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Une collectivité peut suspendre le versement d’une subvention à une association

Cour administrative d’appel de Toulouse, 7 juin 2022 : n° 20TL20132

Une collectivité peut-elle couper les subventions à une association qui a reversé une partie des fonds à une autre association ?

Oui, la commune peut suspendre la subvention dès lors que l’association bénéficiaire ne justifie pas d’une utilisation de la subvention versée conforme à l’objet de la convention d’objectifs. Tel est le cas si l’association effectue des versements à une autre association dont elle est membre, versements dont il n’était pas contesté qu’ils étaient en partie financés par la subvention et alors que la commune ignorait les actions et missions menées par l’association bénéficiaire des versements. La commune peut, tout en demandant des éléments justificatifs des versements, décider de suspendre la subvention.

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En 2013, une commune de Haute-Garonne et une association gérant un établissement d’accueil de jeunes enfants concluent une convention d’objectifs et de moyens prévoyant le versement par la commune d’une subvention annuelle d’aide au fonctionnement.

Deux ans plus tard, la commune décide, de suspendre l’exécution de la convention après avoir constaté que l’association a reversé une partie des fonds à une autre association.

La commune décide également de ne pas verser le reliquat de la subvention due au titre de l’année en cours en invoquant le non-respect par l’association de l’obligation d’utiliser la subvention conformément à son objet.

Estimant que la décision ne repose sur aucun motif valable et que la commune a méconnu les dispositions contractuelles relatives à la résiliation, l’association saisit le juge administratif.

L’association demande la condamnation de la commune à lui verser une somme de 400 000 euros en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de la violation par la commune de ses obligations de lui verser les subventions contractuellement dues.

Le tribunal administratif de Toulouse rejette la requête de l’association, ce que confirme la cour administrative d’appel.

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Subventions aux associations : mode d’emploi (FAQ)

Suspension de la subvention : ni décision de retrait, ni décision de résiliation de la convention

S’appuyant sur les dispositions contractuelles de la convention d’objectifs et de moyens, le juge d’appel confirme la position des premiers juges : « la décision contestée s’est bornée à suspendre le versement de la subvention accordée dans le cadre de la convention d’objectifs et de moyens du 29 juillet 2013 sur le fondement des stipulations de l’article 9 précité. Elle ne constitue ainsi ni une décision de retrait de subvention dès lors qu’elle n’impliquait aucune restitution de sommes déjà versées par la commune, ni une décision de résiliation de la convention, laquelle n’a simplement pas été renouvelée à son terme ».

💥 Pour des exemples où le juge a admis la possibilité pour la collectivité de demander le remboursement des subventions déjà versées :
 Conseil d’État, 5 juillet 2010, N° 308615 pour une subvention versée à une CCI qui n’avait pas respecté les règles de passation des marchés publics pour recruter le prestataire de services chargé de réaliser l’action subventionnée ;
 Cour administrative d’appel de Marseille, 28 mars 2022, n°20MA03727 : L’association ne justifiait pas avoir employé les subventions du département pour acquérir les matériels au titre desquels elles avaient été accordées. Le département est donc fondé à procéder à leur récupération dans le respect de la procédure contradictoire.

En effet, s’agissant d’un retrait d’une subvention lorsque les conditions de son octroi ne sont pas respectées, le Conseil d’Etat (CE, 4 octobre 2021, n° 438695) a jugé que l’administration qui envisage de procéder au retrait de la subvention pour ce motif doit mettre le bénéficiaire en mesure de présenter ses observations (respect de la procédure contradictoire dans les conditions prévues par les articles L. 122-1 et L.211-2 du code des relations entre le public et l’administration y compris lorsqu’il s’agit d’une collectivité).

Le moyen tiré du défaut de base légale de la décision de suspension des versements de la subvention est écarté.

Contrôle de la bonne utilisation de la subvention par l’association

Le juge rappelle que si « l’attribution d’une subvention par une personne publique crée des droits au profit de son bénéficiaire », il n’en demeure pas moins que « de tels droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu’elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d’octroi, qu’elles aient fait l’objet d’une convention signée avec le bénéficiaire ou, encore, qu’elles découlent implicitement mais nécessairement de l’objet même de la subvention. ».

De fait, les dispositions de l’article L.1611-4 du Code général des collectivités territoriales autorisent la collectivité à contrôler le bon emploi de la subvention :
1° Toute association (...) ayant reçu une subvention peut être soumise au contrôle des délégués de la collectivité qui l’a accordée.
2° Tous groupements, associations, œuvres (...) qui ont reçu dans l’année en cours une ou plusieurs subventions sont tenus de fournir à l’autorité qui a mandaté la subvention une copie certifiée de leurs budgets et de leurs comptes de l’exercice écoulé, ainsi que tous documents faisant connaître les résultats de leur activité.

