Le portail juridique des risques
de la vie territoriale & associative
Glen Carrie sur Unsplash

Délibérations accordant la protection fonctionnelle au maire et à quatre de ses prédécesseurs : un vote unique peut suffire

Conseil d’Etat, 5 juillet 2021, n° 433537

Glen Carrie sur Unsplash

Le conseil municipal peut-il, par un vote unique, adopter plusieurs projets de délibérations accordant la protection fonctionnelle au maire en exercice et à ses quatre prédécesseurs (!) dans le cadre d’une action pour discrimination intentée devant le juge civil par un conseiller d’opposition ?

 
Oui, le Conseil d’Etat admet la régularité d’un vote unique si deux conditions sont réunies :
 les délibérations ont le même objet ;
 aucun conseiller n’a demandé à ce que le conseil municipal se prononce séparément sur chaque projet de délibération. 

Ces deux conditions étaient remplies au cas présent puisque les délibérations portaient sur un même objet à savoir l’octroi de la protection fonctionnelle à cinq élus et aucun conseiller n’avait émis le souhait d’un vote séparé sur chaque délibération. 

En revanche, si ces conditions ne sont pas réunies, le conseil municipal doit se prononcer par un vote formel (ou donner son assentiment) sur chaque projet de délibération. 

Cet arrêt est riche de plusieurs enseignements et permet également de rappeler le périmètre de la protection fonctionnelle.

 

En 2015, un conseiller municipal d’une commune de l’Ain (moins de 1500 habitants) assigne devant le Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse la maire en exercice ainsi que quatre anciens maires de cette commune pour des faits « d’entraves discriminatoires ».

 

Par cinq délibérations du 30 janvier 2015, le conseil municipal de la commune leur octroie la protection fonctionnelle et décide de prendre en charge les honoraires de leur avocat.

 

Contestant leur légalité, le conseiller municipal attaque ces délibérations devant le juge administratif. Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel rejettent sa requête, rejet confirmé par le Conseil d’Etat.

Régularité d’un vote unique concernant plusieurs délibérations

Les cinq délibérations attaquées octroyant la protection fonctionnelle ont fait l’objet d’un vote unique.
Or selon le conseiller municipal, ce vote entachait d’irrégularité les délibérations : d’une part, le conseil municipal ne pouvait pas, sans porter atteinte aux droits des élus, décider d’accorder la protection de la commune à cinq élus différents au cours d’une même séance, d’autre part, les cinq délibérations ne pouvaient pas faire l’objet d’un vote unique.

 

La Haute juridiction balaie cet argument.

 

Aux termes de l’article L.2121-20 du code général des collectivités territoriales « Les délibérations sont prises à la majorité absolue des suffrages exprimés ».


En principe, le conseil municipal doit se prononcer par un vote formel (ou donner son assentiment) sur chaque projet de délibération.

 

Toutefois, le Conseil d’Etat précise que les délibérations portant sur un objet commun peuvent faire l’objet d’un vote unique si aucun conseiller municipal n’a demandé que l’assemblée locale se prononce séparément sur chaque projet de délibération.

 

En l’espèce, les cinq délibérations avaient un objet commun (la protection fonctionnelle) et aucun conseiller municipal ne s’était opposé à ce vote unique. Par conséquent, les délibérations n’ont pas été irrégulièrement adoptées.

 
Les élus intéressés ne doivent ni participer au vote, ni aux débats concernant la protection fonctionnelle sous peine de s’exposer à des poursuites pour prise illégale d’intérêts. Pour un exemple voir notre article Quand l’octroi de la protection fonctionnelle à un élu devient délictuel et caractérise une faute personnelle .

Périmètre de la protection fonctionnelle

La protection fonctionnelle que la collectivité publique est tenue d’accorder aux exécutifs locaux est prévue par le code général des collectivités territoriales aux articles L.2123-34 et 35 (communes), L.3123-28 et 29 (départements) et L.4135-28 et 29 (régions).

 

Aux termes de l’article L.2123-34, la commune est tenue d’accorder sa protection au maire, à l’élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions en cas de poursuites pénales (à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions).

 

La commune est également tenue de protéger le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation contre les violences, menaces ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion ou du fait de leurs fonctions selon les dispositions de l’article L.2123-35.

 

En l’espèce, les élus ont été assignés devant les juridictions civiles et le conseiller municipal auteur du recours soutenait que l’octroi de la protection fonctionnelle aux élus ne concernait que les procédures pénales et non, comme en l’espèce, les procédures civiles engagées contre eux.

La protection fonctionnelle s’étend-elle aux actions civiles et les frais d’instance entrent-ils dans le périmètre de cette protection ?

Le Conseil d’Etat a déjà été amené à préciser qu’il incombe à la collectivité publique de couvrir les condamnations civiles prononcées contre l’agent public, « dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable » et que cette protection « s’applique à tous les agents publics, quel que soit le mode d’accès à leurs fonctions » [1].

 

De plus, la protection s’étend également à la prise en charge de l’ensemble des frais de l’instance civile rappelle le Conseil d’Etat dans son arrêt du 5 juillet 2021. En effet, cette précision avait déjà été apportée par un arrêt du 8 juillet 2020 qui concernait les mêmes faits [2].

 
 Lorsqu’un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de lui accorder sa protection dans le cadre d’une instance civile non seulement en le couvrant des condamnations civiles prononcées contre lui mais aussi en prenant en charge l’ensemble des frais de cette instance, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable ».

La protection fonctionnelle couvre donc les frais de l’instance au civil. Cette clarification du principe général du droit à la protection fonctionnelle concerne tant les élus locaux que les agents publics :

 
 Cette protection s’applique à tous les agents publics, quel que soit le mode d’accès à leurs fonctions ».

Pas d’obligation de faire une demande écrite

Contrairement à ce que soutenait le requérant, une demande écrite formelle de la part des élus n’était pas nécessaire pour que la commune décide d’accorder légalement sa protection.

 C’est sans commettre d’erreur de droit que le président de la 3ème chambre de la cour administrative d’appel a jugé que la commune pouvait légalement accorder sa protection sans qu’une demande écrite formalisée lui soit adressée par les bénéficiaires ». 

 

Droit à information des conseillers

Le code général des collectivités territoriales reconnaît aux membres du conseil municipal le droit d’être informé des affaires de la commune qui font l’objet d’une délibération (Article L.2121-13).

 

Ce droit à information se caractérise dans les communes de 3500 habitants et plus par l’envoi d’une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération, avant la tenue du conseil municipal. Ainsi l’article L2121-12 du code général des collectivités territoriales dispose :

 
 Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal ».
 

Au cas présent, l’obligation de communiquer une note de synthèse explicative ne s’appliquait pas puisque la commune ne compte qu’un peu plus de 1200 habitants.


De plus, aucun conseiller municipal n’avait pas fait valoir son droit à être informé plus précisément des sujets qui figuraient dans l’ordre du jour de la convocation du conseil municipal.
L’argument tenant à l’insuffisante information des membres du conseil municipal développé par le requérant est donc écarté.

 

Le conseiller municipal auteur du recours est condamné à payer 3500 euros à la commune au titre des frais exposés non compris dans les dépens (article L.761-1 du code de justice administrative).

 

[1CE, 8 juin 2011 : n°312700

[2CE, 8 juillet 2020 : n°427002