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Dernières précisions du Conseil d’Etat sur la candidature d’une personne publique à un marché public

Conseil d’État, 14 juin 2019, N°411444

Une collectivité peut-elle soumissionner à un marché public lancé par une autre personne publique alors même que l’équipement utilisé est déjà comptablement amorti ?

 [1]

Oui : les collectivités territoriales peuvent se porter candidates à un marché public lorsque cette activité répond à un intérêt public local. Tel peut-être le cas si le but est notamment d’amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d’assurer son équilibre financier. L’amortissement ne doit pas s’entendre dans un sens précisément comptable, mais plus largement comme traduisant l’intérêt qui s’attache à l’augmentation du taux d’utilisation des équipements de la collectivité, dès lors que ces derniers ne sont pas surdimensionnés par rapport à ses propres besoins. Deux autres conditions doivent être remplies :

 la candidature ne doit pas compromettre l’exercice de la mission de service public ;
 la candidature ne doit pas fausser les conditions de la concurrence (le prix proposé par la collectivité territoriale doit être déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à sa formation).

Un département lance un appel d’offre relatif au dragage de l’estuaire d’un fleuve. Le marché est attribué à un département voisin.

Un candidat évincé conteste la décision de la commission d’appel d’offres, objectant qu’une collectivité territoriale ne pouvait ainsi légalement déposer une offre dans le cadre d’un marché public exécuté en dehors de ses limites territoriales sans se prévaloir d’un intérêt public local. L’entreprise requérante est déboutée en première instance et en appel.

Le Conseil d’État, dans son arrêt du 30 décembre 2014, N° 355563, énonce qu’une collectivité peut soumissionner à un marché public sous trois conditions :

1° la candidature doit répondre à un intérêt public local, c’est-à-dire constitue le prolongement d’une mission de service public dont la collectivité ou l’établissement public de coopération a la charge. Tel peut-être le cas si le but est notamment d’amortir des équipements, de valoriser les moyens dont dispose le service ou d’assurer son équilibre financier ;

2° la candidature ne doit pas compromettre l’exercice de cette mission de service public ;

3° la candidature ne doit pas fausser les conditions de la concurrence. En particulier le prix proposé par la collectivité territoriale ou l’établissement public de coopération doit être déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à sa formation.

L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Nantes qui confirme la régularité de la procédure. D’où un nouveau pourvoi en cassation.

Selon les requérants l’équipement utilisé par le département ne faisait déjà plus l’objet d’un amortissement à la date de la candidature. Ainsi selon eux, la candidature de la collectivité ne répondait pas à un intérêt public local.

L’occasion pour le Conseil d’Etat de préciser que la notion d’amortissement ne doit pas « s’entendre dans un sens précisément comptable, mais plus largement comme traduisant l’intérêt qui s’attache à l’augmentation du taux d’utilisation des équipements de la collectivité, dès lors que ces derniers ne sont pas surdimensionnés par rapport à ses propres besoins ».

Utiliser au mieux un équipement public constitue un intérêt public local, car laisser un équipement public inutilisé serait préjudiciable à l’intérêt public. Toutefois la collectivité ne doit pas acheter un équipement spécialement pour répondre à des marchés publics. Le juge administratif sanctionnerait une collectivité qui aurait fait l’acquisition d’un équipement surdimensionné par rapport à ses besoins.

« Il ressort des pièces du dossier que la drague , acquise en mai 2002 par le département, a été dimensionnée pour faire face aux besoins et spécificités des ports de ce département mais n’est utilisée qu’une partie de l’année pour répondre à ces besoins. Dès lors, son utilisation hors du territoire départemental peut être regardée comme s’inscrivant dans le prolongement du service public de création, d’aménagement et d’exploitation des ports maritimes de pêche dont le département a la charge en application des dispositions de l’article L. 601-1 du code des ports maritimes, sans compromettre l’exercice de cette mission, une telle utilisation de la drague permettant d’amortir l’équipement et de valoriser les moyens dont dispose, dans ce cadre, le service public de dragage du département. »

🚨 Attention :

 la candidature ne doit pas compromette pas l’exercice de la mission de service public. Ainsi une surexploitation extra-territoriale d’un équipement pourrait tout autant être sanctionnée par le juge si elle devait conduire à pénaliser les usagers du service public auquel il est initialement destiné ;

 la candidature ne doit pas fausser les conditions de la concurrence. En particulier le prix proposé par la collectivité territoriale ou l’établissement public de coopération doit être déterminé en prenant en compte l’ensemble des coûts directs et indirects concourant à sa formation.

Tel est bien jugé le cas en l’espèce dès lors que la différence de prix au profit de l’offre du département s’explique par la qualité technique de l’équipement dont les rendements sont nettement supérieurs à ceux proposés par la concurrence. Ainsi le pouvoir adjudicateur a pu, sans sous-estimation manifeste, considérer, au vu du sous-détail des prix établi à partir de la comptabilité analytique du service, que l’ensemble des coûts, y compris les charges d’amortissement, avaient été pris en compte pour la détermination du prix.

Conseil d’État, 14 juin 2019, N° 411444

[1Photo : Matt Howard sur Unsplash