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Enfant victime de violences graves et répétées à l’école sur le temps périscolaire, la commune jugée responsable

Conseil d’État, 10 octobre 2024, n° 491327

Une commune peut-elle être déclarée responsable des violences graves et répétées à une enfant par des camarades de classe pendant le temps périscolaire ?

 
Oui tranche la cour administrative d’appel de Lyon, la commune étant tenue d’assurer la sécurité physique et morale des enfants accueillis. Les juges relèvent ainsi que malgré un premier signalement, le service d’accueil périscolaire communal a manqué à son obligation d’assurer la sécurité de l’enfant qui a subi d’autres agressions, pendant plusieurs mois, lors de l’accueil périscolaire. Peu importe que le personnel d’encadrement était en nombre suffisant pour assurer la surveillance des enfants. Peu importe également que les enfants mineurs n’ont pas eu pleinement conscience de la gravité et de la portée de leurs actes et que les plaintes à leur encontre aient été classées sans suite. La condamnation de la commune est désormais définitive, le Conseil d’Etat n’ayant pas admis le pourvoi (Conseil d’État, 10 octobre 2024, n° 491327).
 
Une jeune enfant est victime à plusieurs reprises d’atteintes de nature sexuelle de la part de deux camarades, lors de l’accueil périscolaire et pendant la pause méridienne.

Les parents de l’enfant, âgé de 6 ans et demi au moment des faits, recherchent la responsabilité de la commune, organisatrice de l’accueil périscolaire, sur le fondement d’un défaut de surveillance et d’une carence dans l’organisation des services d’accueil périscolaires.

Ils réclament une indemnisation d’un montant de 40 000 euros en réparation des préjudices subis.
 
En 2022, le tribunal administratif de Lyon retient la responsabilité de la commune, ce que confirme la cour administrative d’appel de Lyon le 29 novembre 2023.

La commune se pourvoit en cassation arguant que les juges ont mal qualifié les faits, la cause déterminante résidant selon elle dans le comportement des autres enfants. Elle soutient également que les juges d’appel ont commis des erreurs de droit et dénaturé les pièces du dossier en jugeant notamment que le préjudice subi par l’enfant était certain et réel alors que toutes les conséquences des faits ne sont pas encore survenues.

Le Conseil d’Etat estime qu’aucun de ces moyens n’est de nature à permettre l’admission du pourvoi. La condamnation de la commune est donc définitive. 
 

Carence fautive dans la surveillance des enfants


Plusieurs éléments permettent au juge d’établir que l’enfant a été victime à de nombreuses reprises d’atteintes graves à son intégrité physique et morale.
 
Le juge relève qu’une première plainte a été déposée par les parents le lendemain de la première agression survenue pendant la pause méridienne dans les toilettes de l’école en avril 2019. Alertés par un autre enfant, les animateurs étaient alors intervenus.
 
Un peu plus d’un mois après ces faits, la commune, reconnaissant l’existence de comportements inappropriés, a adressé un courrier aux parents de la fillette pour leur indiquer avoir mis en place des mesures afin d’éviter que de tels incidents ne se reproduisent.
 
Cependant, en décembre 2019 la fillette a subi de nouvelles atteintes de même nature dans une salle vidéo du centre de loisirs pendant la période de temps calme après le repas. Ces faits sont confirmés par un rapport d’incident rédigé par un animateur du centre de loisirs communal et par le procès-verbal de dépôt de plainte circonstancié du père de la fillette.
 
Auditionnée par des enquêteurs spécialisés, l’enfant révélera ensuite d’autres atteintes survenues entre avril et décembre, qui n’ont pas été vues par les personnels d’encadrement des services périscolaires et pour lesquelles une troisième plainte a été déposée.
 
 Eu égard à leur nature, aux circonstances de leur survenue et à leur caractère réitéré, les faits en cause mettent en évidence des carences fautives dans la surveillance des enfants et l’organisation du service de nature à engager la responsabilité de la commune » conclut le juge.
 

Pas de causes d’exonération

 
La commune est tenue d’assurer la sécurité physique et morale des enfants accueillis rappelle le juge. Lorsque des faits d’atteinte grave à un enfant sont avérés, la commune organisatrice de l’accueil périscolaire et de la cantine scolaire doit prendre toute mesure de nature à protéger l’enfant victime.
 
Or malgré un premier signalement le service d’accueil périscolaire communal a failli à son obligation d’assurer la sécurité de l’enfant estiment les juges.
 
Et la collectivité ne peut arguer :

 ni que le personnel d’encadrement était en nombre suffisant au regard des exigences légales et règlementaires ;

 ni que les enfants mineurs n’auraient pas été pleinement conscients de la gravité et de la portée de leurs comportements ;

 ni que les parents des enfants concernés n’auraient pas été accompagnés dans leur démarche éducative.
 
De même, la circonstance que les plaintes ont été classées sans suite en raison de l’âge des enfants ayant commis les faits, est sans incidence sur la responsabilité de la commune.
 
Les circonstances selon lesquelles le personnel d’encadrement aurait été en nombre suffisant au regard des exigences légales et règlementaires, les enfants mineurs n’auraient pas été pleinement conscients de la gravité et de la portée de leurs comportements ou les parents des enfants concernés accompagnés dans leur démarche éducative, ne sont pas de nature à exonérer la commune de sa responsabilité, dés lors qu’il lui appartient d’assurer la sécurité physique et morale des enfants accueillis, notamment en prenant toute mesure de nature à protéger une victime lorsque des faits d’atteinte grave à sa personne sont avérés. De même est sans incidence sur la responsabilité de la commune la circonstance que les plaintes aient fait l’objet d’un classement sans suite en raison de l’âge des enfants ayant commis les atteintes en cause.
 

Réparation des préjudices

Les manquements du service d’accueil périscolaire ont créé une situation d’insécurité physique et psychologique pour l’enfant. Les parents ont été obligés de retirer leur fille de l’accueil périscolaire.
 
L’attestation d’une psychologue clinicienne assurant le suivi de l’enfant révèle que la fillette ressent un mal-être et fait de nombreux cauchemars.
 
La psychologue indique en outre que la "réponse psychique au traumatisme n’est pas immédiate et qu’elle peut mettre plusieurs mois, voire plusieurs années à advenir".
 
La commune est condamnée à verser à la jeune victime une somme de 15 000 euros, et aux parents une somme de 5 000 euros chacun.
 
Si les faits sont commis pendant le temps scolaire, c’est alors la responsabilité de l’Etat qui peut être engagée. Un partage de responsabilités entre l’Etat et la commune peut être envisagé lorsque l’heure exacte des faits n’est pas déterminée. Tel a été jugé le cas pour un enfant de 4 ans victime d’une agression dans les locaux d’une école maternelle au cours d’un laps de temps partagé entre activités scolaires et activités périscolaires (CAA Versailles, 21 décembre 2006 : n° 05VE01127).