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Courrier diffamatoire affiché sur un panneau syndical : diffamation publique ou privée ?

Tribunal correctionnel de Paris, 18 octobre 2012, N° 1216308325

L’affichage sur un panneau syndical d’un courrier diffamant un chef de service suffit-il à caractériser la publicité requise pour la répression des délits de presse ?

 [1]


Pas si le panneau syndical n’est pas accessible au public et à des personnes extérieures au service. Les fonctionnaires d’un même service sont en effet liés entre eux par une communauté d’intérêts, ce qui exclut tout caractère public de la diffamation. Les faits ne peuvent être donc réprimés qu’au titre d’une diffamation non publique (contravention de 1ère classe).

Un syndicat dénonce le comportement irrespectueux et le mode de management d’un agent de maîtrise. Une lettre est adressée en ce sens au supérieur hiérarchique de l’intéressé ; une copie du courrier est par ailleurs affichée sur le panneau syndical du service concerné.

Il y est fait état de manque de respect et de considération mais aussi d’actes d’intimidation, voire de harcèlement. Il y est également mentionné des antécédents dans un autre service.

L’intéressé porte plainte pour diffamation publique contre le syndicaliste. L’occasion pour le tribunal correctionnel de Paris, dans un jugement particulièrement motivé, d’apporter plusieurs précisions intéressantes.

1° Sur le caractère public ou privée de la diffamation

Selon que la diffamation publique ou privée, les peines encourues ne sont pas les mêmes. En effet dans le premier cas il s’agit d’un délit passible de 45 000 euros d’amende si elle est commise contre un fonctionnaire public, dans l’autre il ne s’agit que d’une contravention de première classe passible d’une amende de... 38 euros.

Autant dire que le débat est loin d’être anodin.

Le plaignant estimait que la diffamation était publique dans la mesure où une copie du courrier avait été affichée sur le panneau destiné à la communication syndicale dans les locaux du service. Or poursuit-il, ce panneau est situé dans le couloir menant à la machine à café, lequel peut être emprunté par des personnes extérieures au service et notamment par des fournisseurs.

Le tribunal écarte l’argument, estimant qu’il n’est pas démontré que cette partie des locaux est bien accessible au public. Le simple affichage de la lettre sur le panneau syndical ne suffit pas à caractériser une publicité au sens de la loi sur la presse dès lors que le message est diffusé à des destinataires qui sont liés entre eux par une communauté d’intérêts, s’agissant de fonctionnaires qui appartiennent au même service et qui travaillent dans les mêmes locaux.

C’est donc sous la qualification contraventionnelle de l’article R621-1 du code pénal que les faits sont examinés.

2° Sur le caractère diffamatoire des assertions contenues dans le courrier

Pour que la diffamation soit caractérisée, il faut que soit imputé un fait précis susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire [2].

C’est ce qui distingue la diffamation de l’injure ou de l’expression d’une opinion ou d’un jugement de valeur.

Le tribunal estime que cette condition est, en l’espèce bien remplie. En effet il est imputé au plaignant une mode de management particulièrement rude avec des actes d’intimidation qui confinent au harcèlement. Ce d’autant plus qu’il est fait état d’antécédents dans un autre service.

3° Sur la bonne foi

La personne poursuivie peut s’exonérer de toute responsabilité si elle établit sa bonne foi en prouvant qu’elle a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle, et qu’il s’est conformé à des exigences de sérieux dans son enquête et de retenue dans l’expression.

Le tribunal prend le soin de préciser que ces critères sont appréciés avec moins de rigueur lorsque l’auteur des propos n’est pas un journaliste qui fait profession d’informer. Bref un syndicaliste n’est pas tenu à la même rigueur qu’un journaliste, et pourra plus facilement établir sa bonne foi.

De fait le tribunal reconnaît que le prévenu a agi dans un but légitime en qualité de syndicaliste dans le cadre d’un conflit du travail, sans animosité personnelle, et dans des termes non excessifs. En outre le courrier a été adressé au supérieur hiérarchique du plaignant dans un contexte de tension entre l’intéressé et les agents placés sous sa responsabilité, tensions liées à la fixation par l’agent de maîtrise de nouvelles exigences au personnel de son service.

Le tribunal en conclut que la bonne foi est établie s’agissant du passage de courrier dénonçant la brutalité du mode de management. Tel n’est pas jugé le cas en revanche s’agissant du paragraphe faisant état d’antécédents de l’intéressé dans un autre service. Les juges correctionnels reprochent ici au syndicaliste de ne pas avoir vérifié l’information en réalisant une enquête ou en se rapprochant de l’intéressé pour recueillir ses observations.

D’où la condamnation du syndicaliste à 30 euros d’amende et à verser un euro symbolique de dommages-intérêts au plaignant.

Tribunal correctionnel de Paris, 18 octobre 2012, N° 1216308325

[1Photo : © Ximagination

[2De fait la personne poursuivie peut s’exonérer de toute responsabilité en rapportant la preuve des imputations ; ce que les juristes appellent l’exceptio veritatis