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Riverains incommodés par le bruit d’un city-stade : non la commune ne devra pas rembourser l’achat du camping-car

Tribunal administratif, Châlons-en-Champagne, 5 Avril 2024 : n° 2200659

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Des nuisances sonores liées à l’utilisation d’un city-stade peuvent-elles engager la responsabilité de la commune bien que la police soit étatisée ?

 

Potentiellement oui, et ce à double titre : 

1° La responsabilité pour faute de la commune peut être engagée si une défaillance du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police peut être rapportée (comme l’absence de mesures pour remédier à la gêne occasionnée). En effet le maire est compétent s’agissant des bruits de voisinage, y compris dans les communes où la police est étatisée : "Il appartient au maire d’une commune, même dans les communes où la police est étatisée, d’éviter que le bruit engendré par les manifestations autorisées dans une installation sportive communale méconnaisse les normes maximales d’émission fixées par le code de la santé publique, en faisant notamment usage, en cas de besoin, des pouvoirs de police municipale qui lui sont confiés par l’article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales" ; 

2° La responsabilité sans faute de la commune peut être engagée au titre des dommages causés au tiers d’un ouvrage public. En effet "le maître d’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement".

Dans le cas présent, le tribunal administratif rejette les demandes des riverains qui réclamaient 100 000 euros à la commune en réparation des nuisances causés par le city-stade. En effet d’une part la commune a pris de nombreuses dispositions pour limiter les nuisances qui relèvent de comportements individuels, d’autre part les riverains ne pouvaient ignorer, à la date de leur emménagement, les inconvénients résultant de la proximité immédiate d’un complexe sportif préexistant. La commune n’aura donc à rembourser aux requérants le camping-car qu’ils prétendent avoir dû acheter pour trouver un peu de tranquillité. 
 

 
 
 
En 2006 un couple acquiert quatre parcelles dans une commune pour y construire leur résidence principale, à proximité d’un complexe sportif municipal. 
 
La construction est achevée en 2014.
 
Huit ans plus tard, les propriétaires, se plaignant des nuisances sonores de l’infrastructure, réclament près de 100 000 euros à la commune. Ils invoquent notamment un "préjudice financier lié à l’obligation d’acquérir un camping-car afin de pouvoir échapper aux nuisances".
 
Selon eux, les nuisances sonores seraient dues aux conditions d’utilisation du nouveau « city-stade » qui a remplacé en 2017 le terrain de basket initial.
 
Ils invoquent principalement une carence du maire dans l’exercice de son pouvoir de police, et subsidiairement la responsabilité sans faute de la commune en leur qualité de tiers à l’ouvrage public. 
 
 

Aucune carence fautive du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police

 

Le maire doit prévenir les atteintes à la tranquillité publique

 
Le Code général des collectivités territoriales confie au maire le soin d’intervenir pour prévenir et réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les bruits, les troubles de voisinage (Article L.2212-2 2°).

De plus, le maire est également compétent s’agissant des bruits de voisinage. Même dans les communes où la police est étatisée.
 
En effet l’article L.2214-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT) transfère les pouvoirs de police de la tranquillité publique au seul préfet dans les communes où la police est étatisée, "sauf en ce qui concerne les bruits de voisinage". Le tribunal relève ainsi :
 
« Il appartient au maire d’une commune, même dans les communes où la police est étatisée, d’éviter que le bruit engendré par les manifestations autorisées dans une installation sportive communale méconnaisse les normes maximales d’émission fixées par le code de la santé publique, en faisant notamment usage, en cas de besoin, des pouvoirs de police municipale qui lui sont confiés par l’article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales ».
 
En outre, en sa qualité de propriétaire de l’installation sportive, la commune est tenue de prendre les mesures nécessaires pour que les nuisances résultant de son fonctionnement n’excèdent pas, par leur intensité, leur fréquence ou leur durée, les sujétions inhérentes au voisinage d’un ouvrage public (par exemple en réglementant l’utilisation du complexe sportif ou en décidant la réalisation de travaux susceptibles de limiter les nuisances).


Réglementation relative aux bruits de voisinage

Le tribunal rappelle ensuite la règlementation relative aux bruits de voisinage laquelle est précisée aux articles R.1336-4 et suivants du code de la santé publique (CSP). Lorsque le bruit a pour origine une activité professionnelle ou une activité sportive, culturelle ou de loisir l’atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme est caractérisée si l’émergence globale de ce bruit perçu par autrui est supérieure à des valeurs limites (R.1336-6 du CSP).
 
Ces valeurs sont fixées à l’article R.1336-7 du Code de la santé publique.
 

Arsenal de mesures prises par la municipalité

 
Les requérants soutiennent que le fonctionnement du complexe sportif génère des nuisances sonores qui excèdent les limites fixées par la réglementation. Ils ont alerté à plusieurs reprises le maire ainsi que le préfet et déposé plusieurs plaintes et mains courantes concernant le comportement des usagers du complexe (en particulier les soirs d’été).
 
