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Campagne électorale : pas d’attaques sur la probité des adversaires politiques sans un minimum d’éléments factuels

Cour de cassation, Chambre criminelle, 15 octobre 2019, N° 18-85073 et N° 18-83255

La polémique politique permet-elle de mettre en doute gratuitement l’honnêteté d’un adversaire si les propos contribuent à un débat d’intérêt général sur l’éthique des élus locaux ?

 [1]

Non : les accusations portées doivent reposer sur une base factuelle suffisante. En effet, même des propos qui contribuent à un débat d’intérêt général sur l’éthique des élus locaux doivent reposer sur un minimum d’éléments factuels pour ne pas excéder les limites admissibles de la liberté d’expression. Est ainsi confirmée la condamnation pour diffamation d’un adjoint en sa qualité de directeur de la publication pour avoir publié un article dans le journal municipal dans lequel il insinuait gratuitement que la fille de l’ancien maire, aujourd’hui dans l’opposition, avait bénéficié d’un emploi de complaisance à la mairie. Or des vérifications élémentaires lui auraient permis de constater que tel n’était pas le cas puisque l’intéressée était auxiliaire de vie scolaire (AVS) au sein d’un collège. Pour autant les élus et les citoyens ne sont pas des professionnels de l’information et ne sont pas tenus aux mêmes exigences déontologiques qu’un journaliste. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans un second arrêt où elle annule la condamnation d’un opposant à un maire qui avait dénoncé des augmentations illégales de loyers d’une maison de retraite gérée par le CCAS. Les juges d’appel avaient écarté la bonne foi de l’opposant en soulignant l’absence de recherche sérieuse étayant ses accusations. La Cour de cassation casse l’arrêt estimant que les juges d’appel auraient dû précisément analyser les pièces produites par le prévenu, en les confrontant à celles produites par le maire, avant d’écarter sa bonne foi.

En réaction à une tribune de l’opposition publiée dans le journal municipal, un adjoint à la communication dénonce dans un article le fait que la fille de l’ancien maire (depuis dans l’opposition) ait été recrutée dans une commune voisine aussitôt après la défaite de son père aux municipales.

Il est poursuivi pour diffamation publique en sa qualité de directeur de la publication. En effet l’intéressée n’était pas employée par la mairie mais par l’Éducation nationale, exerçant la profession d’auxiliaire de vie scolaire au sein d’un collège.

Condamné l’élu se pourvoit en cassation en objectant :

- qu’il n’a imputé à la plaignante, même par insinuation, aucun fait précis susceptible de faire l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire ;

- que c’est par pure extrapolation que les juges avaient déduit que cette phrase sous-entendait que l’intéressée avait obtenu un emploi public grâce aux anciennes fonctions et aux relations de son père et non pas en raison de ses compétences.

La Cour de cassation rejette le pourvoi estimant que la cour d’appel a conclu à bon droit que la phrase renfermait bien l’imputation, par insinuation, d’un fait précis contraire à l’honneur ou à la considération de la partie civile.

Deux conditions requises pour établir la bonne foi : un débat d’intérêt général ET une base factuelle suffisante

Pour s’exonérer de sa responsabilité les personnes poursuivies pour diffamation peuvent invoquer deux types de moyen :

1° rapporter la preuve de la vérité des faits dénoncés ;

2° établir leur bonne foi en invoquant l’existence d’un débat d’intérêt général et l’existence d’une base factuelle suffisante à leurs accusations.

En l’espèce la preuve de la vérité des accusations ne pouvait être rapportée puisque la fille de l’ancien maire n’avait pas été recrutée par la municipalité comme l’avait indiqué l’élu. Il ne restait donc que la bonne foi comme cause possible d’exonération. En l’espèce la Cour de cassation approuve les juges d’appel d’avoir écarté ce moyen. En effet en sa qualité d’élu local, il pouvait sans difficulté se renseigner sur la nature de l’activité professionnelle de la plaignante, qui exerçait ses fonctions dans une commune proche.

La Cour de cassation conclut :

« qu’en l’état de ces énonciations, dont il résulte que les propos, quoique contribuant à un débat d’intérêt général sur l’éthique des élus locaux et l’équité dans l’accès aux emplois publics, ne reposaient pas sur une base factuelle suffisante, de sorte qu’ils excédaient les limites admissibles de la liberté d’expression, la cour d’appel n’a méconnu aucune des dispositions législatives ou conventionnelles invoquées ».

