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La jurisprudence de la semaine du 14 au 18 décembre 2015

Dernière mise à jour le : 25/03/2016

Contentieux et procédure / Délits de presse / Etat civil / Fonction publique / Urbanisme

Contentieux et procédure

 Le juge des référés devant les juridictions administratives est-il compétent pour apprécier la conformité de dispositions législatives à des engagements internationaux ?

En principe non sauf :

  • si une décision juridictionnelle s’est déjà prononcée sur ce point (soit par le juge administratif saisi au principal, soit par le juge compétent à titre préjudiciel) ;
  • ou si est soulevée l’incompatibilité manifeste de telles dispositions avec les règles du droit de l’Union européenne.

En revanche, le juge des référés est toujours compétent pour apprécier les contestations relatives à la conformité de dispositions réglementaires avec de tels engagements, notamment avec les règles du droit de l’Union européenne. Ainsi un juge des référés ne méconnait pas son office en examinant si le moyen tiré de l’incompatibilité des dispositions du 37° du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement, en tant qu’elles fixent un seuil de 3 000 mètres carrés de surface de plancher, avec les dispositions de la directive 2011/92/CE, était de nature à susciter un doute sérieux sur la légalité du permis de construire dont la suspension était demandée.

Conseil d’État, 18 décembre 2015, N° 389238

Etat civil

 Un préfet, peut-il après mise demeure infructueuse, se substituer à un maire qui s’oppose illégalement à la célébration d’un mariage ?

Non : à moins qu’un texte particulier n’en dispose autrement, le pouvoir de substitution conféré au préfet par les dispositions l’article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales ne s’applique que dans la limite des compétences des maires qui s’exercent dans le domaine administratif sous l’autorité ou le contrôle du préfet. Ce pouvoir ne s’étend pas aux actes résultant de l’exercice des fonctions d’officier d’état-civil, qui sont placés sous le contrôle du procureur de la République. Peu importe que les maires agissent alors au nom de l’Etat. Ainsi la circulaire du ministre de l’intérieur du 13 juin 2013 relative aux conséquences du refus illégal de célébrer un mariage de la part d’un officier d’état civil ne méconnait pas les dispositions de l’article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales en rappelant qu’elles n’autorisaient pas le préfet à se substituer au maire pour procéder à la célébration d’un mariage.

Conseil d’État, 18 décembre 2015, N° 369834

Délits de presse

 Un maire est victime de propos diffamatoires de la part d’un particulier avec lequel il a un litige d’ordre privé. Il est fait référence au mandat de l’élu dans les propos litigieux. Cette circonstance autorise-t-elle le maire à engager une action pour diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public ?

Non : les diffamations envers un citoyen chargé d’un mandat public "doivent s’apprécier non d’après le mobile qui les ont inspirées ou le but recherché par leur auteur, mais d’après la nature du fait sur lequel elles portent, contiennent la critique d’actes de la fonction ou d’abus de la fonction", ou encore "que la qualité ou la fonction de la personne visée a été soit le moyen d’accomplir le fait imputé, soit son support nécessaire". Si le fait imputé à l’élu ne constitue ni un acte, ni un abus de la fonction élective, et se trouve dépourvu de tout lien avec ladite fonction, l’élu ne doit pas engager une action pour diffamation envers un citoyen chargé d’un mandat public, mais pour diffamation envers un simple particulier. Sous peine de nullité de la citation. En l’espèce le maire avait fait l’objet de propos particulièrement violents et véhéments [1] mais qui avaient pour origine des faits étrangers au mandat électif [2]. La Cour de cassation annule donc la condamnation du particulier à 5000 euros d’amende prononcée par la cour d’appel de Poitiers.

Cour de cassation, chambre criminelle, 15 décembre 2015, N° 14-85118

 Un billet d’humeur permet-il au journaliste une plus grande liberté de ton et le recours à une certaine dose d’exagération voire de provocation ?

Non : ce format ne dispense pas le journaliste d’une certaine prudence dans l’expression, les accusations portées devant reposer sur une base factuelle suffisante, y compris pour un sujet d’intérêt général. En l’espèce, un quotidien national avait publié à sa Une, un éditorial mettant gravement en cause un laboratoire pharmaceutique. Les juges du fond avaient prononcé une relaxe, "l’écrit en cause étant un billet d’humeur qui permet une plus grande liberté de ton et le recours à une certaine dose d’exagération voire de provocation". La Cour de cassation censure cette position reprochant à la cour d’appel de ne pas s’être expliquée sur la prudence et la mesure dans l’expression et de ne pas avoir recherché si les propos reprochés, même figurant dans un éditorial et traitant d’un sujet d’intérêt général, reposaient sur une base factuelle suffisante en rapport avec la gravité des accusations portées.

Cour de cassation, chambre criminelle, 15 décembre 2015, N° 14-82529

 Des propos tenus en aparté par un élu et enregistrés à son insu peuvent-ils caractériser le délit d’apologie de crime contre l’humanité ou d’injures publiques envers un groupe de personnes à raison de leur origine ?

