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Accident causé par la divagation d’une vache sur la voie publique : la commune responsable ?

Conseil d’Etat, 10 novembre 2021 : N°439350

Accident de la circulation causé par une vache errante : la responsabilité d’une commune peut-elle être retenue bien qu’un lieu de dépôt pour le bétail divagant ait été aménagé ?

Oui répond le Conseil d’Etat dès lors qu’au titre de son pouvoir de police générale le maire est compétent pour lutter et prendre des mesures efficaces contre la divagation des animaux. Un maire qui n’exerce pas son pouvoir de police, ou dont les mesures prises sont insuffisantes pour mettre fin à la divagation d’animaux errants peut engager la responsabilité de la commune. Il ne suffit pas de disposer d’un lieu de dépôt du bétail, encore faut-il que les animaux y soient effectivement conduits lorsque des divagations sont constatées. Pas toujours facile en pratique... et parfois même périlleux soulignent les élus ruraux confrontés au problème. Bientôt le recrutement de cowboys communaux équipés de lassos ?

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Suite à un accident de la circulation causé par la divagation d’une vache sur la voie publique, un automobiliste demande au juge administratif de condamner une commune située en Haute-Corse [2] en raison d’une faute du maire dans l’exercice de son pouvoir de police.

Le tribunal administratif de Bastia rejette sa requête estimant que le maire de la commune n’avait commis aucune faute. Le juge souligne en effet que la commune ne comporte ni éleveur ni troupeau sur son territoire et qu’elle a aménagé en 2010 un lieu de dépôt pour le bétail divagant.

Insuffisant pour écarter toute responsabilité de la commune répond le Conseil d’Etat : l’inaction du maire pour éviter le danger provoqué par la divagation d’animaux sur la voie publique est susceptible d’engager la responsabilité de la commune. En conséquence, le jugement est annulé et l’affaire renvoyée au tribunal administratif de Bastia.

Animaux errants : les pouvoirs du maire

Sont considérés comme étant en état de divagation, les animaux errants sans détenteur, ou dont le détenteur refuse de se faire connaître, trouvés pacageant sur des terrains appartenant à autrui, sur les accotements ou dépendances des routes, canaux, chemins ou sur des terrains communaux (Article L.211-20 du code rural et de la pêche maritime).

Certes, l’article 1243 du code civil fait peser sur le propriétaire de l’animal une présomption de responsabilité. Le propriétaire est de fait tenu de prendre les mesures nécessaires afin d’éviter tout risque de divagation. Il est ainsi interdit "de laisser divaguer les animaux domestiques et les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité" (Article L.211-19-1 du code rural et de la pêche maritime).

Mais, le Conseil d’Etat rappelle que le maire, au titre de son pouvoir de police générale est tenu d’intervenir en cas de divagation d’animaux, le cas échéant, la responsabilité de la collectivité peut être recherchée pour faute dans l’exercice des pouvoirs de police :

« La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : Le soin d’obvier ou de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces » (article L.2212-2 7° du Code général des collectivités territoriales).

Cet article autorise le maire à organiser le dépôt, dans un lieu désigné, du bétail en état de divagation.

💥 - Aux termes de l’article L.211-20 du code rural et de la pêche maritime, le maire doit désigner un lieu de dépôt où seront conduits les animaux errants trouvés pacageants sur des terrains appartenant à autrui, sur les accotements ou dépendances des routes, canaux, chemins ou sur des terrains communaux. Le propriétaire lésé, ou son représentant, a le droit de les conduire ou de les faire conduire immédiatement au lieu de dépôt désigné par l’autorité municipale. Le maire donne avis au propriétaire ou au détenteur des animaux des dispositions mises en œuvre. Si les animaux ne sont pas réclamés, ils sont considérés comme abandonnés et le maire fait procéder soit à leur euthanasie, soit à leur vente conformément aux dispositions de l’article L. 211-1, soit à leur cession, à titre gratuit, à une fondation ou à une association de protection animale reconnue d’utilité publique ou déclarée. Les frais résultant de l’ensemble des mesures prises sont mis à la charge du propriétaire ou du détenteur des animaux. Si le propriétaire ou le détenteur des animaux demeure inconnu, le maire autorise le gestionnaire du lieu de dépôt à prendre l’une des mesures énumérées ci-dessus.

- L’état de divagation de bovins sur la voie publique constitue un danger grave et immédiat pour la sécurité publique et en particulier la circulation des véhicules, au sens des dispositions du II de l’article L. 211-11 du code rural et de la pêche maritime, justifiant dès lors que ces animaux en divagation soient placés sans délai dans un lieu de dépôt adapté à leur garde.

