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Diffamations et injures sur internet : les réseaux sociaux, zones de non-droit ?

Par l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale, AJCT Février 2019 n°2 p.78

Avec l’aimable autorisation des éditions Dalloz, retrouvez un article de l’Observatoire SMACL publié dans l’actualité juridique des collectivités territoriales (AJCT Février 2019, n°2) dans le cadre d’un dossier intitulé "Internet, réseaux sociaux et campagne électorale".

La bonne foi et la courtoisie ne sont pas toujours de mise sur Internet et sur les réseaux sociaux. C’est le moins que l’on puisse dire ! Les responsables publics ne sont pas épargnés et sont mêmes des cibles de choix. Les réseaux sociaux ne sont pourtant pas des zones de non-droit où il serait possible, en toute impunité, de porter atteinte à l’honneur ou à la considération des personnes.

De fait, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, notamment son article 29 définissant l’injure et la diffamation, s’applique sans restriction à tous les supports de communication,
y compris électroniques.

Article 29 de la loi du 29 juillet 1881

Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.

Il n’est pas l’objet de dresser, ici, un panorama de toutes les règles relatives à la répression des injures et des diffamations. Rappelons simplement que le droit de la presse est particulièrement procédural et qu’il appartient aux plaignants d’être très rigoureux dans la rédaction de la citation, laquelle doit, sous peine de nullité (Loi du 29 juill. 1881, art. 53.), préciser et qualifier le fait incriminé et indiquer le texte de loi applicable à la poursuite.
Avec parfois de beaux casse-tête pour les élus qui souhaitent engager des poursuites car il n’est pas toujours évident de discerner s’ils ont été visés en qualité de « citoyen chargé d’un mandat public » (Ibid. , art. 31) ou de simple « particulier » (Ibid ., art. 32).

Ainsi, la Cour de cassation a annulé la citation délivrée par un maire accusé publiquement dans un tract d’avoir incendié la maison d’une élue d’une commune voisine opposée à un projet éolien. Pour la Cour de cassation, le maire n’était pas visé en tant qu’élu mais comme simple citoyen. La citation aurait dû donc viser l’article 32 de la loi, et non l’article 31 (Crim. 8 avr. 2014, n° 13-81.807, D. 2015. 342, obs. E. Dreyer ; AJCT 2014.452, obs. S. Lavric ; Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale et associative, Maire rural visé dans un tract dénonçant la « mafia locale » : diffamation envers un citoyen chargé d’un mandat public ? , art. n° 4691) :

« l’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 ne punit de peines particulières les diffamations dirigées contre les personnes revêtues des qualités qu’il énonce que lorsque ces diffamations, qui doivent s’apprécier non d’après le mobile qui les a inspirées ou le but recherché par leur auteur, mais d’après la nature du fait sur lequel elles portent, contiennent la critique d’actes de la fonction ou d’abus de la fonction, ou encore que la qualité ou la
fonction de la personne visée a été soit le moyen d’accomplir le fait
imputé, soit son support nécessaire ».

Que ce soit pour des diffamations ou des injures lors du conseil municipal, dans un article de presse papier, sur un blog ou dans un commentaire sur un réseau social, la règle est la même.
Internet et les réseaux sociaux présentent cependant quelques singularités qui ont donné l’occasion aux juridictions de préciser quelques points qui méritent attention.

■ Diffamations et injures : quelle prescription ?

Trois mois – Le délai de prescription en matière de diffamation et d’injure est très bref puisqu’il est de trois mois à compter de la première publication (Loi du 29 juill. 1881, art. 65.).

Appliquant ce principe aux publications sur Internet, la Cour de cassation a jugé que « lorsque des poursuites pour diffamation et injures publiques sont engagées à raison de la diffusion sur le réseau Internet, d’un message figurant sur un site, le point de départ du délai de prescription de l’action publique prévu par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 doit être fixé à la date du premier acte de publication » et « que cette date est celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau » (Crim. 16 oct. 2001, n° 00-85.728, D. 2002. 2770, obs. C. Bigot ; RSC 2002. 621, obs. J. Francillon.).

