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Périmètre de l’interdiction des emplois familiaux dans les collectivités territoriales

Réponse du 12 avril 2018 à la Question écrite n° 01933 de M. Daniel Gremillet

L’interdiction pour un maire de recruter l’un de ses proches se limite-t-elle aux seuls emplois de cabinet ?

 [1]

Non. Si, depuis la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, l’autorité territoriale a interdiction de compter parmi les membres de son cabinet les membres les plus proches de sa famille (conjoint, partenaire lié par un PACS, concubin, ainsi que leurs parents et enfants), il reste qu’il existe un risque pénal pour tous les recrutements de proches au sein des collectivités. En effet le délit de prise illégale d’intérêts « est caractérisé par la prise d’un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect et se consomme par le seul abus de la fonction indépendamment de la recherche d’un gain ou de tout autre avantage personnel » (Cour de cassation, chambre criminelle, 21 juin 2000, n° 99-86871).

S’agissant des titulaires de la fonction publique, la réponse ministérielle se montre moins catégorique en se retranchant derrière l’absence de jurisprudence (voir cependant à ce sujet les exemples de condamnation que nous citons après le texte de la réponse ministérielle), mais n’exclut pas expressément que le délit puisse être caractérisé. Observons à cet égard que même si le concours constitue une garantie d’objectivité du recrutement, le rapport hiérarchique porte en lui-même les germes de potentiels conflits d’intérêts au quotidien, l’agent pouvant être suspecté de bénéficier d’un traitement de faveur pour toute décision prise par l’autorité territoriale le concernant : formation, aménagement du temps de travail, absences, pouvoir disciplinaire, promotion, notation,....

Prenant appui sur un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris, la réponse ministérielle invite le juge pénal, pour apprécier la prise illégale d’intérêts, à prendre en considération le respect de la procédure de recrutement (publicité de la vacance de poste, délai raisonnable préalable au recrutement permettant de recevoir des candidatures), l’adéquation entre la formation et l’expérience professionnelle de l’agent et l’emploi à pourvoir, et, lorsqu’il s’agit de recruter un agent contractuel, l’absence de candidature d’un agent titulaire en application de la réglementation.

En tout état de cause, ajoutons qu’il est indifférent :

 que le poste occupé soit réel et qu’il ne s’agisse pas d’un emploi fictif ;

 le proche ait été recruté par voie de détachement.

Ajoutons également que :

 le fait pour un nouvel élu de renouveler le contrat en CDD d’un proche embauché par l’ancienne majorité peut le placer aussi dans une situation de conflits d’intérêts ;

 le risque de prise illégale d’intérêts existe également s’agissant de recrutements de proches au sein d’associations para-municipales.

Interdiction des emplois familiaux dans les cabinets des collectivités

L’article 15 de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique modifie l’article 110 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale relatif aux collaborateurs de cabinet. L’autorité territoriale a interdiction de compter parmi les membres de son cabinet les membres les plus proches de sa famille : son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité (PACS) ou concubin, ses parents et enfants ou ceux de son conjoint, partenaire lié par un PACS ou concubin. Le champ d’application de la loi porte uniquement sur les collaborateurs de cabinet, recrutés sur le fondement de l’article 110 de la loi précitée du 26 janvier 1984 et du décret n° 87-1004 du 16 décembre 1987 relatif aux collaborateurs de cabinet des autorités territoriales. Les secrétaires de mairie recrutés en qualité d’agent contractuel pour exercer les missions du cadre d’emplois des secrétaires de mairie, dont le statut particulier est fixé par le décret n° 87-1103 du 30 décembre 1987, ne relèvent donc pas de ces dispositions.

Le recrutement par une autorité territoriale de membres de sa famille sur d’autres emplois peut constituer une prise illégale d’intérêts

Pour autant, il ressort de la jurisprudence aussi bien administrative que judiciaire que le recrutement par une autorité territoriale de membres de sa famille sur d’autres emplois de sa collectivité peut comporter un risque pénal résultant de l’intérêt moral qu’aurait l’intéressé à recruter un membre de sa famille et susceptible d’être qualifié de prise illégale d’intérêts prévue à l’article 432-12 du code pénal. Le délit de prise illégale d’intérêts « est caractérisé par la prise d’un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect et se consomme par le seul abus de la fonction indépendamment de la recherche d’un gain ou de tout autre avantage personnel » [2]. Ainsi un maire qui « a décidé seul des recrutements de ses enfants », sans respecter la durée limitée à trois ans des contrats de travail du personnel recruté sans concours, « a privilégié ses enfants au mépris des prescriptions légales et a ainsi pris un intérêt moral dans l’attribution de ces deux postes, alors qu’il avait la surveillance de ces opérations et en assurait le paiement » et est coupable de prise illégale d’intérêts [3]. De même, « le fait pour un élu chargé d’assurer la surveillance ou l’administration de l’exécution du budget de la commune de recruter ou de faire recruter un de ses enfants sur un emploi de la commune est susceptible d’exposer cet élu à l’application des dispositions de l’article 432-12 du code pénal » [4].

