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Subventions européennes réaffectées : détournement de fonds publics caractérisé !

Cour de cassation, chambre criminelle, 12 novembre 2015, N° 14-82819

Les subventions européennes, obtenues en vue de la réalisation d’un projet, peuvent-elles être librement réaffectées ?

Non sous peine de s’exposer à des poursuites pour détournement de fonds publics. En l’espèce, un audit financier des services de la Commission européenne, portant sur les relevés de coût produits par une SEM (spécialisée dans la valorisation des algues) avait mis à jour des anomalies dans la comptabilité des heures consacrées à des projets subventionnés justifiant un ajustement total de 659 802, 31 euros en faveur de la Commission européenne. L’enquête avait conduit à la mise en examen de la SEM et de son directeur. Condamnés en première instance, les deux prévenus avaient été relaxés en appel. La Cour de cassation annule la relaxe dès lors que "l’utilisation de subventions, obtenues en vue de la réalisation d’un projet déterminé, pour le règlement d’heures de travail consacrées à une autre activité, quelle qu’elle soit, constitue un détournement de fonds publics".

Une SEM, spécialisée dans la recherche sur la valorisation des algues, bénéficie d’importantes subventions du fonds européen de développement régional (FEDER) au titre de contrat de projets Etat-région et de l’Union européenne au titre de dépenses directes pour la réalisation de projets spécifiques.

Un audit conduit par les services de la Commission européenne, portant sur les relevés de coût produits par la SEM concernant deux projets subventionnés, conclut à des anomalies dans la comptabilité des heures consacrées à ces projets justifiant un ajustement total de 659 802, 31 euros en faveur de la Commission européenne. L’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) ouvre alors deux enquêtes, l’une relative aux dépenses directes, l’autre sur les fonds structurels européens. L’OLAF propose, dans son rapport final, à la Commission européenne de demander à la SEM la restitution intégrale des fonds octroyés.

Ces suspicions sont confortées par un contrôle de la Chambre régionale des comptes qui relève des dysfonctionnements dans la tenue des comptes, la gestion des ressources humaines et des anomalies dans la gestion des fonds européens. De fait les auditions et perquisitions effectuées pendant l’enquête préliminaire établissent, une majoration fictive des heures de travail sur les projets publics correspondant à 592 jours de travail entre 2002 et 2006.

La SEM et son directeur sont alors poursuivis des chefs d’escroquerie et de détournement de fonds publics. Condamnés en première instance, les deux prévenus sont relaxés en appel. La Cour de cassation n’y trouve rien à redire s’agissant de la qualification d’escroquerie mais annule la relaxe pour les faits de détournements de fonds publics.

Un simple mensonge ne suffit pas à caractériser des manœuvres frauduleuses

Il était reproché aux prévenus d’avoir, par la production de fausses justifications de coûts de main-d’œuvre sur des projets de recherche et développement, trompé le FEDER et la Commission européenne pour les déterminer à leur remettre des subventions publiques.

La cour d’appel relaxe les prévenus relevant que :

 si les états de dépenses au titre des coûts de personnel de la SEM, signés de son directeur, ne correspondaient pas avec certitude aux dépenses effectivement réalisées et justifiées pour les projets concernés, ces états, qui sont de simples déclarations du nombre d’heures consacrées à un projet, ne caractérisent pas des manœuvres frauduleuses ;

 les feuilles de gestion de temps reconstituées pour les besoins des contrôles exercés sont postérieures et non déterminantes des remises de fonds.

La Cour de cassation confirme la relaxe sur ce point :

 "d’une part, les états majorés de coût de personnel ne constituaient que des mensonges produits par écrit ;

 d’autre part, les feuilles de gestion de temps établies pour les besoins d’un contrôle avaient été produites après la remise des fonds."

Il en est effet de jurisprudence constante que le simple mensonge ne suffit pas à caractériser les manœuvres frauduleuses visées par l’article 313-1 du code pénal réprimant l’escroquerie [1]. Par contre si le mensonge s’accompagne de faits lui donnant force et crédit, les manœuvres sont alors caractérisées. A condition que ces éléments soient bien antérieurs à la remise pour pouvoir l’avoir provoquée. Or en l’espèce les feuilles de gestion de temps, accréditant le mensonge, avaient été produites postérieurement à la remise des fonds et n’ont ainsi pas pu participer à tromper la Commission européenne, ni le FEDER dans l’octroi des subventions. CQFD.

Utiliser des subventions publiques à des fins détournées de leur objet est pénalement répréhensible

S’agissant du détournement de fonds publics, la cour d’appel avait relaxé les prévenus au motif :

 qu’il n’était pas démontré, "autrement que par des allégations qui n’ont fait l’objet d’aucune vérification", que les prévenus auraient détourné une partie des subventions publiques consenties afin de développer une activité privée de production industrielle d’eau de mer filtrée ;

 que les faits reprochés, qui s’inscrivent dans un contexte d’importantes négligences professionnelles et de climat social très dégradé, ne caractérisent pas l’infraction poursuivie.

La Cour de cassation censure fermement cette analyse :

"en se déterminant ainsi, sans tenir compte des conclusions des différents audits, contrôles et enquêtes effectués, qu’elle dénature en les qualifiant de simples allégations non vérifiées, et alors que l’utilisation de subventions, obtenues en vue de la réalisation d’un projet déterminé, pour le règlement d’heures de travail consacrées à une autre activité, quelle qu’elle soit, constitue un détournement de fonds publics, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision".

Peu importe donc qu’il ne soit pas démontré qu’une partie des subventions ait été affectée à des activités privées : le simple fait qu’elles n’aient pas, en totalité, été utilisées conformément à leur objet initial suffit à caractériser l’infraction.

Au-delà du cas d’espèce, cet arrêt de la Cour de cassation qui aurait sans doute mérité une publication au bulletin, souligne toute la rigueur qu’il faut respecter dans l’utilisation des subventions publiques lesquelles ne sauraient être détournées de leur finalité première sous peine de caractériser un détournement de fonds publics. Rappelons que la Cour de cassation avait statué dans le même sens s’agissant de l’affectation à d’autres fins des crédits inscrits au budget au titre des dépenses obligatoires de la collectivité : a ainsi été condamné pour détournement de fonds publics le président d’un conseil départemental qui avait affecté à des associations sportives des crédits, inscrits au budget du département au titre des dépenses obligatoires, destinés à des actions ayant pour objet l’insertion des personnes en difficulté (Cass crim 4 mai 2006 N° 05-81151).

Cour de cassation, chambre criminelle, 12 novembre 2015, N° 14-82819

[1Le délit d’escroquerie est une infraction dite complexe qui suppose la réunion de plusieurs éléments matériels pour pouvoir être caractérisé (par opposition aux infractions dites simples, comme le vol, pour lesquelles un seul élément matériel suffit) : il faut des manœuvres frauduleuses (ou l’usage d’un faux nom, d’une fausse qualité, ou l’abus d’une qualité vraie) qui ont déterminé une remise d’un bien, la fourniture d’un service ou le consentement à un acte.