Hospitalisation sans consentement d’une personne menaçant de se suicider : la responsabilité de la commune peut-elle être engagée ?
Oui, si l’arrêté du maire n’est pas suffisamment motivé. En effet, une insuffisance de motivation entraîne l’irrégularité de la mesure d’hospitalisation provisoire et engage la responsabilité de la commune.
Les décisions qui restreignent l’exercice des libertés publiques doivent être motivées conformément aux dispositions de l’article L.211-2, 1° du code des relations entre le public et l’administration (sauf urgence absolue). L’exigence de motivation n’est pas satisfaite lorsque le maire se contente de viser le certificat médical sans s’en approprier les termes, rappelle le juge.
De plus, le code de la santé publique exige que les certificats et avis médicaux soient précis et motivés, et qu’ils soient dactylographiés (article R.3213-3, alinéa 1). Ce qui n’était pas le cas en l’espèce : le certificat médical était non circonstancié et partiellement dactylographié, relève le tribunal judiciaire qui retient la responsabilité de la commune.
Le 19 novembre 2020, un maire prend un arrêté ordonnant une mesure provisoire d’admission en soins psychiatriques sans consentement à l’égard d’une administrée.
Cette décision s’appuie sur un certificat médical indiquant qu’une procédure de contrainte pour observation médicale psychiatrique avait été déclenchée après l’appel du compagnon de la patiente, qui aurait menacé de se suicider avec ses enfants.
Le lendemain, un nouveau certificat médical de 24 heures conclut à la nécessité de poursuivre les soins, et le préfet ordonne une hospitalisation sous contrainte, notifiée à l’intéressée quatre jours plus tard.
Le 23 novembre, le préfet maintient la mesure d’hospitalisation sur la base du certificat médical du psychiatre du centre hospitalier. Et le 25 novembre, le juge des libertés et de la détention autorise la poursuite de l’hospitalisation sans consentement.
Le préfet met fin à la mesure le 27 novembre, suivant la recommandation du médecin de lever la mesure de soins psychiatriques. Pourtant l’intéressée reste hospitalisée jusqu’au 8 décembre 2020.
Estimant que la mesure de soins sans consentement était irrégulière, la personne hospitalisée assigne la commune et l’agent judiciaire de l’État devant le tribunal judiciaire de Paris, réclamant plus de 57 000 euros en réparation des préjudices subis (privation de liberté, administration de traitement sous contrainte, atteinte à la vie familiale, défaut ou retard des notifications des décisions d’admission et de maintien en soins sans consentement, préjudice financier).
L’arrêté du maire insuffisamment motivé
En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical motivé, l’article L.3213-2 du code de la santé publique autorise le maire en vertu de ses pouvoirs de police, à prendre des mesures provisoires à l’égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes.
Il s’agit d’une procédure d’urgence, la décision d’hospitalisation est prise à titre provisoire et il appartient ensuite au préfet (qui est informé de cette mesure dans les vingt-quatre heures) de statuer sans délai et de prononcer s’il y a lieu un arrêté en admission en soins psychiatriques.
Toutefois, les décisions qui restreignent l’exercice des libertés publiques doivent être motivées. En effet, s’agissant d’une mesure de police individuelle restrictive de liberté, la décision d’hospitalisation sans consentement est soumise aux exigences de motivation conformément aux dispositions de l’article L.211-2,1° du code des relations entre le public et l’administration.
Ainsi, la motivation doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision (article L.211-5 du même code). Ce n’est qu’en cas d’urgence absolue que le défaut de motivation n’entache pas d’illégalité la décision (Article L.211-6).
- si la décision se réfère à un avis médical ;
- et à la condition de s’en approprier le contenu et de joindre cet avis à la décision.
Or en l’espèce, l’arrêté du maire vise le certificat médical mais sans s’en approprier les termes.
De plus, le certificat médical sur lequel se fonde le maire ne répond pas aux exigences imposées par l’article R.3213-3 alinéa 1 du Code de la santé publique : « Les certificats et avis médicaux (...) sont précis et motivés. Ils sont dactylographiés ».
Or dans ce dossier :
- d’une part, le certificat médical n’est pas circonstancié ;
- d’autre part, il n’est que partiellement dactylographié.
Enfin, le tribunal relève que le certificat médical ne caractérise ni ne décrit aucun trouble mental manifeste :
si ce document « mentionne un danger imminent pour le patient ou pour autrui, à travers la menace de « se suicider avec ses enfants », le médecin se contente à cet égard de reprendre les propos du père des enfants de l’intéressée sans indiquer les avoir lui-même entendus et ne caractérise ni ne décrit aucun trouble mental manifeste, ce qui équivaut à un défaut de motivation ».
La mesure d’hospitalisation initiale est donc irrégulière conclut le juge.
La décision du préfet est également irrégulière
La décision du préfet doit être motivée et énoncer avec précision les circonstances qui ont rendu l’admission en soins nécessaire. Le certificat médical auquel doit se référer le préfet ne peut émaner que d’un psychiatre exerçant dans l’établissement d’accueil.
« Si la décision peut satisfaire à l’exigence de motivation en se référant au certificat médical circonstancié, à la condition de s’en approprier le contenu et de joindre ce certificat à la décision, elle doit également mettre en évidence que les troubles mentaux dont est atteint l’individu compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l’ordre public » rappelle le tribunal judiciaire en citant l’arrêt de la Cour de cassation du 29 septembre 2021 (Cour de cassation , chambre civile 1, 29 septembre 2021, n°20-14611).
Au cas présent, la décision du préfet est également irrégulière car la motivation est insuffisante au regard des exigences de l’article L.3213-1 du code de la santé publique.
Certes, le préfet s’approprie les termes du certificat médical selon lequel « les troubles mentaux présentés par Madame [F] [R] nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public et rendent nécessaire son admission en soins psychiatrique ».
Mais, selon le juge, une telle motivation ne caractérise en rien des troubles mentaux qui rendraient la patiente dangereuse pour autrui ou la ferait troubler gravement l’ordre public. L’hospitalisation était donc irrégulière.
Responsabilité partagée entre la commune et l’Etat
L’arrêté irrégulier du maire engage la responsabilité de la commune s’agissant des conséquences de l’hospitalisation du 19 au 20 novembre. La collectivité devra verser 500 euros à l’administrée en réparation des préjudices résultant de la privation de liberté et de l’atteinte à sa vie familiale.
La commune est également condamnée in solidum avec l’Etat à payer la somme de 3000 euros en réparation des démarches judiciaires effectuées par la requérante (article 700 du code de procédure civile).
L’Etat est pour sa part condamné à réparer les conséquences de l’hospitalisation à compter du 20 novembre. Il devra verser une somme de 11900 euros en réparation des préjudices subis (privation de liberté, administration d’un traitement sous la contrainte, atteinte à la vie familiale, défaut ou tardiveté des notifications des décisions d’admission et de maintien en soins sans consentement, préjudice financier).
Merci aux éditions Lexis Nexis de nous avoir autorisés à publier le jugement téléchargé
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