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Les propos tenus en aparté par un élu mais enregistrés à son insu ne sont pas publics

Cour de cassation, chambre criminelle, 15 décembre 2015, N° 14-86132

Des propos tenus en aparté par un élu et enregistrés à son insu peuvent-ils caractériser le délit d’apologie de crime contre l’humanité ou d’injures publiques envers un groupe de personnes à raison de leur origine ?

Non : pour caractériser ces infractions, il faut que les propos incriminés aient été "proférés", c’est-à-dire tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics. S’ils sont tenus à l’écart des micros mais qu’un journaliste réussit néanmoins à les enregistrer à l’insu de l’élu, les propos ne présentent pas de caractère public. Doit être ainsi relaxé du chef d’apologie de crime contre l’humanité, un maire qui tient, en marge d’un déplacement sur un campement illicite de gens du voyage, des propos particulièrement violents et méprisants contre cette communauté, mais dans des circonstances exclusives de toute volonté de les rendre publics. La Cour de cassation avait statué dans le même sens s’agissant d’un ministre poursuivi pour injures publiques à caractère raciste après des propos échangés en petit comité avec des militants de son parti politique et qu’un journaliste avait néanmoins réussi à capter.

Le 21 juillet 2013, plus d’une centaine de véhicules conduits par des gens du voyage pénètrent sur un terrain appartenant à la ville de Cholet qui l’avait donné en location à deux agriculteurs. Le député-maire de la ville, se rend sur place pour exprimer son désaccord à cette installation. Il est interpellé par une partie de ces personnes qui le traitent de raciste et lui adressent, par dérision, des saluts nazis.

En quittant les lieux, l’élu prononce, en aparté, des propos particulièrement violents faisant l’apologie des crimes contre l’humanité [1]. Un journaliste enregistre les propos avec son téléphone portable avant de les publier.

L’élu est poursuivi pour pour apologie de crimes de guerre ou contre l’humanité. Il est reconnu coupable et condamné à 3000 euros d’amende.

La Cour de cassation censure cette position et annule la condamnation de l’élu :

« le délit d’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité n’est constitué que si les propos incriminés ont été "proférés" au sens de l’article 23 de la loi sur la presse, c’est-à-dire tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics »

Or en l’espèce, les propos incriminés, pour choquants qu’ils soient, ont été tenus par leur auteur dans des circonstances exclusives de toute volonté de les rendre publics. Ils ne sont donc pas pénalement répréhensibles sous la qualification retenue.

Cet arrêt de la Cour de cassation n’est pas sans rappeler un précédent : un ancien ministre de l’intérieur était poursuivi du chef d’injures publiques envers un groupe de personnes à raison de leur origine pour des propos tenus avec des militants de son parti. Là aussi les propos avaient été enregistrés à l’insu de l’élu avant d’être relayés dans la presse. Si les juges d’appel avaient estimé que les propos étaient particulièrement "méprisants" et "outrageants", ils avaient relaxé le prévenu du chef d’injures publiques, s’agissant d’une conversation privée avec des militants non destinée à être rendue publique. Ainsi seule une contravention d’injure non publique pouvait être retenue. La Cour de cassation [2] avait confirmé cette analyse par un attendu de principe :

« un propos injurieux, même tenu dans une réunion ou un lieu publics, ne constitue le délit d’injure que s’il a été "proféré", au sens de l’article 23 de la loi sur la presse, c’est-à-dire tenu à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de le rendre public »

Cour de cassation, chambre criminelle, 15 décembre 2015, N° 14-86132

[1"Comme quoi Hitler n’en a peut-être pas tué assez, hein"...

[2Cour de cassation, chambre criminelle,
27 novembre 2012, N° 11-86982