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Chute d’un adolescent depuis le toit d’un bâtiment désaffecté : la commune responsable ?

Tribunal administratif de Nîmes du 16 décembre 2022, n°2003828

Un adolescent chute du toit d’une chaufferie municipale désaffectée : la commune est-elle responsable ?

Oui estime le tribunal administratif de Nîmes dès lors que la commune n’a pris aucune mesure de précaution pour sécuriser le site : la chaufferie municipale était située sur un site non clôturé, sans panneau d’interdiction d’y pénétrer ou avertissant du danger.
La commune n’ignorait pas que ce site était régulièrement fréquenté par des mineurs. Sa responsabilité est engagée pour défaut d’entretien normal, l’adolescent ayant la qualité d’usager de l’ouvrage public.
Toutefois, le juge retient une faute de la victime : l’adolescent âgé de 16 ans avait « nécessairement conscience du danger que représentait pour sa sécurité le fait de monter sur le toit en tôle d’un bâtiment désaffecté en mauvais état ». Et l’adolescent ne peut sérieusement se prévaloir de son inexpérience en matière d’escalade de toits ! La commune est condamnée à prendre en charge un tiers des conséquences dommageables de l’accident.

Un adolescent monte, avec des amis, sur le toit d’une chaufferie municipale désaffectée afin de réaliser une vidéo. L’accès à cette chaufferie n’était ni interdit, ni empêché.
L’adolescent traverse une tôle de la toiture de l’ouvrage public et fait une chute de 7 mètres.

La victime grièvement blessée et ses parents recherchent la responsabilité de la commune en invoquant un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public et une carence fautive du maire à faire usage de ses pouvoirs de police pour assurer la sécurité du site.

Les requérants réclament un peu plus de 76 000 euros en réparation des préjudices corporels, 25 000 euros au titre du préjudice moral pour chacun des parents et 10 000 euros pour chacun des trois frères et sœurs.

L’introduction dans un ouvrage public, même de manière illicite, confère la qualité d’usager

A l’égard de la chaufferie municipale, l’adolescent a la qualité d’usager, la responsabilité de la commune pouvait être recherchée sur le fondement du défaut d’entretien normal.

💥Depuis un arrêt du Conseil d’Etat de 1964 (CE Sect, 30 octobre 1964, Piquet), les personnes qui s’introduisent même illégalement dans un ouvrage public sont considérées comme des usagers. Il serait certes plus logique de les considérer comme "tiers" mais la régime de responsabilité leur serait alors plus favorable, la responsabilité de la puissance publique étant engagée sans faute à l’égard des tiers.

Le juge s’appuie sur les photographies, le constat d’huissier et les témoignages pour constater que la chaufferie municipale, désaffectée trois ans avant l’accident, n’était plus entretenue. En effet, les photographies montrent « d’importants amas de graviers, des fenêtres cassées et des tôles cassées et décrochées sur le mur arrière du bâtiment ». Cette situation caractérise un danger potentiel pour les personnes.

Le tribunal considère que la commune, en tant que maître de l’ouvrage public, était tenue de prendre des mesures de sécurisation du site telles que : interdiction d’accès et signalisation du danger. Mesures plus que nécessaires puisque la chaufferie était destinée à la démolition.

Or, aucune précaution n’a été mise en œuvre par la commune : la chaufferie était située sur un site non clôturé, sans panneau d’interdiction d’y pénétrer ou avertissant du danger. Et le constat d’huissier permet de démontrer que les ouvertures en façade principale n’ont été murées qu’après l’accident.

La commune ne produit aucune pièce permettant de prouver qu’elle aurait muré de béton l’entrée de la chaufferie ou qu’elle aurait,quelques mois avant l’accident, posé sur l’ensemble des ouvertures des barres de fer scellées et des plaques métalliques.

La preuve de l’entretien normal n’est pas rapportée.

Une faute de la victime de nature à exonérer en partie la collectivité

La commune soutenait que les dommages résultaient entièrement de la faute de la victime (usage anormal de l’ouvrage public désaffecté).

L’adolescent a bien commis une faute dit le juge. En effet la victime , âgée de 16 ans, avait « nécessairement conscience du danger que représentait pour sa sécurité le fait de monter sur le toit en tôle d’un bâtiment désaffecté en mauvais état ». Et l’adolescent « ne saurait sérieusement se prévaloir de son inexpérience en matière d’escalade de toits. Cela aurait dû au contraire le conduire à s’abstenir d’une telle ascension » !

Pour autant la responsabilité de la commune est bien engagée ! En effet la faute de la victime n’était ni imprévisible, ni irrésistible pour la commune puisqu’elle était informée que des mineurs fréquentaient régulièrement ce site. La commune ne peut donc pas soutenir que l’accident résulte entièrement de la faute commise par l’adolescent.

La commune est condamnée en conséquence à prendre en charge un tiers des conséquences dommageables de l’accident.

🔎A noter : le juge n’examine pas le fondement de responsabilité de la commune tiré de la carence du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police, car il n’aboutirait pas à une indemnisation supérieure.

Compte tenu du partage de responsabilité, la commune est condamnée à verser à la victime une somme de 15 570 euros. Le préjudice moral des parents est évalué à 500 euros chacun. En revanche, le juge rejette le préjudice moral des frères et sœurs (ce préjudice n’est pas suffisamment avéré).
La commune doit verser à la caisse primaire d’assurance maladie une somme de de 10 074,40 euros en remboursement de ses débours.

Cet affaire n’est pas sans rappeler un accident dont avait été victime un adolescent qui s’était introduit de nuit, avec un copain, dans une école maternelle et avait chuté du toit sur lequel il était monté après s’être assis sur un skydome qui avait cédé sous son poids. Cette fois la responsabilité de la commune avait été écartée (Cour administrative d’appel de Douai, 2 octobre 2012, N° 11DA01921), les juges soulignant que, non seulement les deux mineurs ont pénétré, sans y avoir été autorisés, dans l’enceinte de l’école et ont pris l’initiative d’escalader le bâtiment, mais également qu’aucun élément de l’enquête ne permettait d’accréditer la thèse soutenue par la requérante quant à la réputation de ce lieu comme lieu de rassemblement des jeunes de la commune.

Tribunal administratif de Nîmes du 16 décembre 2022, n°2003828 (PDF)*

*Merci aux éditions Lexis Nexis de nous avoir autorisés à publier le jugement téléchargé sur Lexis360 (disponible sur abonnement)