Non : pour caractériser ces infractions, il faut que les propos incriminés aient été « proférés », c’est-à-dire tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics. S’ils sont tenus à l’écart des micros mais qu’un journaliste réussit néanmoins à les enregistrer à l’insu de l’élu, les propos ne présentent pas de caractère public. Doit être ainsi relaxé du chef d’apologie de crime contre l’humanité, un maire qui tient, en marge d’un déplacement sur un campement illicite de gens du voyage, des propos particulièrement violents et méprisants contre cette communauté, mais dans des circonstances exclusives de toute volonté de les rendre publics. La Cour de cassation avait statué dans le même sens s’agissant d’un ministre poursuivi pour injures publiques à caractère raciste après des propos échangés en petit comité avec des militants de son parti politique et qu’un journaliste avait néanmoins réussi à capter.

Cour de cassation, chambre criminelle, 15 décembre 2015, N° 14-86132


Fonction publique

 L’administration peut-elle faire placer en congé de longue maladie ou de longue durée un agent bien que cette maladie soit d’origine professionnelle et mette l’intéressé dans l’incapacité permanente de continuer ses fonctions ?

Oui si le fonctionnaire en remplit les conditions. En principe un agent en maladie professionnelle ou en accident de service qui se trouve dans l’incapacité permanente de continuer ses fonctions au terme d’un délai de douze mois à compter de sa mise en congé de maladie doit bénéficier de l’adaptation de son poste de travail ou, si celle-ci n’est pas possible, être mis en mesure de demander son reclassement dans un emploi d’un autre corps ou cadre d’emplois, s’il a été déclaré en mesure d’occuper les fonctions correspondantes. S’il ne demande pas son reclassement ou si celui-ci n’est pas possible, il peut être mis d’office à la retraite par anticipation. L’administration a alors l’obligation de maintenir l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre le service ou jusqu’à sa mise à la retraite.

Mais ce régime de droit commun ne fait pas obstacle à ce que le fonctionnaire, qui en remplit les conditions, soit placé en congé de longue maladie ou en congé de longue durée, y compris à l’initiative de l’administration... L’agent a alors droit, dans le premier cas, au maintien de son plein traitement pendant trois ans et, dans le second, au maintien de son plein traitement pendant cinq ans et à un demi-traitement pendant trois ans. En l’absence de reprise du service ou de reclassement, il peut, s’il est dans l’impossibilité permanente de continuer ses fonctions en raison de la maladie, être mis d’office à la retraite par anticipation, à l’issue du délai de trois ans en cas de congé de longue maladie, ou de huit ans en cas de congé de longue durée. Il conserve alors, en cas de congé de longue maladie, son plein traitement, ou en cas de congé de longue durée, son demi-traitement jusqu’à l’admission à la retraite.

Conseil d’État, 18 décembre 2015, N° 374194

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Urbanisme

 L’examen, par le conseil municipal, des conclusions défavorables du commissaire enquêteur, doit-il faire l’objet d’une réunion et d’une délibération spécifiques ?

Non : l’article L. 123-12 du code de l’environnement n’impose pas que l’examen des conclusions défavorables du commissaire enquêteur fasse l’objet d’une réunion distincte de celle au cours de laquelle le conseil municipal approuve la modification du plan local d’urbanisme (PLU) ni d’une délibération matériellement distincte de la délibération approuvant le projet. Il n’exige pas non plus que l’organe délibérant débatte spécifiquement des conclusions du commissaire-enquêteur. Ces dispositions du code de l’environnement imposent seulement à l’assemblée de délibérer sur le projet, y compris lorsqu’il relève de la compétence de l’exécutif de la collectivité, en ayant eu connaissance du sens et du contenu des conclusions du commissaire enquêteur.

Conseil d’État, 15 décembre 2015, N° 374027

 Le respect de la vie privée et familiale peut-il s’opposer à l’enlèvement de caravanes implantées de longue date sur un terrain privé en violation des dispositions d’urbanisme et servant de lieu de résidence à une famille ?

Oui : toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile.

Il ne peut être porté atteinte à ce droit que par des mesures nécessaires à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Ainsi le juge judiciaire ne peut ordonner l’enlèvement de caravanes servant de domicile et implantées de longue date sur un terrain privé en violation des dispositions d’urbanisme sans rechercher si les mesures ordonnées sont proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile.

En l’espèce les juges d’appel avaient fait droit à la demande d’une commune tendant à l’enlèvement des ouvrages litigieux en estimant que l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et le droit au logement ne pouvaient faire obstacle au respect des règles d’urbanisme ni faire disparaître le trouble résultant de leur violation ou effacer son caractère manifestement illicite.

La Cour de cassation reproche aux juges d’appel d’avoir statué ainsi sans rechercher si ces mesures étaient proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile des intéressés.

Cour de cassation, 17 décembre 2015, chambre civile 3, n° 14-22095

[1« fils de crapule, le maire est une crapule, il est où le maire que je l’étrangle, D... assassin, incendiaire, voleur, vous n’êtes que des merdes, des sous-merdes, retournez en Corse, il faut leur tirer dessus et ne pas être lâche comme en 40, il faut les dénoncer, il faut les étrangler ».

[2Les propos faisaient référence précisément à un incendie, survenu quelques jours auparavant, d’un hangar appartenant au particulier, qui en imputait la responsabilité au maire.