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Diffamation : incidence de la publication d’un lien hypertexte renvoyant vers un ancien article

Tribunal correctionnel de Libourne, 13 février 2018, N° 17202000017

Diffamation contre un élu : l’insertion sur une page Facebook d’un lien renvoyant vers un ancien article jugé diffamatoire relance-t-il le délai de prescription ?

Oui mais sous certaines conditions. Si l’insertion, dans un contexte éditorial nouveau, d’un lien hypertexte pointant vers un contenu déjà publié constitue une nouvelle publication ouvrant un nouveau délai de prescription, deux conditions cumulatives doivent être réunies :

 le lien hypertexte doit renvoyer directement au(x) document(s) incriminé(s) ;

 un contexte éditorial nouveau doit être caractérisé par la volonté de réactiver la ou les publications.

Tel n’est pas jugé le cas en l’espèce pour un message publié sur le compte Facebook d’une association citoyenne créée par des opposants au maire. En effet le lien hypertexte posté sur le réseau social ne renvoyait pas directement sur les publications incriminées par le maire mais sur la page d’accueil du site internet. Ainsi le rappel dans ce contexte de précédentes publications ne saurait constituer un nouvel acte de publication dès lors que la page Facebook de l’association n’est qu’une modalité de diffusion et ne s’inscrit pas dans un contexte éditorial nouveau.

Le maire d’une commune girondine s’estime diffamé par un article d’un journal associatif. il faut dire que l’association, qui s’est créée après les élections municipales de 2014, sous l’impulsion notamment d’opposants battus, s’est donnée pour mission « de fédérer les actions citoyennes et de rester vigilant quant à l’action menée par l’équipe municipale en place. »

Toutes les décisions de la municipalité sont depuis passées au crible. Quitte à travestir la réalité s’insurge le maire qui fait citer directement le président de l’association (par ailleurs directeur de publication du journal) et un responsable pour diffamation. Il conteste en effet plusieurs accusations portées contre lui dans le journal mis en ligne sur le blog de l’association. Il s’insurge également contre la violence d’un photo-montage de type mortuaire sous forme d’avis de décès.

Les prévenus se défendent en invoquant principalement la prescription de l’action publique. En effet l’article litigieux a été publié le 4 mars 2017 et la citation délivrée le 30 juin 2017. Or la prescription en matière de délits de presse est de trois mois à compter de la première mise en ligne.

Certes répond le maire mais le point de départ de la prescription a été en l’espèce reporté par la mise en ligne le 30 mars 2017 sur la page Facebook de l’association d’un message invitant les lecteurs à cliquer sur un lien renvoyant sur le site internet ou est publié l’article litigieux.

De fait, la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre criminelle, 2 novembre 2016, N° 15-8716), a jugé que :

 "si le point de départ de la prescription est le jour de la publication de l’écrit incriminé, toute reproduction, dans un écrit rendu public, d’un texte déjà publié, est constitutive d’une publication nouvelle dudit texte, qui fait courir un nouveau délai de prescription ;

 l’insertion, sur internet, par l’auteur d’un écrit, d’un lien hypertexte renvoyant directement audit écrit, précédemment publié, caractérise une telle reproduction".

Appliquant cette jurisprudence, le tribunal correctionnel rappelle "que si la modification d’une adresse URL pour accéder à un site existant ne caractérise par un nouvel acte de publication, il est admis que l’insertion, dans un contexte éditorial nouveau, d’un lien hypertexte pointant vers un contenu déjà publié constitue une nouvelle publication ouvrant un nouveau délai de prescription".

Encore faut-il que deux conditions cumulatives soient réunies :

 le lien hypertexte doit pointer vers un contenu publié lequel doit être profond et interne c’est-à-dire renvoyant directement au(x) document(s) incriminé(s) ;

 un contexte éditorial nouveau doit être caractérisé par la volonté de réactiver la ou les publications.

Or en l’espèce, relèvent les juges, "il résulte du constat d’huissier que le lien hypertexte ne renvoie pas directement sur les publications incriminées mais sur le site (...) sur lequel ensuite l’utilisateur doit rechercher les différentes publications".

Autrement dit le simple renvoi vers la page du site internet ne suffit pas pour réactiver la prescription de l’action publique. Il fallait que le message posté sur Facebook renvoie directement vers le numéro du journal en cause ou de l’article litigieux. Le rappel dans ce contexte de précédentes publications ne saurait constituer un nouvel acte de publication dès lors que la page Facebook (...) n’est qu’une modalité de diffusion et ne s’inscrit
pas dans un contexte éditorial nouveau".

Quant aux faits de violences volontaires invoquées par l’élu suite au photo-montage de type mortuaire, le tribunal relève que les éléments matériels sont fondés sur les publications litigieuses lesquelles ne peuvent donner lieu à des poursuites que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 et non sur les dispositions de l’article 222-13 du code pénal, fondement non recevable en l’espèce.

L’occasion de rappeler que la Cour de cassation (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 6 octobre 2011, n°10-18142), a déjà jugé que « les abus de la liberté d’expression ne peuvent être réprimés que par la loi du 29 juillet 1881 » et qu’un élu ne pouvait donc obtenir réparation de son préjudice sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile.

Pour autant le tribunal correctionnel ne fait droit à la demande des deux prévenus relaxés tendant à la condamnation du maire au paiement de dommages-intérêts pour abus de constitution de partie civile. En effet en aucune manière l’élu "n’a agi de mauvaise foi pas plus qu’il ne peut lui être reproché d’avoir agi témérairement alors que le contexte procédural dans lequel il pouvait agir fait l’objet de discussions juridiques complexes et en évolution constante"...

Tribunal correctionnel de Libourne, 13 février 2018, N° 17202000017

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[1Photo : © Marc Dietrich