en aval.
 
Le propriétaire demande la condamnation de la commune pour promesse non-tenue et réclame une somme de 60 000 euros en réparation des préjudices de jouissance et du préjudice moral qu’il estime subir. L’intéressé fait valoir qu’il ne peut aménager ni son jardin, ni sa cour, ni son sous-sol et vit dans la crainte d’être inondé. Il demande également au juge d’enjoindre à la commune de procéder aux travaux de nature à remédier aux désordres sur sa propriété. A titre subsidiaire le propriétaire recherche la condamnation de la commune et du département.


Responsabilité pour promesse non tenue

Un abandon fautif du projet

 
« Le comportement de l’administration ou certains de ses agissements peuvent être analysés par le juge comme un manquement à une promesse, dès lors que la conviction que leur destinataire a pu légitimement acquérir s’est révélée infondée. Ainsi, si la responsabilité de l’administration est susceptible d’être retenue en cas de promesse non tenue, il appartient néanmoins au demandeur de démontrer l’existence d’un engagement ferme et précis qui n’aurait pas été respecté à son égard. La preuve d’une telle promesse peut être apportée par tout moyen, mais c’est surtout de l’existence de documents qui vient en établir la réalité ».
Le juge s’appuie notamment sur un courrier adressé par la commune au propriétaire en octobre 2021. Ce courrier indiquait que des travaux seraient effectués au printemps et qu’un projet d’aménagement serait présenté au propriétaire afin de recueillir son accord.
 
Le juge estime que ce courrier rédigé en des termes fermes et non équivoques est de nature, en tenant compte également des autres pièces, à faire naître un engagement envers le propriétaire.
 
Par conséquent, cet engagement, dès lors qu’il n’a pas été respecté, engage la responsabilité de la commune.
 
Et contrairement à ce que soutient la commune, la réalisation de cet aménagement n’était pas conditionnée à la réalisation d’une opération de plus grande ampleur, à savoir l’amélioration du réseau pluvial de la route.


Pas de motif d’intérêt général permettant de justifier la non-réalisation des travaux

 
En défense, la commune évoque l’intérêt général pour justifier la non-réalisation des travaux. Selon la collectivité ces travaux « étaient de nature à faire naître un risque de dégâts provoqués en aval de l’aménagement, en raison de l’augmentation des écoulements ».

Mais cette circonstance n’est pas de nature à exonérer la commune de sa responsabilité dit le juge.
En effet, « si une personne publique a toujours la faculté de renoncer pour un motif d’intérêt général à ce qu’elle a promis, sa responsabilité peut être engagée si son comportement a légitimement conduit le destinataire de la promesse à prendre des décisions qu’il n’aurait pas prises sans elle ».
 
Enfin, la commune ne s’estime pas liée par cet engagement qui, selon elle, émane du maire et non du conseil municipal pourtant seul compétent pour décider de procéder à ces travaux.
 
Cela n’a d’incidence que sur la légalité de cet engagement et, n’a pas pour effet de remettre en cause l’existence même de l’engagement répond le juge.

Ainsi, une telle promesse prise par le maire, même en méconnaissance de ses compétences, engage la responsabilité de la commune.
 
Les troubles dans les conditions d’existence sont évalués à 2000 euros pour le préjudice moral et préjudice de jouissance.
 
 

Des inondations provoquées par le sous-dimensionnement du réseau public d’évacuation des eaux pluviales


La commune contestait les inondations subies par le requérant lesquelles se concentrent sur la cour d’entrée de son habitation et le chemin d’accès à celle-ci.
 
Or la preuve de ces désordres est bien rapportée par plusieurs photographies et par le rapport établi par le bureau d’études en hydrologie mandaté par la commune.
 
 Par ailleurs la commune ne saurait sérieusement contredire l’existence de ces désordres alors qu’elle a elle-même proposé de procéder aux travaux nécessaires pour la collecte et l’évacuation des eaux pluviales ».
 
Le juge s’appuie sur le rapport du bureau d’études qui révèle que les inondations sont causées par le sous-dimensionnement des collecteurs d’eaux de pluie au regard du débit d’eaux pluviales. De plus, le phénomène de débordement sur le chemin d’accès du requérant est accentué par le déversement d’une partie d’un sous-bassin versant vers le collecteur situé sous ce chemin d’accès lors de fortes pluies.
 