Mais, le juge relève que le maire et la commune ont fait le nécessaire dès qu’ils ont été informés des nuisances.
 
En effet la commune n’est pas restée inactive. De nombreuses mesures ont été prises : 
  •  rappel régulier aux différentes structures usagères du complexe sportif de l’impératif du respect du voisinage ;
  •  arrêté règlementant l’usage de l’installation sportive (horaires d’ouverture limités de 8h45 à 22h) ;
  •  panneaux d’information sur les règles d’utilisation ; 
  • extinction de l’éclairage public ;
  • déplacement des services de police (municipales et nationales) lors des sollicitations des requérants ; 
  • installation, en concertation avec les intéressés, d’un pare-ballon sur l’un des terrains de football ; 
  • installation de nouveaux filets sur les parois du tennis couvert pour limiter les bruits d’impact des balles ; 
  • mise à disposition de ballons légers en mousse sur l’aire multi-activités ;
  • limitation des horaires d’accès à l’aire (uniquement du lundi au vendredi de 9h à 12h puis de 13h30 à 17h30) ;
  •  interdiction d’utilisation d’un terrain de football ; 
  • installation d’une vidéosurveillance ; 
  •  clôture de l’ensemble des équipements sportifs.
Et le juge d’en conclure que :
 
« dans ces conditions, et alors que les nuisances relèvent de comportements individuels, aucune carence fautive du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police ne peut être retenue ».
 

Pas de responsabilité sans faute

 
Un city-stade aménagé par une commune constitue un ouvrage public. Et en leur qualité de tiers à l’ouvrage public les propriétaires peuvent invoquer la responsabilité sans faute de la commune :
 

Un complexe sportif multisports de type " city-stade " aménagé par une commune constitue un ouvrage public. Le maître d’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Pour obtenir réparation par le maître de l’ouvrage des dommages qu’elle a subis, la victime doit démontrer, d’une part, la réalité de ses préjudices et, d’autre part, l’existence d’un lien de causalité direct entre l’ouvrage et le dommage, lequel doit présenter un caractère grave et spécial. N’ouvrent pas droit à indemnité les préjudices qui n’excèdent pas les sujétions susceptibles d’être normalement imposées, dans l’intérêt général, aux riverains des ouvrages publics. Pour s’exonérer de la responsabilité qui pèse sur elle,

il incombe à la collectivité maître d’ouvrage d’établir que ces dommages résultent de la faute de la victime ou de l’existence d’un événement de force majeure. »

 
Au cas présent, le juge estime que la responsabilité sans faute de la commune ne peut être engagée.
 
Les valeurs limites de l’émergence spectrale, permettant de caractériser les nuisances sonores, ont certes été dépassées, constate l’expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif (et cela à 10 reprises sur 12). Et les mesures nocturnes réalisées au domicile des intéressés révèlent bien la présence de jeunes gens le soir au-delà de 22 h entre le 4 juin et le 30 juillet.

Cependant, le juge, en examinant précisément les faits relève que :
  •  les requérants ne pouvaient ignorer, à la date de leur emménagement, les inconvénients résultant de la proximité immédiate d’un complexe sportif préexistant ;
  •  les nuisances invoquées par les requérants avant même la transformation du complexe concernaient également l’utilisation des autres installations préexistantes (terrain de football, tennis couvert…) ;
  • les nuisances nocturnes au-delà de 22h sont le fait d’un groupe restreint d’usagers au comportement anormal.
 
Le juge écarte l’usage anormal des installations sportives car :
  •  les nuisances sonores sont concentrées « sur la belle saison entre mai et septembre » ;
  •  le bruit résultant de la fréquentation au-delà de 22h excède la dizaine d’occurrences annuelles seulement sur deux années.
 
Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à invoquer la responsabilité de la commune ni au titre des dommages permanents ni au titre des dommages accidentels.
 
La requête indemnitaire ainsi que les conclusions à fin d’injonction sont rejetées.
 

Régulation des horaires d’accès et fixation de règles d’utilisation 

Le choix de l’implantation d’un city-stade est bien entendu déterminant pour limiter les nuisances. S’il est à proximité d’habitations, il faut penser à restreindre les horaires d’accès et fixer des règles de bonne conduite. Ainsi dans une autre affaire (CAA Lyon, 4 mai 2023 : n°21LY03731) un riverain demandait la condamnation d’une commune à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice causé par le fonctionnement du "city-stade" municipal aménagé à proximité de sa résidence. La responsabilité de la commune est écartée le maire ayant pris les mesures nécessaires, telles que la régulation des horaires d’accès, l’établissement de règles de conduite et la mise en place de systèmes de vidéosurveillance. 
 
 
 
* Merci aux éditions Lexis Nexis de nous avoir autorisés à publier le jugement téléchargé sur Lexis360 intelligence (disponible sur abonnement)