Critères pris en compte par le juge

Le juge, pour apprécier la prise illégale d’intérêts, prend en considération le respect de la procédure de recrutement (publicité de la vacance de poste, délai raisonnable préalable au recrutement permettant de recevoir des candidatures), l’adéquation entre la formation et l’expérience professionnelle de l’agent et l’emploi à pourvoir, et, lorsqu’il s’agit de recruter un agent contractuel, l’absence de candidature d’un agent titulaire en application de la réglementation [5].

Aucune jurisprudence identifiée ne porte sur le recrutement d’un membre de la famille proche de l’élu qui aurait la qualité d’agent titulaire de la fonction publique. Pour autant, en cas de contentieux sur ce sujet, il est vraisemblable que le juge prendra en considération les mêmes éléments, sous réserve des spécificités liées au recrutement d’un fonctionnaire.

Requalification d’emplois rattachés aux services de la collectivité en emplois de collaborateurs de cabinet

S’agissant d’un recrutement dans la même collectivité d’un collaborateur de cabinet licencié compte tenu de son lien familial avec l’autorité territoriale, il est à noter que le juge a pu prendre en compte, pour démontrer l’intention frauduleuse, la volonté de l’élu, après une première embauche qui s’est avérée illégale, de recruter à nouveau le même membre de la famille par le biais d’une autre procédure [6]. Cette affaire concernait uniquement des recrutements sur contrats. Elle n’est donc pas directement applicable à un fonctionnaire mais pourrait être transposée. Enfin et pour mémoire, il faut que le nouveau poste occupé ne soit pas assimilable à un emploi de cabinet. Des emplois rattachés aux services de la collectivité ont ainsi pu être requalifiés, par le juge, d’emplois de collaborateur de cabinet, en conséquence soumis à la réglementation spécifique qui s’y applique : statut de contractuel, limitation du nombre, et désormais, interdiction de recruter certains membres de la famille.

Réponse du 12 avril 2018 à la Question écrite n° 01933 de M. Daniel Gremillet


Exemples de condamnations en matière de recrutement (extraits du juridiscope de l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale)

🔴 Tribunal correctionnel de Sarreguemines, 18 septembre 2017

Condamnation d’un maire du chef de prise illégale d’intérêts (ville de moins de 10 000 habitants). Il lui est reproché d’avoir fait embaucher sa fille et le compagnon de celle-ci comme concierges d’une maison de vacances, un site géré par une association para-municipale. Le tout sans appel à candidatures, le couple ayant été le seul à pouvoir postuler. Initialement le maire avait envisagé d’embaucher directement le couple par la mairie mais le contrôle de la légalité s’y était opposé. D’où l’idée d’opérer le recrutement via l’association. Stratagème qui n’a pas trompé la vigilance de la chambre régionale des comptes compte-tenu des liens étroits entre l’association et la municipalité. Il est également reproché au maire d’avoir validé des travaux importants (pour 20 000 euros) dans le logement de fonction occupé par le couple. L’élu est condamné à cinq mille euros d’amende et à une peine de six mois d’inéligibilité. Une adjointe, présidente de l’association para-municipale, est également condamnée pour complicité de prise illégale d’intérêts à deux mois d’inéligibilité. La fille et le gendre sont condamnés pour recel à 3 000 euros d’amende.

🔴 Tribunal correctionnel de Lyon, 6 juillet 2017

Condamnation d’un maire pour prise illégale d’intérêts (ville de moins de 20 000 habitants). Il est reproché à l’élu d’avoir recruté sa sœur au poste de directrice générale des services (DGS) de la commune. Il est condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d’amende ainsi qu’à une peine d’inéligibilité de trois ans. Sa sœur est condamnée pour recel à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et 5 000 euros d’amende. Elle doit en outre cesser ses fonctions à la mairie et est exclue de la fonction publique pendant dix-huit mois.

