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Inexécution des décisions de justice par la commune : responsabilité financière du maire ?

Cour des comptes, 31 mai 2023, n° S-2023-0667

L’inexécution d’une décision de justice par la commune peut-elle entraîner la responsabilité financière du maire ?

Oui en sa qualité de représentant légal et d’ordonnateur, le maire peut engager sa responsabilité personnelle en cas de passivité de la commune à exécuter une décision de justice, sans qu’il soit nécessaire de démontrer qu’il a activement participé à la commission des irrégularités. Depuis la réforme de la responsabilité financière des comptables publics, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, c’est la Cour des comptes qui est désormais compétente. En l’espèce un maire est condamné à 10 000 euros d’amende, la commune ayant tardé à exécuter des décisions de justice dans un contentieux l’opposant à un agent.

 [1]

En mai 2022, la Cour de discipline budgétaire est financière (CDBF) est saisie de faits relatifs à une commune (plus de 10 000 habitants) susceptibles de constituer des infractions financières.

En mai 2023, l’ancien maire de la commune, en exercice au moment des faits, est jugée responsable par la Cour des comptes.

Entre-temps la réforme de la responsabilité financière des comptables publics (ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022) est entrée en vigueur le 1er janvier 2023. C’est désormais une chambre dédiée au contentieux la Cour des comptes qui est compétente.

Si en principe les élus locaux ne sont pas justiciables à titre personnel des juridictions financières, il existe trois exceptions :
 en cas de gestion de fait ;
 en cas de réquisition du comptable public ;
 en cas d’inexécution, de retard ou de résistance par la collectivité à l’exécution d’une décision de justice.

C’était ce troisième motif qui était ici reproché au maire concernant un contentieux opposant la commue à l’un de ses agents. La Cour des comptes constate en effet :

1° qu’entre le 2 mai 2017 et la fin des fonctions de la personne renvoyée, la commune a été soumise à 11 décisions de condamnation à une astreinte prononcées par 5 jugements du tribunal administratif, pour un montant total de 186 600€, en raison de l’inexécution partielle d’un jugement de ce tribunal remontant à 2006 rendu en faveur d’un ancien agent de la ville ;

2° que, par 6 jugements distincts rendus entre le 3 novembre 2016 et le 30 septembre 2021, la commune a été condamnée au paiement de 11 sommes d’argent, à l’agent précité et à l’État, et contrainte de payer les intérêts légaux se rapportant à 2 d’entre elles. Six de ces condamnations pécuniaires dont le montant est explicitement fixé par le jugement lui-même n’ont pas été mandatées dans le délai de 2 mois à compter de la notification de la décision de justice.

Pas de comportement fautif directement imputable à un agent, responsabilité du maire en sa qualité de représentant légal et d’ordonnateur

La Cour des comptes souligne que « les infractions constatées ne résultent pas d’un comportement fautif directement imputable à un ou des agents identifiés de la commune, mais la Cour ne limite pas la sanction aux agents ayant pris une part directe dans les irrégularités et recherche également la responsabilité de tout justiciable du fait des obligations attachées à ses fonctions, même s’il n’est pas démontré que celui-ci a activement participé à la commission des irrégularités ».

L’ancien maire est jugé responsable en sa qualité de représentant légal et d’ordonnateur de la commune en application du 1° de l’article L. 131-4 du Code des juridictions financières (CJF) en vigueur depuis le 1erjanvier 2023, article qui reprend les dispositions définies antérieurement à cette date à l’article L. 312-2 du CJF.

La Cour des comptes condamne le maire à 10 000 euros d’amende. Pour apprécier le montant de l’amende, la juridiction retient des circonstances atténuantes en relevant notamment que cette affaire s’était nouée sous la gestion du précédent maire.

Mais elle retient également deux circonstances aggravantes. La Cour des comptes souligne ainsi :
 « la passivité de la commune a eu pour effet de reporter jusqu’au 6 novembre 2021 l’exécution considérée comme complète des jugements des 30 mars et 15 décembre 2006, malgré plusieurs condamnations à astreintes et liquidation d’astreintes » ;
 l’absence de suite donnée par le maire à un courrier du Procureur général qui l’avait alerté en mars 2017 sur cette situation.

Accentuation de la pression pénale sur les élus locaux ?

Cet arrêt vient rappeler que si les élus locaux ne sont pas en principe justiciables de la Cour des comptes, ils peuvent dans certains cas engager leur responsabilité personnelle, notamment en cas d’inexécution ou de retard d’exécution des décisions de justice condamnant la collectivité.

Par ailleurs, plusieurs commentateurs, font observer que l’exclusion de principe des élus locaux du champ de la responsabilité financière, pourrait paradoxalement accentuer la pression pénale exercée sur eux. Dans une interview accordée aux éditions Weka [2] François Pucheus, Avocat Général près la Cour d’appel de Rouen, estime ainsi que « l’option prise par les auteurs de

l’ordonnance du 23 mars 2022, d’écarter de principe les élus locaux du champ des poursuites financières conduites contre les gestionnaires publics, ne sera pas de nature à inverser cette tendance ». Avis partagé par Me Yvon Goutal dans une analyse publiée dans la Gazette des communes [3] :

« Le danger, lorsque l’on réduit la place d’un mode de répression, c’est que son voisin occupe la place laissée vacante… et c’est bien toute l’ambiguïté de la réforme issue de l’ordonnance du 23 mars 2022. Il est à craindre que le grand gagnant (involontaire) de la réforme, s’agissant notamment des ordonnateurs, soit le juge pénal. »

Ce sera l’une des nombreuses questions qui sera au menu du colloque de l’Observatoire organisé à Paris le 18 octobre 2023 "Les acteurs publics face aux risques de mises en cause et d’agressions". Si vous n’êtes pas encore inscrit, il est encore temps !

Cour des comptes, 31 mai 2023, n° S-2023-0667

[1Photo : © Shutterstock

[2La réforme de la responsabilité des gestionnaires publics ouvre une nouvelle fenêtre de réponse sur les dossiers de faible intensité", entretien avec François Pucheus, Avocat Général près la Cour d’appel de Rouen, Magistrat Inspecteur Régional, WEKA, 2 août 2023

[3Connaître la réforme de la responsabilité financière applicable au 1er janvier, Marie Goutal et Yvon Goutal, Gazette des communes, 7 décembre 2022