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Grave accident lors d’une fête d’école : la commune déclarée responsable, l’adjointe reconnue coupable

Tribunal administratif de Rennes, 16 mars 2023 : n°2100844 / Tribunal correctionnel de Rennes 23 mai 2023

Lors de la fête de l’école un jeune enfant est très grièvement blessé par une tige métallique dépassant de la clôture : les interventions récurrentes des services techniques sont-elles de nature à exonérer la commune de sa responsabilité ?

Non répond le tribunal administratif de Rennes : ni l’intervention (7 à 8 fois) des services techniques municipaux pour couper les tiges, ni le déplacement sur place du directeur des services techniques quelques jours avant le drame ne sont des diligences suffisantes. Au cours de l’année scolaire les services municipaux ont en effet été alertés à de nombreuses reprises par la directrice de l’école. Et d’autres accidents se sont produits en raison de ces tiges. Le grillage défectueux aurait dû être remplacé. La responsabilité de la commune est engagée pour défaut d’entretien normal.

Parallèlement la responsabilité pénale de l’adjointe à la jeunesse est également retenue, le tribunal correctionnel estimant que l’élue a commis une faute caractérisée en ne prenant pas les mesures adaptées aux signalements qu’elle avait reçus. L’occasion de rappeler que les adjoints peuvent engager leur responsabilité personnelle dans leurs domaines de délégation.

Lors de la fête de l’école organisée dans la cour de récréation, un élève âgé de cinq ans se blesse grièvement en heurtant une tige métallique de la clôture de l’enceinte scolaire. Alors qu’il jouait avec des copains avec des pistolets à eau, l’enfant s’est engagé dans un petit passage entre un stand et la clôture. Il a percuté une tige métallique de 40 cm de long qui dépassait du grillage de la cour qui s’est enfoncée dans son orbite jusqu’à son cerveau. Une blessure grave nécessitant plusieurs mois d’hospitalisation avec des séquelles importantes.

Cette tige, positionnée à l’horizontal et de biais par rapport au grillage dépassait d’environ 40 cm de la clôture.

Quelques jours plus tôt un autre enfant s’était blessé au visage au même endroit. La directrice de l’école avait alors écrit un courrier à la mairie pour signaler la dangerosité de la clôture qui, depuis sa pose en 2010, se dégradait de plus en plus.

Deux procédures distinctes sont engagées :
 la première contre la commune devant les juridictions administratives ;
 la seconde, au pénal, contre l’adjointe à la jeunesse et le 1er adjoint qui remplaçait le maire en vacances au moment du drame.

Responsabilité administrative de la commune

Devant le tribunal administratif, les parents de la jeune victime reprochent à la commune de ne pas avoir respecté son obligation d’assurer l’entretien normal de la clôture de l’enceinte scolaire.

En défense, la commune soutient avoir accompli toutes les diligences nécessaires et estime qu’elle ne pouvait anticiper la survenance de l’accident.

Tel n’est pas l’avis du juge qui retient l’existence d’un lien de causalité entre l’accident et l’état du grillage qui aurait dû être remplacé et engage la responsabilité de la commune.

Le tribunal s’appuie sur :

 le constat réalisé par les gendarmes le jour de l’accident concernant la clôture laquelle est constituée de tiges de fer métalliques fixées à l’horizontal et qui ont tendance à se dessouder (plusieurs tiges étant absentes des panneaux) ;

 l’existence d’autres accidents causés par ces tiges métalliques : quelques jours avant l’accident un enfant s’est blessé à la joue et au cou avec une tige similaire et les services municipaux en avaient été alertés la veille de l’accident un autre enfant s’est accroché le tee-shirt avec une tige ;

 les alertes de la directrice de l’école auprès des services techniques de la commune lesquels se sont déplacés 7 ou 8 fois « coupant les tiges et contribuant de la sorte à attiser le danger » ;

 la venue sur place du directeur des services techniques trois jours avant l’accident, visite au cours de laquelle le directeur a coupé des tiges métalliques et aurait indiqué lors d’une conversation « qu’une telle clôture n’était pas adaptée à l’école » .

La responsabilité de la collectivité est engagée.

En revanche, le tribunal ne se prononce pas sur le montant de l’indemnisation car l’état du dossier ne lui permet pas d’évaluer les différentes préjudices subis. Le juge ordonne qu’il soit procédé à une expertise portant sur l’évaluation de tous les préjudices subis, avant et après consolidation de l’état de santé de la victime. L’élève, désormais adolescent, présente toujours d’importantes séquelles (troubles du comportement, troubles du langage, signes de rigidité cognitive et un niveau scolaire en-dessous de son âge).

