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Enquête pénale : bien préparer son audition, même comme « simple » témoin… !

Par Me Levent SABAN, Avocat associé - Cabinet Ph. PETIT et Associés

Très souvent négligées en termes de préparation, les premières auditions sont pourtant déterminantes pour la suite de la procédure pénale. Me Levent Saban vous livre ses conseils pour bien préparer une audition, y compris comme simple témoin.

 

Que ce soit en matière de sécurité au travail (accident sur un chantier), de ressources humaines (harcèlement moral et sexuel, discrimination…), de marchés publics (favoritisme, prise illégale d’intérêts, corruption…), d’urbanisme (pollution…), ou autres… le risque pénal est de plus en plus intégré dans la gestion d’une administration. Très souvent négligées en termes de préparation, les premières auditions sont pourtant déterminantes pour la suite du dossier lorsque le risque se réalise.

 

Voici quelques conseils pratiques et suggestions de bonnes conduites à tenir pour bien démarrer une enquête. Ces conseils sont destinés non seulement aux personnes entendues en qualité de « mis en cause », mais également et particulièrement aux « simples » témoins. La pratique montre que les auditions les plus délicates sont celles des agents entendus comme simple témoin car il leur est demandé le plus souvent de décrire une organisation, une distribution des pouvoirs et des missions, de donner leur « avis »… C’est très souvent par maladresse et manque de préparation que tel propos pourtant neutres d’un simple témoin devient accablant pour la personne sur laquelle il porte …

Une vigilance permanente

Cela commence dès l’entrée dans les locaux de la police ou de la gendarmerie, dès les premières salutations et les premiers échanges avec l’enquêteur, la mise en confiance du « témoin » ou du « mis en cause » sur des matières très souvent mal maitrisées par les enquêteurs est une étape essentielle (marchés publics, statuts des agents en matière de harcèlement, de régime indemnitaire, d’urbanisme…). Il convient évidemment de répondre avec correction aux salutations d’usage, mais d’avoir la plus grande retenue dans cette phase préparatoire de l’audition face à des questions très ouvertes, même posées autour d’un café (« alors, votre collectivité, expliquez-moi comment ça fonctionne, vous êtes nombreux… ? »).

 

Tous les propos échangés en préambule pourront être exploités plus tard dans l’audition pour marquer des contradictions lors de réponses à des questions plus précises…

Objectif : convaincre le Procureur qui vous lit, et non l’enquêteur qui vous auditionne

Si on intègre cette règle fondamentale, l’exercice deviendra très différent car votre attention sera portée sur l’essentiel : ce qui est important, c’est exclusivement ce qui sera retranscrit sur le procès-verbal.

Vous veillerez alors soigneusement à la formulation, ou à la reformulation, faite par l’enquêteur pour la transcription de vos propos.

 

Par exemple, si vous dites : « c’est mon chef de service, qui est mon supérieur hiérarchique, qui m’a donné instruction de faire… » et que l’enquêteur retranscrit sans mauvais esprit « c’est ma hiérarchie qui m’a donné instruction de faire… », cela n’a pas forcément le même sens sur la désignation de la personne…

Vous ne devez pas hésiter à lui demander de reprendre ou compléter le propos retranscrit.

 

L’enquêteur n’est pas votre conseil ou votre confident : gardez vos premières formulations (souvent plus pertinentes car elles prennent en compte un contexte que vous maitrisez mieux) et ne pas spontanément accepter les suggestions de formulations qui pourraient être faites.

Ne pas anticiper une question qui ne vous a pas été posée

Vous devez vous laisser guider par les questions de l’enquêteur. Il doit avancer avec ses questions, et non avec vos réponses. Il ne faut donc jamais anticiper une question qui n’est pas posée. Il ne faut pas aller au-delà de la question posée.

 

Si la question qui vous est posée est une question fermée : contentez-vous d’y répondre sans commenter votre réponse.

Par exemple : Question : « La Ville a-t-elle payée la soirée électorale du Maire ? »
Réponse : « Non ».
Question : « Avez-vous reçu des instructions pour retenir cette entreprise dans le cadre du marché ? »
Réponse : « absolument pas ».

 

Vous ne devez jamais vous sentir gêné de faire des réponses courtes et brèves.

