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Urbanisme : usage discriminatoire du droit de préemption ?

Cour d’appel de Lyon, 4 février 2009 n°1757/08

L’adjoint à l’urbanisme et le maire se sont-ils rendus coupables de discrimination en exerçant le droit de préemption de la commune sur une maison convoitée par un couple d’origine maghrébine ? [1]

Les faits

Un couple signe un compromis de vente pour l’achat de leur résidence principale. Le notaire leur conseille de se présenter en mairie, craignant que, compte-tenu de leur origine, le maire "ne complique le dossier et le fasse traîner". De fait, dès réception en mairie de la déclaration d’intention d’aliéner, les acheteurs sont informés que la commune exerce son droit de préemption pour la création d’un "local social favorisant la vie du quartier du lotissement". Le prix proposé par la commune, de 20 % inférieur au prix fixé dans le compromis de vente, est jugé inacceptable par les vendeurs.

La commune ne poursuit pas la procédure, laisse passer la date pour la saisine du juge de l’expropriation et s’abstient de renouveler l’exercice de son droit de préemption lorsqu’une nouvelle déclaration d’intention d’aliéner avec un autre acheteur lui est présentée.

Le 3 novembre 2000, le couple qui avait signé le premier compromis de vente porte plainte avec constitution de partie civile pour discrimination. Cinq ans plus tard le tribunal correctionnel de Vienne (TGI Vienne 29 novembre 2005) relaxe l’adjoint mais condamne le maire à 1500 euros d’amende et à 3 ans de privation des droits civiques, ce que confirme la Cour d’appel de Grenoble dans un arrêt en date du 8 novembre 2006 (Cour d’appel de Grenoble 8 novembre 2006 n°06/00053)

Condamnation du maire par les juges du fond

Pour relaxer l’adjoint à l’urbanisme, les magistrats relèvent qu’il n’est pas démontré que l’élu, qui avait réceptionné la déclaration d’intention d’aliéner et avait reçu le couple en entretien, "ait eu un rôle spécifique dans la décision de préempter ce bien". Il résulte en effet des pièces du dossier, et notamment d’un courrier adressé au notaire du vendeur, que la décision de la préemption est revenue au seul maire de la commune qui s’est prévalu d’une délégation en ce sens du conseil municipal. Le fait pour l’adjoint d’avoir fait évaluer le bien et d’avoir présenté le projet aux adjoints est jugé insuffisant pour établir un rôle actif dans la prise de décision.

Pour confirmer la condamnation du maire, les magistrats de la Cour d’appel relèvent que les arguments avancés pour exercer le droit de préemption (urgente nécessité d’un local social) puis pour l’abandonner (difficultés financières subites) apparaissent peu crédibles. Le détournement de pouvoirs est jugé d’autant plus flagrant que le prix proposé au vendeur était manifestement trop bas et que le maire s’était montré publiquement réticent à l’accueil dans la commune des "populations étrangères notamment des membres de la communauté musulmane".

Et les magistrats de conclure que si "le droit d’acquérir un bien immobilier peut être limité par le droit de préemption dont sont notamment titulaires certaines personnes publiques [c’est] sous la condition cependant que celui-ci soit exercé dans les conditions et buts fixés par la loi". Tel n’est pas le cas en l’espèce puisque le maire a usé de son pouvoir de préemption dans le seul but d’empêcher le couple, "en raison de son appartenance à la communauté maghrébine de se porter acquéreur d’un bien immobilier, élément du droit de propriété accordé par la loi au sens de l’article 432-7-1° du code pénal". Au civil l’élu est condamné à verser 7000 euros de dommages-intérêts au couple plaignant et 4000 euros (au total) aux trois associations de lutte contre le racisme qui s’étaient jointes à la l’action.

Annulation de la condamnation par les juges de cassation

Dans un arrêt du 17 juin 2008, la Cour de cassation censure la position des juges du fond par un attendu de principe : « l’exercice d’un droit de préemption, fût-il abusif, ne saurait constituer le refus du bénéfice d’un droit accordé par la loi au sens de l’article 432-7 du code pénal ».

Cette position n’est pas sans rappeler un autre arrêt de la Cour de cassation censurant déjà une position de la même Cour d’appel ayant condamné un élu sur le fondement de l’article 432-7 pour avoir exercé des pressions sur un propriétaire pour qu’il ne vende pas un terrain à une personne appartenant à la communauté des gens du voyage : la "vente d´un bien immobilier par un particulier à un autre, ne caractérise pas l´exercice d´une activité économique au sens de l´article 432-7, 2 , du Code pénal". L’élu n’avait pas échappé pour autant à la condamnation, la Cour de renvoi changeant de fusil d’épaule et condamnant l’élu pour complicité de discrimination commise par un particulier sur le fondement de l’article 225-2 du code pénal (voir le juridiscope "Gens du voyage : le maire peut-il s’opposer à la vente d’un terrain ?".

Les magistrats grenoblois avaient visiblement eu à l’esprit cette espèce. Ils ne s’étaient, cette fois, pas fondés sur le 2° de l’article 432-7 mais sur le 1° du même article qui vise "le bénéfice d’un droit accordé par la loi" : en exerçant de façon discriminatoire son droit de préemption, le maire de la commune aurait privé le couple du "bénéfice d’un droit accordé par la loi à savoir celui d’acquérir la propriété d’un immeuble et de fixer librement le lieu de sa résidence". Les magistrats de la Cour de cassation ne se sont pas plus laissés séduire par cette argumentation.

Relaxe par la Cour d’appel de renvoi

Dans un arrêt du 4 février 2009 (n°1757/08), la septième chambre de la Cour d’appel de Lyon prononce la relaxe de l’élu. Pour ce faire les magistrats lyonnais ne reprennent pas les motifs de droit posés par la Cour de cassation mais se basent sur des éléments de fait pour considérer que le maire n’avait pas eu d’attitude discriminatoire :

 "aucun élément concret ne permet (...) d’affirmer que la consonance étrangère du nom des acquéreurs ait été évoquée par des membres de l’exécutif et de l’administration communale, avant, pendant, ou après la déclaration d’intention d’aliéner et l’exercice du droit de préemption" ;

 "spécialement concernant le prévenu il n’est fait aucune allusion à une intervention personnelle si ce n’est pour signer les actes relatifs au droit de préemption" ;

 "il n’est (...) pas possible de qualifier de prétexte fallacieux le motif invoqué par la commune au soutien de son droit de préemption, puisqu’il a été vérifié que le besoin d’un local était réel" ;

 "l’absence de poursuite du projet suite au refus catégorique [des vendeurs] ne révèle pas plus d’intention discriminatoire, étant donné que l’enveloppe budgétaire consacrée aux acquisitions immobilières a été orientée sur d’autres projets dont il n’appartient pas à la justice d’apprécier l’ordre des priorités" ;

 "après déchéance du délai légal les époux (...) auraient pu poursuivre la vente, que la procédure municipale n’avait fait que retarder".

Et les juges de conclure que "au total, les éléments de preuve sont insuffisants pour établir un motif discriminatoire dissimulé lors de l’exercice du droit de préemption par [le maire], de sorte que quelle que soit la qualification envisagée, le prévenu doit être renvoyé des fins de la poursuite".

[1Photo : © Oleksandr Bilozerov