Le juge en conclut que c’est bien le sous-dimensionnement du réseau d’évacuation des eaux pluviales qui est à l’origine des inondations de la propriété du tiers.
 

Aucune disposition législative ou réglementaire n’impose aux communes de recueillir l’ensemble des eaux de pluie transitant sur leur territoire. Si le maire a le soin d’assurer la sécurité et la salubrité publiques en prévenant notamment les inondations par des mesures appropriées et s’il existe un service public administratif de gestion des eaux pluviales urbaines dans les zones identifiées par les documents d’urbanisme comme " urbanisées et à urbaniser ", les dispositions législatives et règlementaires du CGCT n’ont ni pour objet ni pour effet d’imposer aux communes et aux communautés de communes compétentes la réalisation de réseaux d’évacuation pour absorber l’ensemble des eaux pluviales ruisselant sur leur territoire. Le Conseil d’Etat souligne également que « si le maître de l’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement, ce régime de responsabilité ne s’applique pas aux préjudices subis du fait de l’absence d’ouvrage public. » (Conseil d’Etat, 11 février 2022, N° 449831)


La commune seule responsable 

Les dommages causés aux tiers par les travaux publics ou le fonctionnement ou l’existence d’un ouvrage public sont susceptibles d’engager la seule responsabilité du maître de l’ouvrage, qui en a la garde.
 
C’est le département des Pyrénées-Atlantiques qui est le maître d’ouvrage de la voirie. La route qui dessert la commune est une route départementale appartenant au domaine public routier départemental.
 
Aux termes du premier alinéa de l’article L.131-1 du code de la voirie routière :" Les voies qui font partie du domaine public routier départemental sont dénommées routes départementales ". Aux termes du second alinéa de son article L. 131-2 : " Les dépenses relatives à la construction, à l’aménagement et à l’entretien des routes départementales sont à la charge du département. »
 
Mais, les inondations trouvent leur origine dans les collecteurs d’eaux de pluie du réseau communal de collecte des eaux pluviales, enterrés sur les côtés de la route départementale.
 

La qualification d’ouvrages publics des dispositifs d’évacuation des eaux de pluie ne pose pas de difficulté.

 
Au cas présent, la gestion du service public des eaux pluviales urbaines relève de la commune. Il incombe donc à cette collectivité de répondre des dommages causés par l’existence et le fonctionnement des ouvrages appartenant au réseau public d’eaux pluviales urbaines sur son territoire.
 
Ainsi, bien qu’ils soient implantés le long d’une voie départementale, les collecteurs, dont le dimensionnement et le fonctionnement est mis en cause, doivent être regardés comme faisant partie de ce réseau. En tant que maître de ces ouvrages publics, la commune est responsable, même sans faute, des dommages causés par le dysfonctionnement des collecteurs à la propriété du requérant.
 
Il en a été jugé dans le même sens à propos de désordres causés à une maison d’habitation et liés au sous-dimensionnement et à la détérioration du système public de canalisation et d’évacuation des eaux de pluie (CAA Marseille, 7 décembre 2022 : n°20MA04077 et CE, 28 novembre 2023 : n°471274).
 

La responsabilité du département est écartée également s’agissant de l’exécution des travaux d’aménagement de la route départementale en agglomération. Ces travaux ont été réalisés sous maîtrise d’œuvre de la commune en application d’une convention signée avec le département. Seule la responsabilité de la commune pourrait être engagée à ce titre.


La commune doit réaliser les travaux 

 
 Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l’exécution de travaux publics ou dans l’existence ou le fonctionnement d’un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s’il constate qu’un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s’abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures ».
 
Aucun motif d’intérêt général relatif au coût manifestement disproportionné ne s’oppose à la demande tendant à enjoindre à la commune de procéder aux travaux préconisés et notamment la création d’un collecteur en DN500 mm depuis la route départementale jusqu’au champ avant ruisseau.
En conséquence, la commune doit procéder aux travaux dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement. L’injonction n’est pas assortie d’une astreinte.