Le président d’un EPCI (ou maire d’une commune) peut-il être condamné pour complicité de prise illégale d’intérêts s’il n’a pas expressément demandé à un conseiller de ne pas participer à la délibération relative à un marché public alors qu’il connaissait son lien de parenté avec l’attributaire ?
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En 2016, une communauté des communes lance un marché à procédure adaptée (MAPA) dans le cadre d’un programme pluri-annuel de travaux de voirie. Le montant de la tranche ferme et des 6 tranches conditionnelles s’élève à la somme de 384 616,50 euros.
Deux offres sont présentées. La commission MAPA classe première le 11 mai 2016 l’offre d’un groupement d’entreprises et le conseil communautaire autorise le président de la communauté à signer le marché de travaux.
Une séance du conseil de la communauté des communes a lieu le 30 juin 2016. Au cours de celle -ci une· délibération est adoptée, délibération se rapportant à deux contrats différents dont celui du marché public de travaux de voirie. Le vote se fait à main levée et la délibération est prise à l’unanimité des 76 élus présents.
Oui mais voilà, parmi les conseillers communautaires présents, se trouve un élu qui est l’ancien gérant d’une entreprise retenue laquelle est aujourd’hui dirigée par son fils.
La sous-préfecture demande donc au président de l’EPCI le retrait de la délibération litigieuse compte-tenu des liens de parenté entre le conseiller communautaire et le gérant de l’entreprise.
Le président de la communauté de communes répond aux observations de la sous-préfecture en expliquant que la délibération litigieuse était une délibération a priori autorisant le président à signer l’accord cadre voirie, sous réserve des résultats d’analyse des offres et des avis de la commission MAPA. Les résultats n’étaient pas connus à l’époque et l’entreprise n’était donc pas nommément désignée. Il n’était pas possible pour les conseillers de connaitre le nom de l’entreprise attributaire et donc de voter en connaissance de cause. En outre le conseiller communautaire concerné n’était pas membre de la commission MAPA chargée de donner son avis sur l’analyse des offres.
La sous-préfecture répond, dans un courrier non daté ni signé (courrier que le président de la communauté de communes soutient ne pas avoir reçu sans qu’il soit établi le contraire), que les observations formulées en réponse sont valables pour des travaux engagés sur d’autres secteurs du territoire mais maintient, s’agissant du marché litigieux, sa position : le conseiller communautaire a bien participé à une délibération d’attribution du marché au groupement d’entreprises.
Le conseiller communautaire est poursuivi pour prise illégale d’intérêts et le président de l’EPCI pour complicité. Ils sont tous les deux condamnés en première instance.
Condamnation confirmée pour le conseiller communautaire
La cour d’appel d’Agen confirme la condamnation du conseiller communautaire. Pour sa défense l’élu expliquait qu’au moment du vote il n’était pas sorti parce qu’il n’avait pas fait attention. Les juges soulignent notamment que :
– le règlement intérieur de la communauté de communes adopté le 9 décembre 2014 mentionne l’attitude à observer lorsque un membre du conseil communautaire est personnellement concerné par une délibération et que dans sa commune ;
– il avait déjà fait l’objet en sa qualité de maire de problématiques similaires pour des marchés publics accordés à la même entreprise en 2013 (faits pour lesquels il est aussi condamné dans cette même procédure).
Il est condamné à 10 000 euros d’amende.
Pas de complicité pour le président de la communauté de communes
En revanche, infirmant le jugement de première instance, les juges d’appel relaxent le président de la communauté de communes faisant droit à l’un des arguments soulevés par Me Philippe Bluteau :
En effet la complicité suppose un acte positif et une simple abstention ne suffit pas. Si la jurisprudence considère parfois qu’une personne qui est restée passive est complice de l’infraction, c’est à la condition qu’elle ait joué un rôle déterminant dans la commission de l’infraction. Tel est le cas par exemple du douanier qui passe un accord avec un contrebandier pour fermer les yeux lors de son passage en douane. Rien de tel en l’espèce s’agissant du président de la communauté de communes. Ce d’autant que l’absence de participation de l’élu intéressé à la délibération litigieuse n’aurait pas changé le sens du vote.
Il n’en demeure pas moins qu’il est prudent pour les chefs de l’exécutif de rappeler régulièrement aux élus intéressés leurs obligations de déport dans les affaires qui les concernent directement ou indirectement. Les collectivités peuvent utilement s’inspirer à cet égard du règlement intérieur de la HATVP : en ouverture de chaque séance, le président demande si des membres du collège estiment se trouver en conflit d’intérêts par rapport aux dossiers inscrits à l’ordre du jour. Rien n’interdit aux maires et présidents d’EPCI d’en faire de même en ouverture du conseil. Cela peut limiter le risque d’inattention et éviter bien des tracas.
Transparence et déport !Il résulte de l’article 3 de la Charte de l’élu local que « L’élu local veille à prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts. Lorsque ses intérêts personnels sont en cause dans les affaires soumises à l’organe délibérant dont il est membre, l’élu local s’engage à les faire connaître avant le débat et le vote. » - Lorsqu’un maire (il en est de même pour tous les chefs d’exécutifs locaux qu’ils soient présidents d’EPCI, d’un conseil départemental, régional…) estime se trouver dans une situation de conflit d’intérêts, il doit être suppléé par un adjoint auquel il s’abstient de donner des instructions. Le maire doit prendre un arrêté de déport mentionnant la teneur des questions pour lesquelles il estime ne pas pouvoir exercer ses compétences (propres ou déléguées par le conseil municipal) et désignant, dans les conditions prévues par la loi, la personne chargée de le suppléer. Cette possibilité de déport, introduite par la loi 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et précisée par le décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014, offre aux élus locaux un moyen pratique (l’arrêté de déport) leur permettant de prévenir les conflits d’intérêts. Mais attention : le déport ne doit pas être de pure façade. Il doit se traduire dans les faits par l’absence de toute immixtion de l’élu dans la gestion du dossier qui le concerne. - Un mécanisme similaire existe pour les adjoints (ou vice-présidents) titulaires de délégation : lorsqu’ils estiment se trouver dans une situation de conflit d’intérêts, les conseillers titulaires d’une délégation en informent le délégant (maire ou président) par écrit, précisant la teneur des questions pour lesquelles ils estiment ne pas devoir exercer leurs compétences. Le maire (ou le président) doit alors prendre un arrêté déterminant en conséquence les questions pour lesquelles la personne intéressée doit s’abstenir d’exercer ses compétences. Le mieux est d’anticiper et de ne pas attendre que le conflit d’intérêts surgisse pour le traiter. D’où l’importance en début de mandat de lister les domaines où les élus peuvent se trouver en situation de conflits d’intérêts au regard notamment de leurs activités professionnelles (ou celles de leurs proches). Les arrêtés de déport pourront être pris par anticipation. |
[1] Photos : Markus Spiske on Unsplash