🔴 Cour d’appel de Papeete, 26 janvier 2017

Condamnation d’un maire pour détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêts (commune de 6000 habitants). II lui était notamment reproché d’avoir embauché son épouse comme collaboratrice sans contrepartie réelle (emploi-fictif). La peine d’amende d’un million de FCFP prononcée en première instance est confirmée en appel.

🔴 Tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer, 8 juillet 2014

Condamnation de la présidente d’un Office public de l’habitat, également adjointe au maire (ville de plus de 50 000 habitants), pour prise illégale d’intérêts. Il lui était reproché d’avoir fait embaucher, au sein de l’OPH, trois de ses proches (dont sa fille et son gendre) alors qu’elle en était présidente. Elle est condamnée à une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis, une interdiction de diriger un établissement public ainsi qu’à une inéligibilité de trois ans. Au civil elle est condamnée à verser 3000 euros de dommages-intérêts à l’OPH qui s’est constitué partie civile.

🔴 Tribunal correctionnel de Foix, 20 mai 2014

Condamnation d’un maire (commune de 100 habitants) du chef de prise illégale d’intérêts. Il lui est reproché d’avoir participé à l’embauche de sa fille au secrétariat de l’hôtel de ville et au camping municipal, en prenant part au vote et aux débats au sein du conseil municipal. L’élu est condamné à deux mois d’emprisonnement avec sursis et à deux ans de privation de ses droits civiques.

🔴 Cour de cassation, chambre criminelle, 11 mars 2014, N° 12-88313

Condamnation d’un maire (commune de moins de 50 000 habitants) du chef de discrimination à l’embauche. Lors des élections municipales, il avait entre les deux tours conclu un arrangement avec le dirigeant d’une liste dissidente, afin d’obtenir son soutien, en échange de la promesse d’embaucher un proche « au plus près du maire, dans l’organigramme de ses services ». Après les élections, la promesse avait été tenue : l’intéressé avait été effectivement nommé à compter du 1er mai 2008, aux fonctions de directeur du développement économique et touristique, le titulaire précédent du poste, fonctionnaire de catégorie A, ayant été écarté, de façon discrétionnaire pour être placé sous la direction d’un agent de catégorie C... La Cour de cassation confirme la condamnation de l’élu à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, 15 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité dès lors que l’offre d’emploi critiquée, même si elle était assortie d’une condition suspensive implicite tenant à l’élection du prévenu en qualité de maire, était subordonnée à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 du code pénal, en l’espèce les opinions politiques du bénéficiaire de l’embauche.

🔴 Tribunal correctionnel de Metz (CRPC), 10 juillet 2013

Condamnation d’une adjointe au maire d’une ville à une amende de 2000 euros pour prise illégale d’intérêts. Jugée selon la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité (plaider-coupable) il lui est reproché d’avoir imposé l’embauche de son gendre dans une association para-municipale qu’elle présidait.

🔴 Cour de cassation, chambre criminelle, 30 avril 2013

Condamnation d’une maire (commune de moins de 20 000 habitants) pour prise illégale d’intérêts pour avoir recruté son fils au service informatique de la mairie. L’élue se défendait en relevant que son enfant avait les compétences requises (ce qui n’est pas contesté) et que la grille de rémunération était conforme à ce qui se pratique dans les collectivités territoriales. De fait le fils de l’élue touchait 1433 euros par mois. L’élue est condamnée à dix mille euros d’amende et à deux ans de privation des droits civiques. Suite à sa condamnation, l’élue a démissionné de ses mandats électifs.

🔴 Cour de cassation, chambre criminelle, 21 mars 2012

Condamnation du président de la commission permanente d’une assemblée territoriale ultra-marine du chef de prise illégale d’intérêts pour avoir recruté sa concubine en qualité de directrice de cabinet alors que l’embauche a été faite sans contrepartie réelle de travail et sans que la compagne de l’élue, condamnée pour recel, ait les capacités pour remplir cette mission. L’élu est condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis et un an d’interdiction des droits civiques ; sa compagne à 6 000 000 de francs CFP d’amende.

🔵 Tribunal correctionnel Bar-le-Duc, 15 septembre 2009

Relaxe d’un président de syndicat mixte à qui il était reproché d’avoir recruté une amie intime et de l’avoir promue : s’il n’est pas contestable que l’intéressée a été recrutée parce qu’elle connaissait l’élu, les éléments constitutifs du délit de prise illégale d’intérêts ne sont pas pour autant réunis dès lors qu’il n’est pas démontré que la relation intime avec l’intéressée perdurait au moment du recrutement et que l’intéressée ne disposait pas des compétences requises pour exercer les missions confiées.