Autant dire que cela oblige les personnalités publiques à une grande réactivité et à mettre en
place des outils de veille pour s’assurer que leur réputation ou leur honneur ne sont pas écornés sur les réseaux sociaux.

La Cour de cassation a cependant apporté des tempéraments à cette jurisprudence. Ainsi a-t-elle précisé que « toute reproduction, dans un écrit rendu public, d’un texte déjà publié, est constitutive d’une publication nouvelle dudit texte,
qui fait courir un nouveau délai de prescription ».

Constitue une telle reproduction :

■ « une nouvelle mise à disposition du public d’un contenu précédemment mis en ligne sur un site Internet dont le titulaire a volontairement réactivé ledit site sur le réseau Internet, après l’avoir désactivé » (Crim. 7 févr. 2017, n° 15-83.439, D. 2017. 409 ; ibid . 2018. 208, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2017. 234, obs. N. Verly ; Dalloz IP/IT 2017. 233, obs. E. Derieux.) ;

■ « l’insertion, sur Internet, par l’auteur d’un écrit, d’un lien hypertexte renvoyant directement audit écrit, précédemment publié » (Crim. 2 nov. 2016, n° 15-87.163, D. 2017. 203, note A. Serinet ; ibid 181, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2017. 39, obs. J.-B. Thierry ; Dalloz IP/IT 2017. 61, obs. E. Derieux ; RSC 2017. 85, obs. A. Giudicelli ; Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale et associative, Lien hypertexte renvoyant vers un ancien article diffamatoire : relance du délai de prescription , art. n° 6593).

Appliquant cette solution, le tribunal correctionnel de Libourne a jugé « que si la modification d’une adresse URL pour accéder à un site existant ne caractérise par un nouvel acte de publication, il est admis que l’insertion, dans un contexte éditorial nouveau, d’un lien hypertexte pointant vers un contenu déjà publié constitue une nouvelle publication ouvrant un nouveau délai de prescription » (T. corr. Libourne, 13 févr. 2018, n o 17202000017, Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale et associative, Diffamation : incidence de la publication d’un lien hypertexte renvoyant vers un ancien article, art. n° 7498). Mais le tribunal considère au final que la prescription était bien acquise en l’espèce. En effet, « il résulte du constat d’huissier que le lien hypertexte ne renvoie pas directement sur les publications incriminées mais sur le site […] sur lequel ensuite l’utilisateur doit rechercher les différentes publications ». Autrement dit, le renvoi vers une adresse générique où l’internaute doit effectuer des recherches pour retrouver l’article litigieux ne réactive pas le délai de prescription.

■ Du caractère public ou privé des attaques

Lorsqu’elle présente un caractère privé, la diffamation ou l’injure n’est pas un délit mais constitue une simple contravention passible de 38 € d’amende (C. pén., art. R. 621-1 et R. 621-2.).

Pour apprécier si les propos présentent un caractère public ou privé, les juges vérifient que les destinataires du message sont ou non liés entre eux par une communauté d’intérêts.

Par exemple, la Cour de cassation a jugé que les membres du conseil municipal ne formaient pas un groupement de personnes liées par une communauté d’intérêts et qu’une lettre adressée à l’ensemble des membres du conseil municipal constituait une diffamation publique (Crim. 16 mars 2010, n° 09-84.160, D. 2011. 780, obs. E. Dreyer.).

Le tribunal correctionnel de Paris a, quant à lui, jugé que l’affichage d’une lettre sur un panneau syndical interne au service d’une collectivité ne suffit pas à caractériser une
publicité au sens de la loi sur la presse dès lors que le message est diffusé à des destinataires qui sont liés entre eux par une communauté d’intérêts, s’agissant de fonctionnaires qui appartiennent au même service et qui travaillent dans les mêmes locaux (T. corr. Paris, 18 oct. 2012, n° 1216308325, Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale et associative, Courrier diffamatoire affiché sur un panneau syndical : diffamation publique ou privée ? , art. n° 3720). .