Au cas présent, la commune avait bien aménagé un lieu de dépôt pour le bétail divagant, mais ce lieu n’a pas été utilisé d’une manière effective. De plus, le maire n’a pris aucune autre mesure pour remédier au danger provoqué par la divagation d’animaux sur les voies de circulation de la commune alors que trois accidents de la circulation ont été provoqués, en quinze jours, par la divagation d’animaux.
Ces carences sont donc susceptibles d’engager la responsabilité de la commune.

Et pour les chiens et chats errants ?


L’article L211-24 du code rural (version en vigueur depuis le 22 octobre 2021, modifié par Ordonnance n°2021-1370 du 20 octobre 2021) dispose que :

« Chaque commune doit disposer soit d’une fourrière communale apte à l’accueil et à la garde des chiens et chats trouvés errants ou en état de divagation jusqu’au terme des délais fixés aux articles L. 211-25 et L. 211-26, soit du service d’une fourrière établie sur le territoire d’une autre commune, avec l’accord de cette commune.

Chaque fourrière doit avoir une capacité adaptée aux besoins de chacune des communes pour lesquelles elle assure le service d’accueil des animaux en application du présent code. La capacité de chaque fourrière est constatée par arrêté du maire de la commune où elle est installée.

La surveillance dans la fourrière des maladies mentionnées à l’article L. 221-1 est assurée par un vétérinaire sanitaire désigné par le gestionnaire de la fourrière, dans les conditions prévues par la section 1 du chapitre III du titre préliminaire.

Les animaux ne peuvent être restitués à leur propriétaire qu’après paiement des frais de fourrière. En cas de non-paiement, le propriétaire est passible d’une amende forfaitaire dont les modalités sont définies par décret. »

Edicter ne suffit pas, il faut aussi appliquer et faire respecter la mesure de police

Cet arrêt permet ainsi de rappeler que l’édiction de mesures réglementaires interdisant la divagation d’animaux ne suffit pas, le maire doit également engager des démarches pour tenter d’assurer le respect effectif de cette interdiction (comme pour toute mesure de police), « nonobstant, le fait que la commune ne comporte ni éleveur, ni troupeau sur son territoire » précise le Conseil d’Etat dans cet arrêt.

De fait le Conseil d’Etat avait déjà jugé que le maire ne pouvait se contenter d’interdire la divagation d’animaux sans engager aucune démarche pour assurer le respect de cette interdiction par des mesures telles que le dépôt du bétail dans un lieu désigné. Dans cette affaire, les troubles persistaient depuis de nombreuses années (CE, 25 juillet 2007 : N°293882).

Il reste qu’en pratique il est loin d’être toujours évident d’attraper en sécurité les animaux qui divaguent pour pouvoir les conduire dans un lieu adapté. Cela peut même se révéler dans certains cas très périlleux ! Les élus ruraux confrontés à cette problématique en savent quelque chose.

Rappelons en outre que le maire ne peut faire procéder en urgence à l’euthanasie de l’animal uniquement en cas de danger grave et imminent et après avis d’un vétérinaire désigné par le préfet établissant que l’animal représente par lui-même un danger. Si ces conditions ne sont pas réunies et si le propriétaire ne présente pas toutes les garanties quant à l’application des mesures prescrites, le maire ne peut ordonner l’euthanasie de l’animal, après avoir ordonné son placement, qu’ à l’issue d’un délai franc de garde de huit jours ouvrés. Et là aussi l’euthanasie de l’animal ne peut intervenir qu’après avis d’un vétérinaire désigné par le préfet. A défaut de respecter cette procédure, le maire engage la responsabilité de la commune (Cour administrative d’appel de Nantes, 4 janvier 2019, N° 18NT000696).

💥La responsabilité de la commune pour défaillance dans l’exercice du pouvoir de police n’exonère en rien la responsabilité du propriétaire de l’animal. La chambre criminelle a ainsi jugé que se rend coupable de mise en danger délibérée de la vie d’autrui l’éleveur qui s’obstine à laisser divaguer ses animaux sur la voie publique mettant ainsi consciemment en péril l’intégrité physique des usagers de la route. Un éleveur qui refuse d’entretenir correctement ses clôtures, s’expose non seulement à des peines d’emprisonnement et d’amende mais également à une peine d’interdiction définitive d’exercer sa profession (Cour de cassation, chambre criminelle, 26 septembre 2007 N° 06-88803).

Conseil d’Etat, 10 novembre 2021 : N°439350

[1Photo : Taylor Brandon sur Unsplash

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