🔴 Tribunal correctionnel de Bordeaux, 20 octobre 2008

Condamnation d’un maire (commune de 160 habitants) à 2 000 euros
d’amende avec sursis et à un an d’interdiction des droits de vote et d’éligibilité. Il lui est reproché d’avoir recruté sa fille à la mairie sur un poste d’agent administratif. Peu importe que l’intéressée ait été détachée par le centre intercommunal d´action sociale.

🔴 Cour de cassation, chambre criminelle, 8 mars 2006

Condamnation d’un maire (ville de moins de 20000 habitants) à 2 mois d’emprisonnement avec sursis et à 2 ans d’inéligibilité pour avoir recruté deux de ses enfants à la mairie, confié un marché public à une société
dans laquelle l’un de ses fils est associé, passé un contrat d’édition avec une association présidée par le concubin de sa fille.

🔴 Cour de cassation, chambre criminelle, 14 janvier 2004

Condamnation d’un maire (commune de moins de 500 habitants) à 18 mois d’emprisonnement avec sursis, 15 000 euros d’amende et 3 ans
d’interdiction des droits civiques. Il lui est reproché d’avoir passé le poste de secrétaire de mairie à temps complet et d’avoir accordé le 13è mois alors que c’est son épouse qui occupait l’emploi. L’épouse du maire est condamnée pour recel à 10 mois d’emprisonnement avec sursis et à 10 000 euros d’amende.

🔶 Si la loi du 15 septembre 2017 ne vise que les emplois de cabinet, il reste que le délit de prise illégale d’intérêts peut potentiellement s’appliquer à tout recrutement d’un proche au sein d’une collectivité territoriale.

🔶 Le délit de prise illégale d’intérêts « est caractérisé par la prise d’un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect et se consomme par le seul abus de la fonction indépendamment de la recherche d’un gain ou de tout autre avantage personnel » (Cour de cassation, chambre criminelle, 21 juin 2000, n° 99-86871).

🔶 Prenant appui sur un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris, la réponse ministérielle invite le juge pénal à prendre en considération :

 le respect de la procédure de recrutement (publicité de la vacance de poste, délai raisonnable préalable au recrutement permettant de recevoir des candidatures),

 l’adéquation entre la formation et l’expérience professionnelle de l’agent et l’emploi à pourvoir, et,

 lorsqu’il s’agit de recruter un agent contractuel, l’absence de candidature d’un agent titulaire en application de la réglementation.

🔶 En tout état de cause peu importe que l’emploi soit bien réel et qu’il ne s’agisse pas d’un emploi fictif.

🚨 Attention : le risque de prise illégale d’intérêts existe également s’agissant de recrutements de proches au sein d’associations para-municipales.


D’autres réponses ministérielles sur le même sujet

 Réponse ministérielle du 17/08/2010 à la question N° : 75550 de M. Grosdidier François

  Réponse ministérielle du 21 janvier 2002 à la Question N° : 66515 de M. Jacquat Denis (réponse à la question d’un maire, nouvel élu, qui souhaitait savoir s’il pouvait renouveler le CDD de sa fille embauchée par l’ancienne majorité comme femme de ménage).


Textes de référence

 Article 110 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale modifié par l’article 15 de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique

 Article 432-12 du code pénal


Etes-vous sûr(e) de votre réponse ?

⚖️ Le recrutement d’un proche par voie de détachement peut-il constituer une prise illégale d’intérêts ?

⚖️ Le délit de prise illégale d’intérêts peut-il être caractérisé par le fait d’augmenter le temps de travail d’une secrétaire de mairie qui est par ailleurs compagne du maire ?

[1Photo © @bernardhermant via Unsplash

[2Cour de cassation, chambre criminelle, 21 juin 2000, n° 99-86871

[3Cour de cassation, chambre criminelle, 8 mars 2006, n° 05-85276

[4Conseil d’État, 27 juillet 2005, n° 263714

[5Cour de cassation, chambre criminelle, 5 décembre 2012, n° 12-80032 - Cour administrative d’appel de Paris, 13 octobre 2009, n°08PA01647

[6Cour d’appel de Rouen, 2 novembre 2006, n° 06/00016