Précisons néanmoins qu’il n’est pas attendu des élus et des citoyens le même devoir de vérification que pour un journaliste. Ainsi dans un arrêt rendu le même jour (N° de pourvoi : 18-83255), la Cour de cassation annule la condamnation d’un opposant qui avait porté des accusations contre un maire en sa qualité de président du CCAS gérant un EHPAD et qui avait dénoncé des augmentations de loyer sur un ton très polémique ("le maire prend chaque mois totalement illégalement 50 euros aux personnes âgées qu’il est supposé assister" ; "L’origine de cet impôt illégal"). Les juges d’appel avaient écarté la bonne foi du prévenu en soulignant l’absence de recherche sérieuse tenant à la nature de la convention d’occupation liant les pensionnaires de la résidence pour personnes âgées et le CCAS, à l’évolution législative et réglementaire affectant cette matière, aux obligations incombant aux personnes morales de droit public et aux collectivités territoriales n’a manifestement été menée.

La Cour de cassation relève :

1° que le "texte litigieux participait d’un débat d’intérêt général relatif à l’exercice par le maire de ses responsabilités dans la gestion d’une résidence pour personnes âgées" ;

2° que "le prévenu, qui n’est pas un professionnel de l’information, n’était pas tenu aux mêmes exigences déontologiques qu’un journaliste". Ainsi, la cour d’appel aurait dû analyser précisément les pièces produites par le prévenu au soutien de l’exception de bonne foi, et les confronter à celles produites par le maire, pour vérifier si les accusations portaient reposaient, ou non, sur une base factuelle suffisante.

Même en période électorale tous les coups ne sont pas permis

Si le contexte électoral peut justifier une plus grande largesse dans l’expression, il n’en demeure pas moins que les accusations portées doivent s’inscrirent dans un débat d’intérêt général et reposer sur des bases factuelles suffisantes. La Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité d’un candidat qui avait publié un tract accusant un maire de népotisme en faveur de ses proches. Pour sa défense le prévenu invoquait sa bonne foi, appréciée à l’aune du contexte de polémique politique de la campagne électorale. Les juges reconnaissent que le sujet relève bien d’un intérêt général dans un contexte de campagne électorale mais soulignent que les propos étaient dépourvus d’une base factuelle suffisante en l’absence d’éléments factuels accréditant les accusations portées (Cass. crim. 20 octobre 2015, N° 14-82587).

Dans une autre affaire jugée en 2017, la Cour de cassation a en revanche retenu la bonne foi d’un candidat ayant accusé le maire sortant de pratiques douteuses dans l’attribution de marchés publics. Si les juges soulignent que les propos incriminés, sont attentatoires à l’honneur du maire, en ce qu’ils sous entendent la commission de délits, ils retiennent néanmoins la bonne foi de l’auteur du tract dès lors que l’accusation portée repose sur des bases factuelles suffisantes, les propos litigieux se fondant sur un rapport de la chambre régionale des comptes, qui a listé des irrégularités commises par la ville dans la gestion des marchés publics, dont certaines ont remis en cause l’égalité de traitement des candidats, et qui ont exposé la commune à de réels risques juridiques et contentieux. Ainsi « les propos incriminés s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général et reposaient sur une base factuelle suffisante dans un contexte de polémique politique opposant deux candidats à des élections municipales » (Cass. crim. 7 février 2017, N° 15-86343).

Responsabilité civile personnelle

Dans le premier arrêt (N° 18-85073) la Cour de cassation approuve enfin les juges d’appel d’avoir retenu leur compétence pour condamner l’adjoint au paiement de dommages-intérêts. En effet pour rejeter l’exception d’incompétence de la juridiction judiciaire pour statuer sur les intérêts civils, les juges d’appel soulignent que le prévenu était l’auteur de la phrase incriminée, qui contient une imputation fausse, ce qu’il ne pouvait ignorer, de sorte qu’il a agi avec une volonté de nuire et a commis une faute détachable du service.

Ainsi « la cour d’appel a retenu à bon droit sa compétence pour statuer sur l’action civile en l’état d’agissements fautifs du prévenu détachables du service qui lui incombait en qualité d’adjoint à la communication. »

L’élu est condamné à 100 euros d’amende et à dédommager, sur ses deniers personnels, la partie civile.

Cour de cassation, Chambre criminelle, 15 octobre 2019, N° 18-85073

(1er arrêt)

Cour de cassation, Chambre criminelle, 15 octobre 2019, 18-83255

(2ème arrêt)

[1Photo : Robert V. Ruggiero sur Unsplash