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La médiation dans le contentieux de la fonction publique : à consommer sans modération mais avec homologation

Tribunal administratif de Lyon, 3 avril 2019, n°1704535

Le juge peut-il homologuer un accord issu d’une médiation (ici dans le cadre d’un contentieux relatif à une mise à disponibilité d’office) pour le sécuriser juridiquement et lui donner force exécutoire ?

 [1]

Oui répond le tribunal administratif de Lyon estimant que « les parties peuvent demander l’homologation en justice de tout accord issu d’une médiation engagée avant l’introduction d’une instance ou en cours d’instance, réglant à l’amiable leurs différends afin de lui conférer force exécutoire ». Y compris lorsque l’accord ne s’est pas traduit par la signature d’une transaction. Le juge doit simplement vérifier que les parties consentent effectivement à cet accord et qu’il ne méconnaît pas les règles d’ordre public, dont celle relative à l’interdiction de porter atteinte aux droits dont elles n’ont pas la libre disposition. Ce n’est que lorsque l’accord présente le caractère d’une transaction que le juge doit en plus vérifier qu’il contient des concessions réciproques et équilibrées. Est ainsi homologué un accord soldant une médiation intervenue en cours de procédure entre un agent placé en disponibilité d’office et sa collectivité, celle-ci ayant accepté de l’affecter sur un poste compatible avec les restrictions imposées par son étant de santé, l’agent s’engageant de son côté à se désister de son action en justice.

Un agent communal est placé en congé de maladie ordinaire à mi-traitement en raison d’une discopathie sévère. Il est finalement placé en disponibilité d’office. Il conteste cette décision devant le juge administratif, faute d’avoir été invité à formuler une demande de reclassement.

A la demande de l’agent une procédure de médiation est engagée en cours de procédure. Un accord est trouvé sur le principe d’une reprise de fonctions de l’intéressé avec un aménagement de son poste compatible avec les restrictions imposées par son étant de santé : l’agent est affecté au service entretien et propreté des bâtiments scolaires après avis favorable rendu par le comité médical. L’agent s’engage de son côté à se désister de son recours pour excès de pouvoir introduit devant le tribunal administratif.

Pour donner force exécutoire à l’accord trouvé la commune et l’agent demandent au tribunal une homologation cet accord. La signature d’une transaction, encadrée par les dispositions des articles 2044 et suivants du code civil, aurait pu répondre à cet impératif puisque les transactions ont entre les parties l’autorité de la chose jugée, comme si le juge avait lui même tranché le litige. Une transaction n’a pas besoin d’être homologuée par le juge pour recevoir force exécutoire, même si les parties peuvent en faire la demande au juge.

Une question nouvelle...

De fait si le juge administratif peut homologuer une transaction y compris en dehors de toute instance juridictionnelle [2] la question de savoir si le juge administratif peut homologuer un accord qui n’a pas fait l’objet d’une transaction est nouvelle.

En effet la loi de modernisation de la justice n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a réformé en profondeur les modes alternatifs de règlement des litiges [3] et a introduit dans le code de justice administrative un article L231-4 aux termes duquel « saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut, dans tous les cas où un processus de médiation a été engagé en application du présent chapitre, homologuer et donner force exécutoire à l’accord issu de la médiation. »

La question s’est posée de savoir si ces nouvelles dispositions pouvaient conduire le juge à homologuer un accord qui n’a pas formellement fait l’objet d’une transaction.

Le tribunal administratif de Strasbourg [4] a répondu par la négative en acceptant d’homologuer des accords qui lui étaient présentés mais en considérant qu’il s’agissait de transactions à part entière et qu’il ne pouvait en être autrement.

Le tribunal administratif de Poitiers [5] s’est montré plus souple en acceptant d’homologuer un accord sans le qualifier expressément de transaction. De fait dans ses conclusions le rapporteur public avait estimé que l’accord issu de la médiation ne se confondait pas nécessairement avec la transaction.

...aux fortes incidences

L’enjeu est loin d’être neutre. Car une transaction suppose nécessairement des concessions réciproques de la part de chacune des parties. Un engagement unilatéral de l’une des parties serait sanctionné par le juge par un refus d’homologation.

Suivant les conclusions d’Elisabeth de Lacoste Larreymondie, rapporteur public [6], le tribunal administratif de Lyon estime que « les parties peuvent demander l’homologation de tout accord issu d’une médiation engagée avant l’introduction d’une instance ou en cours d’instance, réglant à l’amiable leurs différends afin de lui conférer force exécutoire. »

Et les juges de poursuivre :

« Il appartient alors au juge de vérifier que les parties consentent effectivement à cet accord et qu’il ne méconnaît pas les règles d’ordre public, dont celle relative à l’interdiction de porter atteinte aux droits dont elles n’ont pas la libre disposition. Lorsque l’accord présente le caractère d’une transaction au sens du code civil et du code des relations entre le public et l’administration, il appartient en outre au juge de vérifier qu’il contient des concessions réciproques et équilibrées ».