Enfin, selon l’alinéa 3 de ce même article :

"Il est interdit à tout groupement ou à toute association, œuvre ou entreprise ayant reçu une subvention d’en employer tout ou partie en subventions à d’autres associations, œuvres ou entreprises, sauf lorsque cela est expressément prévu dans la convention conclue entre la collectivité territoriale et l’organisme subventionné".

📑 Focus sur le contrat d’engagement républicain et ses incidences pour les associations


Depuis la La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (article 12) :

▪ Toute association ou fondation qui sollicite l’octroi d’une subvention auprès d’une autorité administrative ou d’un organisme chargé de la gestion d’un service public industriel et commercial doit s’engager, par la souscription d’un contrat d’engagement républicain :

1° A respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution ;
2° A ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République ;
3° A s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public.



Cette obligation est réputée satisfaite par les associations agréées (au titre de l’article 25-1 de la loi du 12 avril 2000, ainsi que par les associations et fondations reconnues d’utilité publique (la reconnaissance d’utilité publique étant désormais conditionnée à l’engagement du respect des principes du contrat d’engagement républicain).

▪ L’association qui s’engage à respecter les principes inscrits dans le contrat d’engagement républicain qu’elle a souscrit doit en informer ses membres par tout moyen.

▪ Lorsque l’objet que poursuit l’association ou la fondation sollicitant l’octroi d’une subvention, son activité ou les modalités selon lesquelles cette activité est conduite sont illicites ou incompatibles avec le contrat d’engagement républicain souscrit, l’autorité ou l’organisme sollicité doit refuser la subvention demandée.

💥 S’il est établi que l’association ou la fondation bénéficiaire d’une subvention poursuit un objet ou exerce une activité illicite ou que l’activité ou les modalités selon lesquelles l’association ou la fondation la conduit sont incompatibles avec le contrat d’engagement républicain souscrit, la collectivité ayant attribué la subvention doit procéder au retrait de cette subvention par une décision motivée, après que le bénéficiaire a été mis à même de présenter ses observations (dans les conditions prévues à l’article L. 122-1 du code des relations entre le public et l’administration). La collectivité doivent enjoindre au bénéficiaire de lui restituer, dans un délai ne pouvant excéder six mois à compter de la décision de retrait, les sommes versées ou, en cas de subvention en nature, sa valeur monétaire. La collectivité doit également
communiquer sa décision au représentant de l’Etat dans le département du siège de l’association ou de la fondation et, le cas échéant, aux autres autorités et organismes concourant, à sa connaissance, au financement de cette association ou de cette fondation.

C’est à bon droit que la commune a suspendu le versement de la subvention estime le juge.

En effet, lors d’un contrôle effectué par les services municipaux de l’utilisation de la subvention, l’examen des documents comptables fournis a permis de révéler que l’association versait d’importantes sommes au profit d’une autre association (dont l’association requérante était membre). Le montant des sommes versées s’élevait à un peu plus de 120 000 euros. La commune a considéré que ces versements étaient non justifiés : ils étaient en partie financés par la subvention (ce qui n’était pas contesté) et la commune ignorait par ailleurs la nature des actions ou missions menées par l’association bénéficiaire de ces versements.
Face à ce constat, la municipalité a décidé de suspendre le versement de la subvention et a invité l’association à justifier ces versements.

Le juge retient l’absence de justification des prestations de l’association ayant reçu les versements. L’association bénéficiaire des versements mettait certes à disposition de ses membres des salariés à temps partagés et refacturait des charges générales mais :
 d’une part, l’attestation de l’expert-comptable de cette association « ne donne aucun détail sur ces postes de charges » ;
 d’autre part, le rapport d’audit diligenté à la demande de la commune expose l’absence de justification de ces charges.

Par conséquent, l’association n’a pas utilisé la subvention conformément à son objet et ce manquement justifiait la suspension du versement de la subvention.

📌A noter : Le maire avait refusé les invitations de l’association à résoudre le litige à l’amiable. Or une disposition de la convention prévoyait ce règlement à l’amiable : "En cas de difficulté sur l’interprétation ou l’exécution de la présente convention les parties s’efforceront de résoudre leur différend à l’amiable ». Stipulation dépourvue de caractère impératif dit le juge.

Cour administrative d’appel de Toulouse, 7 juin 2022 n° 20TL20132

[1Photo : Markus Winkler sur Unsplash