 

Si l’enquêteur fait des temps de pause pour vous inciter à développer davantage vos réponses, maintenez le silence pour attendre la prochaine question sans être gêné si vous considérez avoir répondu à la question posée. Et si l’enquêteur vous fait des remarques sur la brièveté de vos réponses, vous pouvez lui indiquer : « je réponds à vos questions…, je vous écoute…, posez moi toutes les questions que vous souhaitez… c’est plus simple pour moi d’expliquer ce que vous souhaitez savoir en répondant à vos questions… »

 

Vous devez évidemment vous interdire des fins de réponses qui prennent des comparaisons avec d’autres situations : « je me souviens que c’était la même chose il y a deux ans pour le marché de l’école…. »

 

Ou encore, la tentation est grande de vouloir compléter ou commenter ses réponses. Ainsi, s’il est demandé : « pouvez-vous m’indiquer pourquoi la procédure de marché a été arrêtée ? », inutile d’ajouter à votre réponse : « et d’ailleurs, je me souviens qu’on avait eu le même problème un an auparavant… ». L’idée que l’on veut ajouter à sa réponse est très souvent une très mauvaise idée, et il n’est jamais trop tard après l’audition pour faire cet ajout s’il s’avérait utile (par téléphone à l’enquêteur, ou par courriel…).

 

A l’inverse, si la question qui vous est posée est une question « ouverte » (« Pouvez-vous me parler du marché X attribué à l’entreprise Y ? » ou alors « Que pouvez-vous me dire sur le marché attribué à l’entreprise Y ? ») : dans ce cas, il est impératif d’être le plus synthétique possible et d’éviter de longs développements. Il faut être très concis, et susciter les questions de l’enquêteur pour vous aider à répondre à la question et aux griefs qui sont ceux du dossier d’enquête et que vous ignorez par hypothèse dans leur précision.

 

Là encore, si l’enquêteur vous fait une remarque sur le caractère concis de vos réponses, vous pouvez tout à fait lui dire : « je ne sais pas trop quoi vous dire, mais aidez-moi par des questions, naturellement je répondrai à toutes »

Ne jamais répondre à la place d’un autre

Il faut toujours répondre en vous tenant dans votre rôle et avec les missions qui étaient les vôtres à l’époque des faits, et avec la connaissance que vous en aviez à l’époque !

 

En d’autres termes, il ne faut jamais répondre à la place de votre agent lorsque vous êtes élu, et à la place de votre élu lorsque vous êtes agent. Ce que vous ne savez pas, il faut se contenter de dire… que vous ne le savez pas… !

 

Par exemple : « Je n’étais pas en charge de cette question… », « Ce n’est pas moi qui gère cela… », « Dans mon souvenir…. il me semble qu’à l’époque… le seul point dont j’ai été avisé était que… ».

Ou encore :
Question : « que pensez-vous de M. X qui participe à la CAO alors que son fils est gérant de l’entreprise dont on examine l’offre ? »
Réponse : « je ne sais pas, je ne peux pas vous répondre à sa place »
Question : « En tant que DGS, ne considérez-vous pas que M. X aurait dû s’abstenir d’être présent à cette CAO ? »
Réponse : « je ne peux pas vous répondre »

 

Vous devez résister à cette forte tentation de vouloir apporter réponse à toutes les questions posées pour ne pas décevoir votre interlocuteur. Il est essentiel de s’abstenir de répondre à des questions, fréquentes en pratique, portant sur des points échappant à votre compétence ou à vos missions.

 

Par exemple, dans une affaire d’accident du travail, à la question posée à un responsable des ressources humaines : « le comportement de cet agent qui n’a pas donné l’instruction claire de cesser le chantier, vous semble-t-il fautif ou correspondre à ce que l’on peut attendre d’un chef de service de son expérience ? », la réponse « effectivement, il aurait dû s’aviser de la difficulté et procéder à l’arrêt du chantier » est accablante pour l’agent visé et doit être évitée (les motifs techniques à l’origine d’un accident sont le plus souvent mal maitrisés ou ignorés des services de ressources humaines). Une meilleure réponse aurait été : « je ne peux pas vous répondre sur les motifs techniques qui auraient dû conduire ou non à l’arrêt du chantier, seuls les services techniques peuvent vous le dire avec précision ».

 

Autre question type que l’on retrouve dans beaucoup d’affaire : « Qui dans la collectivité est pénalement responsable ? ». La réponse « C’est le représentant » « C’est le Président j’imagine en tant représentant… » est là aussi accablante et erronée d’ailleurs en droit pénal. Une meilleure réponse serait : « je ne peux pas vous répondre avec précision, cela dépend j’imagine de la faute que votre enquête révèlerait s’il y en avait une ». « C’est votre enquête qui pourra répondre à cette question. Je ne peux répondre à votre question juridique ».

Vous avez le droit de ne pas savoir

Sans avoir à vous prévaloir du droit au silence dont vous bénéficiez, vous avez parfaitement le droit de ne pas avoir la réponse à une question. Il ne pas faut pas tomber dans le piège de se faire un devoir de trouver une réponse à toutes les questions posées pour ne pas déplaire à votre interlocuteur.