Dans une autre affaire (Cour Administrative d’Appel de Marseille, 14 décembre 2011, N° 09MA01111), une commune commune a été déclarée responsable des conséquences dommageables de l’accident dont a été victime un élève âgé de 10 ans lequel s’est blessé le bras en franchissant la clôture de l’établissement scolaire.

La clôture « qui se termine dans sa partie supérieure par des pointes mesurant cinq centimètres non arrondies et dépourvues d’éléments de protection, doit être regardé comme constitutif d’un défaut d’entretien normal ». La cour ne conteste pas que le grillage était bien conforme aux normes de sécurité. Mais cette circonstance ne dispensait pas la commune « d’adapter cet ouvrage en fonction des contraintes ou risques prévisibles particuliers afin d’éviter que les enfants d’une école primaire puissent être blessés par son extrémité ».

En revanche le défaut d’entretien normal de la clôture n’a pas été retenu suite à l’accident subi par un élève âgé de 8 ans qui s’était coincé le genou dans l’espace compris entre le sol et les pointes du grillage de la clôture séparant une cour de récréation d’un plateau sportif : la clôture « constituée d’un grillage dont les picots du bas s’arrêtent pour certains à une hauteur maximale de 4 cm au-dessus du sol, ne présente pas en elle-même un caractère dangereux ; (...) de plus, la communauté de communes démontre, par un rapport (...), qu’elle a contrôlé l’état de cet ouvrage et qu’aucune défectuosité n’a été notée ; qu’ainsi, la communauté de communes rapporte la preuve qui lui incombe de l’entretien normal de l’ouvrage » (CAA Marseille, 3 mai 2018 : n°16MA03728).

Responsabilité pénale de l’adjointe à la jeunesse

En parallèle des poursuites pénales ont été engagées pour blessures involontaires contre l’adjointe à la jeunesse et le 1er adjoint en exercice au moment des faits. L’adjointe est condamnée à six mois d’emprisonnement avec suris. Le tribunal (Tribunal correctionnel de Rennes, 23 mai 2023) lui reproche de ne pas avoir pris en compte le courrier signé de la directrice de l’école demandant une intervention urgente de la mairie pour réparer le grillage défectueux. Le tribunal en conclut que l’élue avait connaissance de la dangerosité de la clôture mais n’a pas pris les mesures permettant d’éviter l’accident. Pour sa défense, l’élue objectait que sachant que les services techniques étaient intervenus la veille, elle pensait que le courrier avait été traité. L’argument n’est pas retenu par le tribunal qui retient à son encontre une faute caractérisée.

Le tribunal a en revanche entendu les arguments de l’actuel maire. Il était poursuivi en sa qualité de premier adjoint au moment des faits et remplaçait le maire de la commune de l’époque, parti en vacances. Les juges le relaxent en soulignant qu’il n’avait pas été avisé du danger imminent de la clôture.

La conscience du danger est un élément déterminant pour la reconnaissance de culpabilité au titre de l’homicide et des blessures involontaires. Il est à ce titre très important d’être réactif sur les signalements qui présentent des dangers particulièrement lorsque des enfants sont exposés. Il est important également de bien préciser le "qui-fait-quoi" et le "qui-est-reponsable-de-quoi".

Ce drame permet également de rappeler qu’un adjoint peut engager sa responsabilité pénale et que ce n’est pas nécessairement le maire en exercice qui sera poursuivi. Pour le juge pénal (Cour de cassation, chambre criminelle, 4 septembre 2007, N° 07-80072) il y a transfert de responsabilité si l’adjoint a l’autorité, les compétences et les moyens pour accomplir sa mission. En revanche si le maire interfère dans le domaine de délégation de l’adjoint, c’est le maire qui reste responsable. Tout est question d’appréciation au par cas par le juge en fonction des circonstances de chaque espèce et les moyens de défense des uns et des autres peuvent s’opposer.

6 règles à retenir et à mettre en pratique





👉 Ne pas transiger avec les questions de sécurité et le respect des règles et consignes

👉 Mettre en place une procédure de recueil et de traitements des signalements de danger (qu’ils émanent des usagers, des administrés, des agents, des élus, des responsables associatifs, des enseignants...) et tracer les réponses et mesures prises

👉 Engager sans attendre l’accident les actions de prévention qui peuvent être engagées sur le champ

👉 Programmer les actions qui, faute de moyens, ne peuvent être réalisées tout de suite et suivre l’exécution du programme d’actions

👉 Prendre les mesures conservatoires qui permettent de limiter le risque en attendant et fermer au besoin l’accès à un lieu qui ne peut être sécurisé

👉 Bien définir le "qui-fait-quoi" et le "qui-est-responsable-de-quoi"

Tribunal administratif de Rennes, 16 mars 2023 : n°2100844