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Dégâts causés dans le cadre des manifestations des gilets jaunes : l’Etat condamné

Tribunal administratif de Toulouse, 21 avril 2022 N° 1904438 & N° 1904448

Les collectivités victimes de dégradations dans le cadre du mouvement des gilets jaunes peuvent-elles rechercher la responsabilité sans faute de l’Etat ?

Oui répond le tribunal administratif de Toulouse saisi par la ville et la métropole à la suite de dégradations commises lors du mouvement des gilets jaunes. En effet il résulte de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure que "l’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens".

Pour le tribunal, les dommages subis lors de ces journées de mobilisation et résultant de délits commis, à force ouverte ou par violence, sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat s’ils ont été commis dans le prolongement immédiat des manifestations et que leurs auteurs n’étaient pas animés de la seule intention de commettre un délit sans lien direct avec la manifestation. La circonstance que les actions violentes menées lors de ces journées de mobilisation aient pu être commises de manière préméditée et organisée, à l’appel de plusieurs initiateurs, notamment via les réseaux sociaux, et à l’aide d’armes par destination dont étaient munis certains manifestants, ne suffit pas, à elle-seule, à exclure la responsabilité sans faute de l’Etat, s’il est établi que les dommages résultent, de manière directe et certaine, de délits commis à force ouverte ou par violence dans le prolongement de la manifestation et ne sont pas le fait de groupes isolés, spécifiquement constitués et organisés dans l’unique objectif de commettre une action délictuelle, sans lien avec la manifestation.

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Après des dégradations importantes commises dans le cadre de manifestations de gilets jaunes, la ville de Toulouse et Toulouse Métropole recherchent la responsabilité sans faute de l’Etat du fait des attroupements ou rassemblement. Les réclamations sont fondées sur les dispositions de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure selon lequel :

« L’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. »

La ville réclame la somme totale de 2 457 721,91 euros au titre des préjudices qu’elle estime avoir subis à raison des délits commis à l’occasion des manifestations, la métropole demandant en ce qui la concerne une somme de 1 622 714,08 euros.

La préméditation n’exclut pas la responsabilité sans faute de l’Etat

Le tribunal administratif de Toulouse considère que le critère de la préméditation ne permet pas, à lui seul, d’écarter l’engagement de la responsabilité de l’État : celle-ci doit être retenue si le délit s’est produit dans le prolongement immédiat de la manifestation et est le fait de personnes ayant participé à ce rassemblement.

« Les dommages subis lors de ces journées de mobilisation et résultant de délits commis, à force ouverte ou par violence, sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat s’ils ont été commis dans le prolongement immédiat des manifestations et que leurs auteurs n’étaient pas animés de la seule intention de commettre un délit sans lien direct avec la manifestation. Contrairement à ce que fait valoir le préfet en défense, la circonstance que les actions violentes menées lors de ces journées de mobilisation aient pu être commises de manière préméditée et organisée, à l’appel de plusieurs initiateurs, notamment via les réseaux sociaux, et à l’aide d’armes par destination dont étaient munis certains manifestants, ne suffit pas, à elle-seule, à exclure la responsabilité sans faute de l’Etat en application de l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure s’il est établi que les dommages résultent, de manière directe et certaine, de délits commis à force ouverte ou par violence dans le prolongement de la manifestation et ne sont pas le fait de groupes isolés, spécifiquement constitués et organisés dans l’unique objectif de commettre une action délictuelle, sans lien avec la manifestation. »

💥Le précédent des violences urbaines de 2005

Après les violences urbaines de 2005, plusieurs communes avaient également recherché la responsabilité sans faute de l’Etat. Seuls les dommages causés dans les heures qui avaient suivi l’annonce du décès accidentel des deux jeunes adolescents avaient été considérés comme résultant d’une action spontanée et susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat. Ainsi si le Conseil d’Etat avait retenu la responsabilité de l’Etat pour les dégradations commises à Clichy-sous-Bois sur la mairie, une école maternelle et un bâtiment municipal dans les heures qui ont suivi l’annonce du décès accidentel des deux jeunes adolescents, il l’avait en revanche écartée, pour les dommages causés dans la nuit du 28 au 29 octobre 2005, à la Maison des services publics de Montfermeil : "l’action à l’origine des dommages en cause, qui présentait un caractère prémédité et organisé, ne pouvait être regardée comme ayant été commise de manière spontanée" (Conseil d’État, 11 juillet 2011, N° 331669 et N° 331665).

Seuls les préjudices présentant un caractère direct et certain peuvent être indemnisés

Tous les postes de préjudices invoqués par la ville et la métropole ne peuvent être indemnisés. Pour chaque poste de préjudice invoqué, le tribunal apprécie le caractère direct et certain du lien entre les délits commis à l’occasion des manifestations des « gilets jaunes » et les dommages ou manques à gagner allégués.

C’est ainsi que le tribunal estime qu’il existe un lien direct et certain pour les dégradations commises sur les horodateurs situés en centre-ville, appartenant à la commune de Toulouse. En effet ceux-ci se situaient sur le parcours du cortège et devenaient le support de messages revendicatifs exprimés par les manifestants.

Il en est de même pour les dégradations sur le mobilier urbain et sur les chaussées et trottoirs que la métropole entretient ou encore pour les frais de nettoyage de multiples tags et graffitis et enlèvements d’affiches sauvages qui ont mobilisé chaque week-end entre le 17 novembre 2018 et le mois de juin 2019 des moyens excédant les charges qui résultent habituellement de l’exercice de cette compétence.

En revanche le tribunal écarte tout lien direct et certain d’autres postes de préjudice invoqués par la ville et la métropole. Tel est notamment jugé le cas pour :
 la perte de recettes qui serait liée à la mise hors service des horodateurs de la commune, le tribunal soulignant qu’il appartient aux usagers de rechercher un dispositif en état de fonctionnement à proximité dans un tel cas ;
 de la charge supplémentaire liée à la mobilisation accrue de nombreux agents de police municipale afin d’assurer des missions de protection de la population relevant de la compétence des services de police nationale ;
 le surcoût invoqué au titre de la mobilisation accrue des agents placiers au regard de la mobilisation, chaque samedi pendant plusieurs mois, d’un nombre important de manifestants en centre-ville qui a provoqué des troubles substantiels dans le fonctionnement des marchés alimentaires de plein vent, marchés couverts ou encore du marché de Noël ;
 l’indemnisation des dégradations commises sur les caméras de vidéo-protection, ces dégradations ayant pu être commises par des éléments extérieurs à la manifestation ;
 l’indemnisation de l’annulation de la « fête de la Violette » par la commune qui résulte de la seule reconduite hebdomadaire des mobilisations ;
 la perte de redevances liée à la baisse de la fréquentation des parkings du centre-ville demandée par Toulouse Métropole.

Au final l’Etat est condamné à indemniser la commune à hauteur de 559 794 euros et la métropole à hauteur de 648 960 euros.

Tribunal administratif de Toulouse, 21 avril 2022 N° 1904438 & N° 1904448

[1Photo : Amber Kipp sur Unsplash