Facebook – La question s’est posée pour des messages publiés sur la page Facebook de salariés qui ont publié des propos désobligeants envers leur employeur. La Cour de cassation (Civ. 1 re , 10 avr. 2013, n° 11-19.530, D. 2013. 1004 ; ibid . 2050, chron. C. Capitaine et I. Darret-Courgeon ; ibid . 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; ibid . 2014. 508, obs. E. Dreyer ; Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale et associative,

Diffamations ou injures sur Facebook : une discussion entre
« amis » n’est pas nécessairement publique, art. n° 3941

). La solution eût été différente si le cercle d’amis avait été plus large.

De fait, la cour administrative d’appel de Nantes a validé la révocation d’un agent qui avait dénigré un élu sur la page Facebook d’une entreprise privée (CAA Nantes, 21 janv. 2016, n° 14NT02263, Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale et associative,

Commentaire injurieux sur Facebook : révocation de l’agent justifiée ,art. n° 5796

.

À cet égard, que les propos soient tenus ou non sur les réseaux sociaux ne change rien. Mais, en l’espèce, l’élu se défendait de toute faute personnelle en arguant notamment que les tweets avaient été publiés sur son compte de maire et non sur son compte personnel. La Cour de cassation écarte l’argument en relevant que « le compte Twitter est libellé au nom de l’intéressé, sans autre précision, de sorte que le moyen pris de ce que ce compte serait celui
du maire reste à l’état de pure allégation ». Dans l’hypothèse où le tweet litigieux aurait été publié sur le compte de la mairie, on peut penser que la faute aurait pu être s’analyser comme étant constitutive d’une faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service
 ; la victime aurait été alors en droit de rechercher la responsabilité de la commune, à charge pour cette dernière de se retourner ensuite contre l’élu fautif par le jeu d’une action récursoire.

■ Voeux de sursaut civique pour 2019 !

Cachés ou non derrière des pseudonymes, beaucoup d’internautes ont tendance à oublier que lorsqu’ils publient des messages sur les réseaux sociaux, ils sont pleinement soumis à la loi de 1881 qui réprime les injures et les diffamations, et qu’ils peuvent engager leur responsabilité pénale, civile et disciplinaire. Rappelons également, à l’heure de la prolifération des « fake news », qu’aux termes de l’article 27 de la loi de 1881, « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 €. » (V. égal. les propositions de loi organique et ordinaire relatives à la lutte contre la manipulation de l’information, adoptées définitivement le 20 nov. 2018 et validées par le Conseil constitutionnel - 20 déc.2018, n° 2018-773 DC, Loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information -, AJDA 2019. 5.). Il est vrai que si les tribunaux devaient être systématiquement saisis, ils seraient vite débordés et un peu plus engorgés ! Il nous reste, en cette période traditionnelle de vœux [1], à souhaiter en 2019 un sursaut civique et un peu plus de courtoisie dans l’expression sur les réseaux sociaux…

Télécharger l’article publié dans l’AJCT de février 2019, N°2

A découvrir également dans ce dossier de l’AJCT :

 Internet, réseaux sociaux et communication préélectorale par Juliette Vielh, AJCT Février 2019 n°2, page 66

 Financement des campagnes électorales et outils numériques par Aurore Granero, AJCT Février 2019 n°2, page 69

 Campagne électorale et utilisation des donnes personnelles : grands principes et points de vigilance par Emilie Seruga-Cau et Thiphaine Havel, AJCT Février 2019 n°2, page 73

 Internet, réseaux sociaux et élections : neutralité, réserve et loyauté du fonctionnaire territorial par Emmanuel Aubin, AJCT Février 2019 n°2, page 76

[1Article écrit en janvier 2019