 

Il ne faut pas hésiter à avoir des réponses du type : « Je suis incapable de répondre à votre question… » ou plus brièvement « je ne sais pas », « je ne peux pas vous dire »…

 

Lorsque vous êtes élu, ou lorsque vous êtes DGS, il faut rappeler votre mandat, vos missions et ses contraintes, la taille de la collectivité ou de l’établissement (nombre d’agents, nombre de vice-présidents ou d’adjoints…), afin de justifier auprès du magistrat qui lira le procès-verbal, la nécessaire délégation des missions et des dossiers qui va avec…

En fin d’audition : prendre le temps de la relecture

A la fin de l’audition, il faut bien prendre le temps de relire le procès-verbal, et faire rectifier tout point qui ne serait pas conforme à ce qui a été dit. Vous n’êtes pas obligé de signer un procès-verbal qui mentionnerait des éléments que vous n’avez pas dit ou qui sont retranscrits de manière erronée. L’enquêteur est obligé d’indiquer le motif du refus de signature si c’était le cas. Mais, l’enquêteur n’est pas obligé de modifier un procès-verbal pour y ajouter des éléments complémentaires qui vous viendraient à l’esprit à la relecture. Il peut le faire (il le fait souvent en pratique…) mais il n’a pas l’obligation de le faire.

Ne pas venir avec des dossiers ou documents

Afin de garder toute votre spontanéité, et quel que soit le travail de préparation réalisé, il est fondamental de rester concentré sur les questions posées. C’est pourquoi, il faut ce jour-là que vous fassiez un effort de formulation, et pas un effort de mémoire sur des réponses que vous auriez répété la veille !

Sauf demande particulière de documents de la part de l’enquêteur (qui doit l’être en principe sous forme de réquisitions écrites), il est préférable d’aller à l’audition sans document, et de répondre en suivant les questions de l’enquêteur, tout en lui indiquant s’agissant d’éventuels documents évoqués : « je vous ferai naturellement passer ce document », « je crois que j’avais reçu une réponse par mail que je vous retrouverai »…

Votre éventuelle irritation doit être dirigée contre le plaignant, jamais contre l’enquêteur

Vous avez le droit de montrer que vous êtes irrité ou contrarié d’être en audition, mais votre colère doit être dirigée contre le plaignant ou le dénonciateur : « je suis stupéfait d’être là par la plainte de M.X. Je comprends et c’est normal que je réponde à vos questions, mais je trouve stupéfiant l’instrumentalisation de la justice que se permet M.X afin de tenter de salir ma réputation. Je me réserve de déposer plainte à mon tour pour dénonciation calomnieuse contre M.X »….

Conclusion

Dans ce contexte, il est vivement recommandé de se rapprocher d’un praticien, lorsque cela est possible en temps, afin de préparer en amont l’audition, qu’il s’agisse d’une comparution devant des enquêteurs, un juge d’instruction ou devant un Tribunal, même si l’exercice n’est pas tout à fait le même dans ces trois cadres.

L’anticipation des points problématiques, le recoupement des informations dont on dispose, la détermination d’une ligne de défense ou encore le rassemblement de documents ou éléments à décharge pouvant être remis lors de l’audition ou à son issue sont autant de choses qui peuvent être utilement préparées.

 

En d’autres termes, le travail de préparation à une audition est essentiel pour permettre aux parties mises en cause de garder une certaine « maitrise » de la procédure pénale, car il sera alors aisé de « reconstruire » la procédure, et d’anticiper même les prochains actes d’investigation des enquêteurs, et leurs questions...

S’il est vrai que l’on doit toujours être à la disposition des enquêteurs et de la justice, ayez à l’esprit toutefois ce dicton : aimez votre justice, mais ne lui donnez pas toujours toute votre confiance…

 

Levent SABAN [1]

Avocat associé - Cabinet Ph. PETIT et Associés
levent.saban@cabinetpetit.com

 

[1Avocat associé du Cabinet Philippe Petit et associés, titulaire d’un DEA de droit pénal et sciences criminelles, Me Levent SABAN est spécialement chargé des affaires pénales concernant le conseil et la défense des élus et des fonctionnaires (favoritisme, prise illégale d’intérêts, faux et usage, trafic d’influence, détournement de moyens publics, abus de confiance, concussion, harcèlement moral, hygiène sécurité au travail, droit de la presse, infractions électorales, environnement, urbanisme...). Il est également l’auteur de nombreux articles destinés à informer les collectivités et établissements publics sur l’évolution et la pratique judiciaire du droit pénal de la vie publique.