Autant dire que le contrôle du juge est moins strict pour un accord issu d’une médiation lorsqu’il ne se traduit pas par la signature d’une transaction. Tout n’est pas possible pour autant : outre le nécessaire respect des dispositions d’ordre public, la collectivité ne peut pas en aucun cas accorder de libéralités et de cadeaux à la partie adverse [7].

Cet exemple démontre tout l’intérêt que les collectivités peuvent avoir à rechercher une médiation, notamment dans le cadre des litiges avec les agents [8]. Rappelons à ce titre qu’un décret du 16 février 2018 a instauré, à titre expérimental, une procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique et que rien n’interdit aux collectivités qui ne font pas partie du périmètre de l’expérimentation [9] de chercher à privilégier la voie de la médiation.

Tribunal administratif de Lyon, 3 avril 2019, n°1704535 (extraits - source : Lettre de jurisprudence du tribunal administratif de Lyon)

[1Photo : © Cytonn photography sur Unsplash

[2

Le Conseil d’Etat - avis d’assemblée du 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du second degré de L’Hay-les-Roses - a admis la recevabilité d’une demande d’homologation présentée au juge administratif, y compris en dehors de toute instance juridictionnelle, « dans l’intérêt général, lorsque la conclusion d’une transaction vise à remédier à une situation telle que celle créée par une annulation ou la constatation d’une illégalité qui ne peuvent donner lieu à régularisation ou lorsque son exécution se heurte à des difficultés particulières ».

[3

La médiation est désormais définie, dans le code de justice administrative (CJA) « comme tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction. »

La médiation est soumise au principe de confidentialité. De fait les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance juridictionnelle ou arbitrale sans l’accord des parties. Deux exceptions à ce principe sont prévues par le CJA :

- s’il existe des raisons impérieuses d’ordre public ou des motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne ;

- lorsque la révélation de l’existence ou la divulgation du contenu de l’accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en œuvre.

[4

TA Strasbourg, 1er décembre 2017, N° 1704860 / TA Strasbourg 31 août 2018, N°170831

[5

TA Poitiers, 12 juillet 2018, N° 1701757

[6

Publiées à l’AJDA du 24 juin 2019 n°22 p.1296. A noter que la date du jugement indiquée par l’AJDA (27 mars 2019) n’est pas la même que celle indiquée dans la lettre du tribunal administratif de Lyon (3 avril 2019)

[7

ex : dédommager une victime alors que les conditions de mise en jeu de sa responsabilité ne sont pas réunies ou alors que la créance est prescrite

[8

Attention cependant : dans le cadre d’une transaction le conseil municipal doit autoriser le maire à transiger et être consulté sur les points essentiels du contrat : « lorsqu’il entend autoriser le maire à conclure une transaction, le conseil municipal doit, sauf à méconnaître l’étendue de sa compétence, se prononcer sur tous les éléments essentiels du contrat à intervenir, au nombre desquels figurent notamment la contestation précise que la transaction a pour objet de prévenir ou de terminer et les concessions réciproques que les parties se consentent à cette fin » (Conseil d’Etat, 11 septembre 2006, N° 255273).

De fait la transaction ne peut pas inclure de clause de confidentialité sur les éléments essentiels de la transaction, une telle clause étant en effet incompatible avec les règles de fonctionnement des collectivités et entraverait l’exercice du contrôle de la légalité (Réponse du 11 avril 2013 à la question écrite n° 04464 de M. Jean Louis Masson).

Quid en cas d’accord qui ne se traduit pas par la signature d’une transaction mais dans un domaine de compétence soumis à l’accord et au contrôle du conseil municipal ? Si, à la différence de la transaction, l’accord de médiation n’est pas visé par le 7° de l’article L2122-21 du code général des collectivités territoriales relatif aux attributions du maire exercées au nom de la commune, il serait très périlleux d’en tirer argument pour déposséder le conseil municipal de ses prérogatives. De fait, parmi les exceptions au principe de confidentialité, le code de justice administrative prévoit l’hypothèse où la divulgation du contenu de l’accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en œuvre. Le respect des attributions du conseil municipal peut donc conduire, selon la nature du litige, à lever la confidentialité attachée à la médiation.

[9

Pour les fonctionnaires territoriaux, seuls sont concernés les agents des collectivités et établissements publics territoriaux situés dans les départements suivants : Aisne, Aude, Aveyron, Bas-Rhin, Charente-Maritime, Côtes d’Armor, Drôme, Essonne, Eure, Finistère, Gard, Gironde, Guadeloupe, Guyane, Haute-Loire, Hautes-Pyrénées, Haute-Saône, Haute-Savoie, Hauts-de-Seine, Ille-et-Vilaine, Indre-et-Loire, Isère, Landes, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Manche, Martinique, Meurthe-et-Moselle, Moselle, Nord, Pas-de-Calais, Puy-de-Dôme, Pyrénées-Atlantiques, Pyrénées-Orientales, Rhône, Saône-et-Loire, Savoie, Seine-Maritime, Seine-Saint-Denis, Tarn, Val-de-Marne, Val-d’Oise, Vendée, Vienne, Yonne, Yvelines.